Jean 15, 26-16, 15 – La touche finale

Nous sommes réunis ce matin pour fêter la Pentecôte. La Pentecôte trouve ses origines dans la fête juive du même nom et qui était une fête des récoltes, mais pour nous chrétiens, elle est devenue la fête du Saint-Esprit.

Dans notre passage, au moment où Jésus adresse son discours d’adieu à ses disciples et leur parle du Saint-Esprit, ce n’est pas encore une réalité pleinement effective. Jésus ici parle de ces choses au futur, comme d’une réalité à venir. La Pentecôte chrétienne ne pourra se produire qu’après les événements de la Passion.

Dans son discours d’adieu, Jésus promet à ses disciples la venue du Saint-Esprit pour remédier à leur tristesse, pour les consoler après les tristes événements qu’il leur a annoncés. Dans l’Evangile de Jean, le Saint-Esprit est d’abord présenté comme un remède au manque qui va se faire jour après la mort de Jésus.

Pour nous aujourd’hui, après la première Pentecôte, la venue du Saint-Esprit est devenue une réalité. Dans notre année liturgique, cette fête vient en dernier, après Noël, Pâques et l’Ascension, et chronologiquement elle clôt la série des fêtes chrétiennes.

Avec elle, tout est dit. Le Saint-Esprit est l’élément ultime, l’élément qui vient parachever notre compréhension de la foi chrétienne, l’élément qui vient apporter la touche finale. Elle devrait donc nous faire entrer dans une meilleure compréhension de notre foi. Mais quelle représentation nous faisons-nous du Saint-Esprit ?

L’image que nous en avons est parfois un peu floue et il n’est pas facile d’en parler. En français, le mot « esprit » renvoie à quelque chose de volatile, d’impalpable, d’évanescent, de fantomatique. En hébreu, c’est un peu différent : il s’agit du vent, d’un souffle vital, d’un souffle vital enveloppant puisque le mot hébreu est féminin.

Quant à notre texte, qui a été choisi pour cette fête de Pentecôte, voyons ce qu’il nous apprend sur la troisième Personne de la Trinité.

La première difficulté que nous rencontrons dans l’Evangile de Jean, c’est le terme qui est donné au Saint-Esprit : « paraclétos » en grec, que la TOB ne traduit pas, en laissant le mot « Paraclet », qui n’explique rien.

D’autres versions s’efforcent de chercher un équivalent français, mais leurs traductions divergent : nous avons le mot « Consolateur » dans la version de Louis Segond et le mot « Défenseur » dans la Nouvelle Bible Segond. Ce dernier terme nous rappelle que le mot grec appartient au vocabulaire technique du droit : il contient l’idée que le Saint-Esprit nous défend comme le fait un avocat avec son client. Le terme « paraclêtos » renvoie donc à une multiplicité de sens.

Mais une lecture attentive du texte nous montre que l’Evangéliste donne lui-même un nom au Saint-Esprit. Et c’est une expression qui nous emmène encore un peu plus loin : le Saint-Esprit est appelé dans notre passage « l’Esprit de vérité ».

Et nous touchons là à quelque chose de très important : si le Saint-Esprit est appelé « l’Esprit de vérité », c’est parce qu’il ne parle pas de lui-même. En effet, personne ne détient la vérité en soi-même, et si le Saint-Esprit est appelé « l’Esprit de vérité », c’est parce qu’il parle ne parle pas en son propre nom : ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même. Le Saint-Esprit est cette instance extérieure à nous-mêmes qui nous protège de notre propre subjectivité.

Les croyants dans tous les temps et dans toutes les religions courent toujours le risque de se faire un dieu à leur image. A travers les âges, certains mouvements chrétiens dissidents, qu’on a appelés « illuministes », prétendaient que le Saint-Esprit aurait apporté des vérités qui n’étaient pas dans les Evangiles. Mais le texte d’aujourd’hui nous montre que le Saint-Esprit n’invente rien : il rappelle, il met en valeur ce qui est déjà là dans notre mémoire.

Quand on lit les textes de l’Ancien Testament, on voit que la première vocation du peuple juif a toujours été de lutter contre l’idolâtrie, c’est-à-dire de lutter contre les faux dieux de toutes sortes, de lutter contre ces dieux que l’être humain se crée pour lui-même afin de mieux parvenir à ses propres fins.

Vous connaissez ce texte du prophète Esaïe : On réserve un cèdre à couper, on choisit un chêne ou un térébinthe, on le laisse grandir parmi les arbres de la forêt. Ou bien on plante un pin ; la pluie le fera pousser ; ce bois servira aux hommes pour allumer du feu ; ils en prennent pour se chauffer ou pour cuire leur pain ; ou ils en font un dieu, devant lequel on s’incline, ils fabriquent une idole à qui l’on adresse des prières ; ils brûlent ainsi au feu la moitié de la bûche, ils y font rôtir de la viande et en mangent à leur faim ; ou encore ils se chauffent en s’exclamant : « Ah, je me réchauffe, quel plaisir de voir le feu ! » ; avec l’autre moitié de la bûche ils se fabriquent un dieu, ils se font une idole, ils s’inclinent devant elle et lui adressent cette prière : « Tu es mon dieu, délivre-moi ! » Ces gens n’ont rien dans la tête, ils ne comprennent rien.

Aujourd’hui, les idoles ne sont plus des statues de bois ou de métal, elles ne sont plus matérialisées, pourtant elles sont toujours là : elles s’appellent l’argent, le pouvoir, la performance.

Mais le Saint-Esprit nous délivre de tous ces faux dieux. Il nous apporte la connaissance du Père et rend témoignage de Jésus-Christ. Il nous rejoint au plus profond de nous-mêmes, tout en nous étant extérieur, et il nous sauve de notre propre subjectivité.

Car il ne provient pas de nous : il provient du Père, et notre rôle consiste seulement à être dans une attitude d’accueil pour le recevoir. Nous ne pourrons jamais nous considérer comme les détenteurs du Saint-Esprit : le Saint-Esprit n’appartient à personne, il n’appartient à aucun croyant et à aucune Eglise. Jésus le rappelle à Nicodème : comme le vent, le Saint-Esprit souffle où il veut et comme il veut. Il nous unit et nous libère de nos enfermements.

N’empêchons donc pas le Saint-Esprit de souffler aussi sur notre Eglise !

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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