Jean 2, 1-11 – Premier miracle à Cana

Même s’il n’apparaît que chez Jean, nous connaissons bien ce récit du mariage à Cana. Un mariage qui aurait pu être assombri par le manque de vin, mais qui restera joyeux grâce à un miracle, le premier miracle de Jésus, bref, une histoire où tout commence bien et où tout finit bien, une histoire sympathique où Jésus apparaît tout de suite comme quelqu’un qui apprécie la fête et le bon vin.

Mais est-ce bien le sens de ce récit ? Est-ce tout ce qu’il a à nous dire ? Est-ce que nous n’avons-nous là qu’une histoire sympathique ?

L’Evangéliste plante le décor : une localité, Cana en Galilée. Cana, ce n’est pas n’importe quelle localité : c’est là où habite Nathanaël, Nathanaël qui, vient de devenir disciple de Jésus. Car ce mariage prend place à un moment capital : il prend place au moment où les relations se nouent entre Jésus et ses premiers disciples.

L’Evangéliste parle du commencement des signes de Jésus. Qu’est-ce qu’un signe ? Un signe nous dit quelque chose, il a un sens, une signification, il nous interpelle ; bien sûr, on peut passer à côté, mais le signe est là, pour tous ceux qui peuvent le voir.

De quoi est-il question dans ce texte ? Il y a un mariage qui se passe bien, jusqu’au moment où un problème survient : au milieu de la fête, alors que les invités s’amusent et se réjouissent, c’est la consternation, on se rend compte que le vin va bientôt manquer. Est-ce le résultat d’une négligence ? Ou à des invités plus nombreux que prévu ? On ne nous le dit pas : l’important n’est pas là.

Ce que nous voyons, c’est que cette pénurie de vin va avoir des conséquences préjudiciables pour la suite du mariage. Si le vin manque – le vin, qui symbolise la joie de la fête, la communion entre les invités –si le vin manque, c’est toute la fête, toute la joie des convives, qui risque de tourner court.

Curieusement, ce n’est pas Jésus qui remarque le problème, ni ses disciples, mais c’est Marie. Elle est attentive et elle réagit, mais sans formuler de demande explicite, elle fait juste part à Jésus de la situation : Ils n’ont pas de vin, un simple constat, à quoi Jésus répond : Que me veux-tu, femme ? Mon heure n’est pas encore venue.

Femme : voilà un mot bien surprenant, un mot dur, plein de rudesse. En fait, ce mot ne témoigne pas d’un manque de respect, c’est ce mot que Jésus emploiera lorsqu’il sera sur la croix et qu’il confiera Marie à Jean ; il dira : Femme, voici ton fils.

Toutefois, on ne peut nier que lorsque Jésus dit Qu’y a-t-il entre toi et moi, il tente clairement de tenir sa mère à distance. Dans la langue de l’époque, quand on disait à une personne Qu’y a-t-il entre toi et moi, c’était pour lui signifier son désaccord.

Alors comment expliquer l’attitude de Jésus ? Pourquoi cette distance ? La réponse vient après : Mon heure n’est pas encore venue. Dans l’Evangile de Jean, l’heure renvoie à la glorification de Jésus, c’est-à-dire à sa mort et à sa résurrection. Or, nous n’en sommes pas encore là, nous n’en sommes qu’au tout début. Toutefois, Jésus donne à ses disciples un signe annonciateur de la suite.

Cette réponse de Jésus à sa mère, on peut la rapprocher d’une autre réponse, une réponse qu’il fera à ses frères cette fois-ci (toujours sa famille, décidément !), à l’occasion de la fête des Tentes, quand ses frères lui diront d’aller à Jérusalem, pour se montrer, il leur fera exactement la même réponse : Mon temps n’est pas encore venu, mais il tiendra compte de leur suggestion, et il montera bien à Jérusalem, seulement il y montera discrètement, incognito.

Eh bien ici, il se passe exactement la même chose, Jésus dit d’abord à sa mère : Mon heure n’est pas encore venue, mais après il fait bien ce qu’elle lui a suggéré, seulement, il le fait discrètement, avec une grande sobriété, sans un mot, sans un geste. Ce n’est donc pas la suggestion de Marie qu’il juge mauvaise, mais le moment où elle est faite, qu’il ne juge pas opportun. Et de fait, s’il révélait sa divinité avant l’heure, cela rendrait les choses évidentes pour tous, et donc cela reviendrait à faire l’économie de la foi.

Donc Jésus a remédié au manque de vin. Mais alors, cette histoire, nous parle-t-elle seulement d’un problème auquel Jésus répond sans tarder ?

Non, bien sûr. Le point central dans ce récit, ce n’est pas le mariage, mais ce sont ces jarres de pierre. Comme chacun sait, les Juifs avaient de nombreux rituels de purification, et notamment, avant chaque repas, ils se lavaient rituellement les mains. Au-delà des questions d’hygiène, ces obligations religieuses, cette discipline rigoureuse et tatillonne, jouait un rôle capital : elle autorisait un échange, une sorte de donnant-donnant, entre l’homme et Dieu ; on se disait : « Si je me lave rituellement les mains, alors en échange je suis pur aux yeux de Dieu. » C’était fastidieux, mais finalement, on était gagnant. Qui n’a jamais eu envie de mettre Dieu dans sa poche ? Car dans cette pratique, c’est bien de ça qu’il s’agit : d’une relation conditionnelle, d’un commerce, en quelque sorte, dans lequel on essaie d’avoir une mainmise sur Dieu.

Seulement maintenant, après cette intervention de Jésus, dans ces jarres, il n’y a plus d’eau, mais du vin. Comment se purifier maintenant ? Avec du vin, ce n’est plus possible…

Les détails ont leur importance. Ces jarres sont au nombre de six. Pas sept, mais six, six : le chiffre qui renvoie non à Dieu, mais à l’homme. Il suggère que ce rituel de purification est purement humain, et que désormais il est dépassé par la purification donnée par Dieu. Avec Jésus, les anciennes pratiques religieuses, qui exigeaient des rituels rigoureux, n’ont désormais plus cours. Et comme chaque jarre contient 100 litres, rien moins que 600 litres de vin sont mis à la disposition des convives ; c’est la surabondance. Mais il y a aussi la qualité, puisque que ce vin est particulièrement bon.

Par ce premier miracle, Jésus manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui : voilà point capital. Ce récit n’est pas qu’une histoire sympathique. Ce qui s’est passé ce jour-là, dans cette localité de Galilée, a fait naître la foi chez tous ceux qui y ont vu la gloire de Dieu. Car ce geste de Jésus suscite la foi chez les seuls disciples, pas chez les autres convives. C’est à Cana que les disciples ont manifesté leur foi. C’est là que tout a commencé. A la différence des autres convives, ils ont su y voir un signe. Ce signe leur a fait saisir la venue de quelque chose de complètement nouveau : rien moins qu’une nouvelle manière de vivre la religion.

Amen.

Bernard Mourou

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