Jean 14, 15-21 – Un autre nom pour le Saint-Esprit

Dans un long testament spirituel qui court sur quatre chapitres et qui a commencé avec le texte de dimanche dernier, Jésus continue de prononcer ses dernières paroles devant ses disciples.

Après leur avoir donné des paroles rassurantes, Jésus leur fait maintenant une annonce révolutionnaire : la venue du Saint-Esprit qui, au moment où il leur parle, est une réalité encore à venir.

Mais, à part lorsqu’il l’appelle l’Esprit de vérité, un hébraïsme qui veut dire l’esprit véritable, Jésus ne lui donne pas le nom d’Esprit : il emploie un autre terme, paraklètos. Certaines versions de nos Bibles, comme la TOB, ne traduisent pas ce mot et laissent Paraclet 

En fait, le terme grec paraklètos présente une difficulté pour les traducteurs, parce qu’il a une double signification : il signifie consolateur et aussi défenseur, au sens d’avocat 

Le terme consolateur ne nous surprend pas vraiment, dans la mesure où Jésus est venu révéler un Dieu d’amour : maintenant qu’il s’en va, il ne les abandonne pas et laisse à ses disciples le Saint-Esprit.

En revanche le terme défenseur retient notre attention, parce qu’il fait référence au monde juridique. En grec le Paraclètos, c’est celui qui défend quelqu’un en se référant à la loi, la loi du pays. On peut se demander ce qu’un terme juridique vient faire dans un contexte religieux et quelle est l’intention de l’Evangéliste lorsqu’il présente le Saint-Esprit comme le défenseur, l’avocat.

Avant de répondre à cette question, je voudrais pointer un autre élément surprenant de ce texte : vous avez remarqué que les paroles sur le Saint-Esprit sont encadrées par deux phrases sur les commandements de Jésus, une au début : Si vous m’aimez, vous resterez fidèles à mes commandements, et une à la fin, plus développée : Celui qui a reçu mes commandements et y reste fidèle, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l’aimerai, et je me manifesterai à lui.

Pourquoi Jésus parle-t-il ici de ses commandements ? Et quels sont ses commandements ? Nous pensons bien sûr à toutes les paroles qu’il a dites à ses disciples pour les libérer du péché et de la culpabilité. Rester fidèle à ces commandements-là, c’est rester fidèle à sa Parole. Quoiqu’il en soit, qu’est-ce que ces commandements ont à voir avec le Saint-Esprit ?

Je vous propose une piste. On sait qu’il n’est pas facile de parler du Saint-Esprit. Comme le vent, on ne perçoit le Saint-Esprit qu’à ses effets. On sait aussi qu’il est intérieur au croyant, et de là l’assimiler à la subjectivité de l’être humain, il n’y a qu’un pas. D’ailleurs, plutôt que de dire que le Saint-Esprit est intérieur au croyant, il serait plus juste de dire que le Saint-Esprit rejoint le croyant dans son intimité. Il n’est donc pas seulement intérieur, mais aussi extérieur à lui et enveloppe toute la personne.

Or, s’il est vrai que le Saint-Esprit demeure au plus intime du croyant, il n’en demeure pas moins qu’il est pleinement Dieu. En ce sens, il représente l’instance à laquelle le croyant sera constamment confronté, afin de ne pas suivre ses propres inclinations et de ne pas trouver sa norme en soi-même, mais dans un Autre.

En insistant sur l’observance des commandements, l’Evangéliste souligne qu’il ne s’agit pas d’une présence subjective, mais objective, et que ses effets peuvent se vérifier concrètement, comme le vent qui souffle et agite les feuilles des arbres. Si la présence du Saint-Esprit est liée aux commandements de Jésus, cela signifie qu’elle n’a pas obligatoirement partie liée aux affects et aux sentiments.

Revenons maintenant à ce terme de défenseur qui a éveillé notre curiosité. Ce qui caractérise le domaine juridique, c’est la loi, qui juge chacun de manière objective,  indépendamment des sentiments et de la subjectivité individuelle. La loi ramène tout à un point de vue objectif. C’est ce jugement objectif que Job espérait dans ses épreuves, lorsqu’il disait : Je sais, moi, que mon défenseur est vivant, et que, le dernier, il se lèvera sur la poussière. Oui, Job attendait déjà ce défenseur.

S’il n’y avait pas cette altérité qui établit des limites et permet la distinction, il ne pourrait pas y avoir de véritable proximité : nous ne pouvons être proches d’une personne que si nous la reconnaissons différente, distincte de nous, sinon nous sommes dans la confusion. En donnant au Saint-Esprit un nom qui appartient au domaine juridique, l’Evangéliste en souligne l’altérité radicale et par là il lui donne clairement le statut de Dieu.

Parce qu’il établit cette distinction, le Saint-Esprit va permettre aux disciples d’être dans la présence divine non plus épisodiquement, par la proximité physique avec Jésus, mais de manière permanente, même après qu’il aura quitté cette terre.

Car la mort prochaine de Jésus ne signifie pas son absence, mais bien sa présence permanente, de sorte qu’elle ne sera pas un échec, mais un accomplissement. Ainsi, pour les disciples le départ de Jésus ne sera pas une perte, mais un gain. C’est là le grand paradoxe. L’Esprit saint va rendre Jésus présent, par-delà le temps et l’espace. Et non seulement cela, mais il va aussi permettre aux disciples d’agir comme Jésus.

Comme le vent, le Saint-Esprit se reconnaît à son action : il métamorphose les disciples et va leur permettre de poursuivre l’œuvre de Jésus.

Avez-vous remarqué, dans le passage que nous avons lu en première lecture : chaque fois que le nom de Philippe apparaît dans ce texte des Actes, on pourrait le remplacer par celui de Jésus et avoir l’impression de lire un passage d’Evangile : les foules s’attachent à Philippe comme elles s’attachaient à Jésus, comme lui il accomplit des signes, des possédés sont délivrés des esprits mauvais, qui les quittent en poussant de grands cris, des paralysés et des infirmes sont guéris, et il suscite une grande joie, exactement comme lorsque Jésus exerçait son ministère sur terre.

Mais au moment où Jésus leur adresse ses dernières paroles, son testament spirituel, les disciples n’en sont pas encore là, et ils ne comprennent pas tout. Il leur faudra attendre la venue du Saint-Esprit.

A la Pentecôte dans deux semaines, c’est cette réalité dont nous fêterons : le fait que le Saint-Esprit, par son altérité radicale, nous évite de suivre nos propres voies et nous permet de trouver notre norme dans un autre que nous-même, pour continuer l’œuvre du Christ.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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