Jean 20, 19-31 – Jésus-Christ se rend présent

Il y a une semaine, nous fêtions Pâques. Le récit d’aujourd’hui commence le jour de Pâques. Le matin, Marie de Magdala, Pierre et Jean ont vu un tombeau vide. De Jean, il nous a été dit qu’il avait cru, et de Marie qu’elle avait eu une apparition de Jésus-Christ. Ont-ils réussi à convaincre les autres disciples ? Il semblerait que non.

De toute façon, les disciples semblent avoir une autre préoccupation, un souci plus pressant : assurer leur propre sécurité. Ils ont peur d’être inquiétés par leurs coreligionnaires : si l’on a tué Jésus, pourquoi ne tuerait-on pas aussi ses disciples ? Alors ils ne quittent plus la maison qu’ils occupent. Et non seulement ils ne la quittent plus, mais ils s’y enferment à double tour.

Et là, dans leur enfermement, dans ce lieu où personne ne peut les rejoindre, Jésus-Christ leur apparaît. Tout à coup il est là, dans cette maison verrouillée à double tour.

A première vue, cet épisode peut nous faire penser à un roman fantastique, comme dans Le passe-muraille, cette nouvelle de Marcel Aymé où le dénommé Dutilleul, un employé de troisième classe au ministère de l’Enregistrement, qui portait binocle et barbiche noire, possédait le don extraordinaire de passer à travers les murs.

Mais Jésus-Christ n’est pas un passe-muraille et l’Evangile ne nous dit pas qu’il a traversé les murs : il nous dit simplement qu’il s’est rendu présent d’une manière inhabituelle. Nous n’avons donc pas affaire à un phénomène observable.

D’ailleurs, après la résurrection, les Evangiles nous montrent que Jésus-Christ ne se montre toujours qu’à des croyants. Et il y a de grandes divergences entre les différents récits de ces apparitions, comme si nous n’avions pas affaire à des faits réels. Les apparitions de Jésus-Christ ne se donnent donc pas à voir comme des faits objectifs, mais comme des manifestations de la foi des disciples.

Oui, cette apparition de Jésus-Christ est une manifestation de la foi des premiers croyants. Et comme toute manifestation de foi, elle est porteuse de sens, elle a une signification spirituelle. Oui, il y a une raison à cette présence de Jésus-Christ parmi ses disciples, et cette raison, c’est une parole qu’il leur adresse : la paix soit avec vous, shalom.

Derrière cette salutation banale, aussi banale que notre « bonjour », se révèle une annonce essentielle, l’annonce de la paix, qui est l’essence même du message évangélique. Et pour enlever toute ambiguïté, pour que cette parole ne soit pas prise comme une salutation banale, Jésus-Christ la répète deux fois. Puis il envoie ses disciples en mission, il fait souffler sur eux l’Esprit saint et il leur donne de pouvoir remettre les péchés, c’est-à-dire d’annoncer eux-mêmes aux autres cette paix de Dieu.

Le sens de cette apparition, c’est donc, par le Saint-Esprit, l’envoi des disciples en mission pour qu’ils annoncent le message libérateur de l’Evangile.

Mais ce n’est pas tout, cette apparition de Jésus-Christ aux disciples nous dit encore une chose importante mais qui peut passer inaperçue : le moment où elle se produit est capital, elle a lieu le premier jour de la semaine, c’est-à-dire un dimanche. Lorsque cet Evangile a été écrit, le dimanche est devenu le jour du Seigneur, le jour du rassemblement liturgique hebdomadaire, le jour où toute la communauté chrétienne se réunit.

Oui, c’est justement ce jour-là, ce jour où les chrétiens sont rassemblés liturgiquement, que Jésus-Christ se rend présent à eux. C’est une manière de nous rappeler que le Christ se rend présent dès que la liturgie commence. Et vous vous souvenez que notre liturgie commence par l’annonce de la grâce et de la paix. La résurrection se révèle au milieu de la communauté ecclésiale rassemblée.

Cette apparition de Jésus-Christ aux disciples a un effet stimulant : de la peur, ils passent à la joie, ils sont tous remplis de joie. Tous ? En fait, non pas tous, il en manque un, il manque Thomas. Où est-il et que fait-il à ce moment-là ? On ne le sait pas. Mais en tous cas il n’est pas là.

Et comme il a manqué cette expérience, Jésus-Christ ne s’est pas révélé à lui, et maintenant il n’arrive pas à partager la joie des autres disciples. Jésus-Christ n’a pas eu l’occasion de lui laisser la paix, de souffler sur lui le Saint Esprit. Thomas doit se sentir singulièrement différent, à part, peut-être même exclu du groupe. Et comme il doit regretter de ne pas avoir été là !

Est-ce à cause de lui, pour ne pas le laisser en reste, que les disciples sont toujours au même endroit et ne sont pas encore partis en mission ?

En tous cas, huit jours plus tard, rien n’a changé : les portes sont toujours verrouillées à double tour. Le chiffre huit n’est pas anodin : c’est le chiffre de la plénitude et de la résurrection. Et c’est alors que tous les disciples, Thomas compris, ont une nouvelle apparition.

Lorsqu’il leur apparaît, Jésus-Christ porte les traces des clous, une manière pour l’Evangéliste de nous montrer qu’il y a un lien entre la crucifixion et la résurrection.

Et alors, pour la troisième fois, Jésus-Christ répète cette salutation : shalom, la paix soit avec vous. Dès que Thomas entend cette parole, il n’a plus besoin de preuves, et c’est sur la base de cette parole qu’il peut confesser Jésus-Christ comme son Seigneur et son Dieu. Désormais, il est sur un pied d’égalité avec les autres disciples.

Nous, nous sommes dans la même situation que Thomas : nous n’avons pas vu le Ressuscité. Thomas personnifie les croyants de la génération à venir, et nous sommes les disciples de cette génération-là. Personne parmi nous n’a vu le Ressuscité ; nous faisons partie de ceux qui ne recherchent pas des preuves de la résurrection, nous faisons partie de ceux qui n’ont pas vu mais qui ont cru, et comme Thomas nous sommes sur un pied d’égalité avec les premiers disciples.

Comme le Christ a pu rejoindre les disciples dans leur maison verrouillée à double-tour, il peut nous rejoindre dans tous nos enfermements. L’apparition de Jésus-Christ fait entrer les disciples dans la liberté.

Les apparitions de Jésus-Christ aux disciples n’ont pas leur fin en elles-mêmes : elles visent à les envoyer pour qu’ils annoncent le message évangélique. Aujourd’hui, le Christ, par le Saint-Esprit, nous envoie nous aussi en mission pour annoncer le message que nous avons-nous-mêmes reçu, le message libérateur de l’Evangile. Et le lieu le plus approprié pour cet envoi, ce sont nos rassemblements liturgiques.

Amen.

Bernard Mourou

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