Jean 4, 5-42 – Un culte nouveau

Jésus est en chemin, loin de chez lui, en Samarie. Le voyage a été fatigant : il a soif, il n’a pas mangé, il est seul, la lumière est éblouissante.

La Samarie, coincée entre la Galilée au nord et la Judée au sud, était le passage obligé pour tout juif qui voulait se rendre le plus rapidement possible d’une province à l’autre.

Mais quand ils le pouvaient, les juifs évitaient de traverser la Samarie, pour ne pas se rendre impurs au contact de sa population.

Les juifs de cette région avaient été exilés pour une grande partie d’entre eux, et des étrangers s’étaient installés dans les lieux laissés à l’abandon. Il en avait résulté une modification des coutumes et de la religion. Le culte des Samaritains avait gardé certains points communs avec celui du judaïsme, mais il présentait aussi des différences, par exemple le choix du mont Garizim comme centre religieux.

Cette religion abâtardie n’avait pas la faveur des juifs. Et même si les Samaritains vivaient au milieu de vestiges qui rappelaient l’histoire d’Israël, comme ce puits de Jacob, et pouvaient revendiquer des ancêtres communs, cela ne diminuait en rien le mépris dont ils faisaient l’objet.

La suspicion des juifs envers les Samaritains était si totale qu’elle englobait même leurs récipients : il ne fallait surtout pas s’en servir, pour ne pas se rendre impur. Et on comprend alors pourquoi cette femme relève le fait que Jésus n’a pas de récipient : elle est consciente que s’il utilisait son récipient à elle, il deviendrait impur aux yeux de ses coreligionnaires.

Mais il se trouve que Jésus a soif et que son humilité lui permet de transgresser tous les codes sociaux : il n’hésite pas à demander à boire à cette femme, ce qui suscite chez elle une réaction de surprise.

Car si les Samaritains étaient méprisés, cette femme l’était doublement : elle était méprisée par les Juifs, en tant que Samaritaine, et elle était méprisée par ses coreligionnaires, à cause de ses compagnons successifs.

C’est pourquoi elle vient chercher de l’eau à midi, lorsqu’elle est sûre de ne rencontrer personne, parce que c’est le moment de la journée où tout le monde reste chez soi, à l’abri de la lumière et de la chaleur.

Dans la surprise de cette femme, on peut voir une méfiance, mais on peut voir aussi une grande prévenance à l’égard de Jésus : elle veut éviter qu’il se rende impur à cause d’elle. Cette seconde interprétation est plus féconde : bien que samaritaine, cette femme, par son attitude respectueuse, montre qu’elle est toute prête à reconnaître Jésus comme le Fils de Dieu.

Mais pour cela, il va falloir qu’elle change son regard et ses priorités. Et c’est à cela que Jésus va s’employer tout au long de la conversation qu’il aura avec elle.

Plus que pour n’importe quelle autre femme, aller chercher de l’eau est une véritable corvée. Cette eau est devenue le centre de ses préoccupations, elle occupe toutes ses pensées. Alors, Jésus cherche à déplacer son attention. Et c’est quand elle ne sera plus focalisée sur l’eau à aller chercher, qu’elle pourra recevoir la vie.

Au cours de la conversation, son regard sur Jésus est appelé à changer. Cela se fait progressivement :

  • Au début, elle voit Jésus comme un juif, probablement à cause de ses vêtements et de son accent ;
  • Après, elle l’appelle Seigneur, ce qui à l’époque est juste une marque de respect et n’a aucune connotation religieuse ;
  • ensuite elle se rend compte du mystère qui entoure sa personne ;
  • puis elle l’appelle prophète, c’est-à-dire qu’elle lui accorde un statut religieux ;
  • et enfin elle croit reconnaître en lui le Christ, c’est-à-dire l’objet de toutes les attentes, parce que les Samaritains avaient ceci de commun avec les juifs qu’ils attendaient eux aussi un Messie.

On le voit, il ne s’agit pas d’une conversion soudaine, mais plutôt d’une découverte graduelle. Et elle n’aboutit d’ailleurs pas à une affirmation, mais à une interrogation.

Il n’en demeure pas moins que cette femme a fait du chemin : elle, une femme et de surcroît une Samaritaine, elle est la première dans cet Evangile à associer Jésus à l’attente messianique.En déplaçant l’attention de cette femme, Jésus l’a mise sur la piste d’un culte nouveau : un culte non plus extérieur, mais intérieur.

Mais attention : ce serait un contresens absolu de comprendre ce culte intérieur comme un culte soumis à la subjectivité individuelle. Le culte que cette femme est sur le point de découvrir n’est pas intérieur parce qu’il serait marqué par sa propre subjectivité. Non, il est intérieur pour la seule raison qu’il relève de l’Esprit. A la première Pentecôte, l’Esprit saint viendra comme une instance extérieure, pour sauver l’être humain de sa subjectivité et de son enfermement sur soi. En d’autres termes, ce culte nouveau prend ses distances avec toutes les représentations que cette femme pourrait se faire de Dieu.

Non, nous n’avons pas ici l’éloge d’une religion individualiste et subjective, tout au contraire : Jésus a délivré cette femme de sa propre subjectivité. Elle vivait au gré de ses sentiments, sans respecter les règles sociales en vigueur, elle enchaînait les aventures sans jamais pouvoir parvenir à construire un foyer stable. Cela lui avait valu le mépris de ses voisins, et certainement encore plus de ses voisines, qu’elle essayait d’éviter.

Non, cette nouvelle manière de rendre un culte à Dieu n’est pas marqué par la subjectivité et l’individualisme. Preuve en est que cette femme n’a pas découvert cette vérité en elle-même, mais dans un dialogue avec Jésus. Si elle était restée avec elle-même, elle serait restée prisonnière de ses sentiments et de ses conceptions, mais Jésus, en parlant simplement avec elle, lui a fait entrevoir une réalité différente.

Et, bien que samaritaine, cette femme a su reconnaître le mystère inhérent à la personne de Jésus-Christ et ainsi elle a eu accès à un culte nouveau. Tous les Juifs n’ont pas entrevu cette vérité, mais cette femme samaritaine, elle, elle a eu cette révélation, grâce à son attitude de respect et d’accueil, a pu entrevoir cette vérité et la faire partager à son entourage. Et nous aujourd’hui, comme cette femme samaritaine, nous sommes au bénéfice de ce culte en Esprit, qui nous libère de nos subjectivités et de nos individualismes.

Amen.

Bernard Mourou

 

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