Jean 6, 51-58 – Traversée du désert

La période de l’été est propice au tourisme et aux voyages. Pour ceux qui ont la chance de pouvoir partir en vacances, c’est un moment privilégié pour rompre avec les habitudes, pour découvrir autre chose  que ce qui fait le quotidien : d’autres paysages, d’autres cultures, d’autres personnes. Mais il y a aussi ceux qui vont là où il n’y a rien, là où il n’y a personne. Ceux-là vont aller à la découverte du désert.

Même s’il n’y a rien dans le désert – ou peut-être justement parce qu’il n’y a rien – le désert attire. Le désert attire parce qu’il est à la fois fascinant et inquiétant. Il permet de se retrouver soi-même. Mais il n’est pas exempt de dangers. Et le principal danger, c’est de se retrouver sans plus rien à boire ni à manger. Dans le désert, a mort menace donc en permanence.

Lorsque le peuple hébreu a quitté l’Egypte pour se rendre dans la terre promise, il a dû traverser un désert. Mais Dieu ne l’a pas abandonné, il ne l’a pas laissé défaillir en chemin. Pendant quarante ans le peuple hébreu a survécu, il n’est mort ni de faim ni de soif.

Dieu a pourvu à sa nourriture. Une nourriture tout à fait particulière : la manne. Chaque matin, le peuple la trouvait en quantité suffisante pour la journée. Ce qui a frappé ceux qui l’ont mangée pour la première fois, c’était son caractère étrange, au point qu’il se sont écrié : Man hou ? qui signifie Qu’est-ce que c’est ? en hébreu, et qui a donné en français notre mot manne.

Même si dans nos pays nous avons toujours à manger ou à boire, même si la plupart d’entre nous ne sont jamais allés dans un véritable désert, ce désert dont parlent les Ecritures trouve un écho en nous. Le désert trouve un écho en nous parce qu’il nous renvoie à une autre réalité : non pas un désert au sens géographique du terme, mais un désert au sens spirituel. Notre société aussi en est consciente : aujourd’hui, les nouvelles spiritualités sont à la mode.

Le texte de cet Evangile nous donne une clef pour survivre dans les déserts du monde. Jésus se présente comme le pain vivant descendu du ciel, et il fait allusion à la manne quand il dit : Tel est le pain qui descend du ciel : il n’est pas comme celui que vos pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement.                                                                                               

Lorsque l’apôtre Paul écrit aux Corinthiens, il leur présente d’abord Christ comme celui qui est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu, puis il souligne le caractère spirituel qu’avait déjà la manne pour les Hébreux. Il leur dit : Nos ancêtres ont tous été sous la protection de la colonne de nuée, et tous ils ont passé la mer Rouge. Tous, ils ont été pour ainsi dire baptisés en Moïse, dans la nuée et dans la mer ; tous, ils ont mangé la même nourriture, qui était spirituelle ; tous, ils ont bu à la même source, qui était spirituelle ; car ils buvaient à un rocher qui les accompagnait, et ce rocher, c’était déjà le Christ.

Si, plus près de nous, dans les Cévennes et ailleurs, après la révocation de l’Edit de Nantes, pendant cette période appelée justement la période du Désert, si donc nos prédécesseurs dans la foi ont pu résister, tenir ferme, et finalement maintenir leur identité spirituelle, c’est parce qu’ils s’abreuvaient à la Parole de Dieu et qu’ils étaient prêts à courir des risques considérables pour venir écouter des prédicateurs. Et il est toujours ainsi lorsque des chrétiens doivent défendre leur différence dans un monde hostile : c’est toujours grâce à cette Parole qui leur donne la force de résister.

Le Deutéronome rappelle au peuple hébreu : Le Seigneur t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour te faire découvrir que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur.

En effet, contrairement aux idoles, qui sont muettes, le Dieu des Israélites est un Dieu qui parle. Dès le tout début de la Genèse, Dieu crée au moyen de sa Parole. La parole est la caractéristique fondamentale du Dieu des Israélites. Et le début de l’Evangile de Jean ne nous dit pas autre chose, puisqu’il commence ainsi : Au commencement était le Verbe, la Parole de Dieu, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Notre Dieu nous parle, il veut instaurer un dialogue vivant avec nous, un dialogue dans lequel nous l’écoutons et nous lui parlons, un dialogue qui nous gardera de l’idolâtrie.

Lorsque nous parlons, c’est pour exprimer quelque chose : une pensée, un sentiment, un besoin. Une parole doit toujours à exprimer quelque chose, sinon elle n’est qu’une nuisance. En envoyant Jésus-Christ dans notre monde, le Père nous a exprimé sa volonté de nous sauver de la futilité pour nous conduire vers la vraie vie.

Certes, nous pouvons discerner dans le texte de cet Evangile bien d’autres choses encore. Il n’est pas interdit d’y voir aussi une allusion à la célébration de la Cène, et ce n’est pas contradictoire. Augustin, et Calvin, à sa suite, désignait les sacrements sous le terme de parole visible, pour les opposer à la parole audible de la prédication. La prédication exprime quelque chose. Quand elle est célébrée, la sainte Cène exprime aussi quelque chose, mais elle l’exprime d’une autre manière : non par des mots, mais par des gestes et des signes. La prédication est la parole qu’on entend, la Cène est la parole qu’on voit. Ce dualisme parole audible / parole visible a été repris par les Réformateurs.

Mais le courant réformé a insisté, à juste titre, sur le fait que la célébration de la Cène ne serait qu’un simulacre insignifiant si elle n’était pas d’abord expliquée par la Parole de la prédication. Pour nous, réformés, la sainte Cène a toute sa place, mais elle est seconde par rapport à la Parole de la prédication. C’est pourquoi nous ne la célébrons pas chaque dimanche. C’est la Parole de la prédication qui fait exister cette autre Parole : la Parole du sacrement.

C’est à cette Parole de Dieu sous ses différentes formes que ce texte de l’Evangile renvoie. Ce qui va nous aider à survivre dans nos déserts spirituels, c’est cette Parole. Fondée sur Jésus-Christ lui-même, elle est supérieure à la manne qu’ont mangé les Israélites. Car si la manne leur a permis de survivre, elle ne les a cependant pas empêchés de mourir : ils ont connu le sort réservé à tous les humains, la mort ne les a pas épargnés.

Il n’en va pas de même de la nourriture spirituelle qui nous est offerte en Jésus-Christ. Dans le livre des Proverbes, la Sagesse est présentée comme un arbre de vie. Cette sagesse de Dieu, c’est Jésus-Christ. La nourriture spirituelle qu’il nous offre nous donne la vie éternelle.

Dans le désert, un homme ne peut pas vivre plus de quelques semaines sans manger, et pas plus de quelques jours sans boire. Pourrons-nous vivre plus longtemps sans une Parole de Dieu ? Alors pendant le calme de ce mois d’août, avec le discernement que nous donne le Saint-Esprit, allons à la rencontre de cette Parole en nous rendant attentifs à tout ce qui nous parle de Christ. Toute Parole qui nous vient de Dieu transforme nos déserts en oasis.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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