Jean 20, 1-10

Nous fêtons aujourd’hui la grande fête du christianisme, nous fêtons aujourd’hui la résurrection du Christ.

Mais qu’est-ce qui nous permet de dire que le Christ est ressuscité ? La résurrection, qu’est-ce que cela veut dire pour nous ? Et est-il possible d’en parler ?

Pour répondre à cette question, je vais vous lire un texte. Vous ne le connaissez sans doute pas, parce qu’il provient d’un Evangile apocryphe, c’est-à-dire d’un Evangile qui ne figure pas dans nos Bibles, et qui n’est donc lu dans aucun temple, dans aucune église. Il s’agit de l’Evangile de Pierre, qui date probablement du IIe siècle.

Voici ce que dit ce texte : Or, dans la nuit où commençait le dimanche, tandis que les soldats montaient à tour de rôle la garde par équipes de deux, il y eut un grand bruit dans le ciel. Et ils virent les cieux s’ouvrir et deux hommes, brillant d’un éclat intense, en descendre et s’approcher du tombeau. La pierre, celle qui avait été poussée contre la porte, roula d’elle-même et se retira de côté. Et le tombeau s’ouvrit et les deux jeunes gens entrèrent. Alors, à cette vue, les soldats réveillèrent le centurion et les anciens, car eux aussi étaient là à monter la garde. Et, tandis qu’ils racontaient ce qu’ils avaient vu, à nouveau ils virent : du tombeau sortirent trois hommes, et les deux soutenaient l’autre, et une croix les suivait. Et la tête des deux atteignait jusqu’au ciel, alors que celle de celui qu’ils conduisaient par la main dépassait les cieux[1].

Pour nous qui sommes habitués aux récits des Evangiles, nous ne manquons pas d’être surpris par ce texte. Il est beaucoup moins sobre que ce que nous connaissons. En fait, l’auteur s’autorise à dire quelque chose qui est complètement absent de nos Evangiles : il s’autorise à décrire la résurrection et même à en faire un spectacle, quitte à faire appel à l’imaginaire et au merveilleux. Et cela sonne faux !

Nous ne trouvons rien de tel dans aucun des quatre Evangiles. Dans les Evangiles qui ont été retenus par le christianisme, personne ne voit la pierre rouler d’elle-même, personne ne voit le tombeau s’ouvrir, personne ne voit la résurrection, personne n’a de preuve que la résurrection a eu lieu.

Dans l’Evangile de Jean, comme dans les autres Evangiles, nous voyons un simple constat de la réalité. Marie de Magdala vient au tombeau et elle constate qu’il est vide. Ce qu’elle constate, c’est une absence, rien d’autre.

Mais alors comment passe-t-on du constat de cette absence à cette affirmation : le Christ est ressuscité ?

Dans notre Evangile, on sent Marie de Magdala craintive. Elle n’entre pas dans le tombeau, elle part en courant et va juste dire ce qu’elle a vu à Pierre et à Jean : On a enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons pas où on l’a mis ! Elle fait un constat de ce qu’elle a vu, elle fait un constat de la réalité matérielle, et en tire sa propre conclusion : on a enlevé du tombeau le corps de Jésus.

Pourtant, sa parole met Pierre et Jean en mouvement : ils se rendent sur place, eux aussi en courant. Mais eux, à la différence de Marie, ils entrent dans le tombeau.

Et Pierre fait la même constatation qu’elle : un tombeau vide. Mais comme lui, il est entré dans le tombeau, il voit plus de choses que Marie : il remarque les bandelettes soigneusement pliées et rangées. Pierre part lui aussi de la réalité observable, mais il ne tire aucune conclusion.

La réalité observable ne donne aucune preuve de la résurrection. Tant que l’on reste au niveau de la réalité observable, on reste dans le domaine des choses matérielles. Oui, ceux qui en restent à ce qu’ils voient restent dans le domaine des choses matérielles : la résurrection n’est pas accessible aux sens.

Ici, celui qui fait avancer les choses, ce n’est pas Pierre, mais Jean. Il fait lui aussi un constat de la réalité matérielle. Mais lui, il n’en reste pas là, il va plus loin ; il ne se contente pas de ce qu’il a devant les yeux, il ne se contente pas d’observer la réalité : à l’observation de la réalité il ajoute une chose essentielle, il ajoute la foi. Il vit et il crut, nous dit le texte.

Voir et croire. Cette absence, Jean la constate lui aussi, mais il en tire une autre conclusion que Marie : il croit que cette absence révèle la résurrection de Jésus.

Nous le voyons, avec Jean, il n’y a pas le constat de la réalité tout seul ; il n’y a pas non plus la foi toute seule, une foi qui serait déconnectée de la réalité ; non, il y a l’observation de la réalité associée à la foi. Jean est le seul des trois à faire tenir ensemble la réalité matérielle et la réalité spirituelle.

Notre foi part de la réalité observable. Mais si nous en restons là, nous n’irons pas plus loin que Pierre ou Marie de Magdala. Si nous en restons à la réalité observable, nous ne serons pas plus avancés, parce que nous resterons enfermés dans le monde de la matérialité. Il n’y a aucune preuve matérielle de la résurrection.

Affirmer que le Christ est ressuscité, ce n’est pas recourir à l’imaginaire et au merveilleux, comme dans l’extrait de l’Evangile apocryphe que nous avons lu. Ce n’est pas non plus porter un regard superficiel sur la réalité matérielle. Affirmer que le Christ est ressuscité, ce n’est pas choisir entre le constat brut de la réalité et la magie du merveilleux. Non, affirmer que le Christ est ressuscité, c’est tenir ensemble la réalité et la foi.

Jean n’est pas venu au tombeau dans l’intention de trouver quelque chose. Mais parce qu’il a su tenir ensemble la réalité et la foi, pour lui il se passe quelque chose. Lorsque Jean tient ensemble la réalité et la foi, il trouve quelque chose qu’il n’attendait pas – et qu’aucun disciple n’attendait : Il trouve cette foi en la résurrection, et cette révélation changera sa vie.

Comme lui, n’ayons pas peur de poser attentivement nos regards sur notre réalité. Mais comme lui aussi, ne nous arrêtons pas là, allons plus loin, et face à cette réalité entourons-nous de la confiance qui naît de la foi.

C’est parce que notre foi ne repose pas sur l’imaginaire et le merveilleux, mais sur une confiance qui ne vient pas de nous, que nous pouvons affirmer : Le Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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