Jean 6, 60-69 – A qui irions-nous ?

 

 

Ce dimanche, nous parcourons une nouvelle fois l’Evangile de Jean. Nous sommes parvenus à la fin du chapitre six. Tout ce chapitre qui est consacré au pain qui fait vivre, au pain de vie. Nous méditions encore là-dessus dimanche dernier.

Ce chapitre six avait commencé, vous vous en souvenez, avec la multiplication des pains. Jésus avait nourri miraculeusement une foule considérable, une foule de 5 000 hommes, plus les femmes et les enfants, avec en tout et pour tout les cinq pains d’orge et les deux poissons d’un enfant. Les gens qui étaient là avaient suivi Jésus de l’autre côté du lac. Puis Jésus a parlé sur ce pain de vie. Et maintenant nous arrivons à la fin de ce long discours.

Jésus parle à ces gens. Il a une parole de vérité, il ne veut tromper personne, il ne veut pas de malentendus.

Non, il ne mettra pas les Romains dehors. Non, il ne fera rien pour ceux qui ne croient pas en lui. Non, il n’est pas ce magicien qu’ils voudraient voir en lui. Au contraire, il leur laisse même pressentir, à mots couverts, son départ prochain : Et si vous voyiez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant… Non, Jésus ne trompe personne. Il fait preuve de la plus grande honnêteté vis-à-vis de ces gens. Une marque d’un profond respect à leur égard.

Ce que leur propose Jésus, ce n’est pas ce qui correspond à leurs rêves, à leurs désirs ou à leurs fantasmes. Ils souhaiteraient entendre un autre discours. Et nous aussi, peut-être, nous souhaiterions parfois quelque chose d’autre. Mais ce « quelque chose d’autre » ne pourrait nous ramener qu’à la chair, c’est-à-dire à notre finitude humaine.

Oui, nous souhaiterions parfois autre chose. Et pourtant, quand nous y réfléchissons, voudrions-nous vraiment entendre autre chose ? Entendre un autre discours ? Ecouter quelqu’un d’autre ? Ou bien dirons-nous avec Pierre : A qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Car finalement, ce que nous propose Jésus, n’est-ce pas ce qu’il y a de mieux pour nous ?

Oui, les paroles de la vie éternelle valent bien de renoncer à tous les rêves, à tous les désirs, à tous les fantasmes, qui au bout du compte nous ressemblent trop, qui nous ramènent à notre finitude humaine, qui nous ramènent à la chair, c’est-à-dire à ce qui s’oppose à l’Esprit. Pour nous, ce que Dieu nous propose peut paraître déroutant, mais, contrairement aux apparences, c’est là qu’est le chemin de la vraie vie.

Seulement, parmi tous ces gens, la franchise de Jésus ne provoque rien d’autre que de l’incompréhension. Ils ne sont pas prêts à entendre ces paroles. Et sans doute ne le seront-ils jamais, car il nous est dit que Jésus savait dès le début quels étaient ceux qui ne croyaient pas.

La réaction de ces gens est de dire : Cette parole est rude ! Qui peut l’écouter ? Et ils s’en vont, déçus. Au début de l’histoire, il y avait 5 000 hommes, et maintenant il n’y en a plus que douze. Si l’on ne regarde que les chiffres, c’est un échec notoire pour Jésus. Sa popularité est devenue insignifiante, réduite à presque rien : une audience qui tombe en quelques instants de 5 000 à 12…

Oui, presque tous sont partis. Ils ne se sont attachés à Jésus que pour un temps, que pour une durée limitée. Car leur engagement était fondé sur un malentendu. Mais maintenant, au moins, les choses sont claires.

Jésus aurait pu en rester là. Eh bien non : c’est le moment qu’il choisit pour adresser cette question à ceux qui sont restés : Et vous, ne voulez-vous pas partir ? Curieuse stratégie pour quelqu’un qui a pour vocation de rassembler les foules. Veut-il faire partir ses derniers sympathisants ? Sa question est-elle l’expression du désespoir ?

Non, bien sûr. Jésus ne veut pas faire du nombre, et il vaut mieux y voir une invitation adressée aux disciples pour qu’ils considèrent leurs propres doutes, qui ne les ont sans doute pas épargnés, une invitation à voir leurs doutes en face, pour éviter qu’ils se les cachent à eux-mêmes, pour éviter qu’ils les refoulent dans leur inconscient. Par sa question, Jésus les invite à lui exposer ouvertement leurs hésitations : une démarche salutaire. Là encore, Jésus fait en sorte que les choses soient claires.

Une limite est tracée. Mais qu’est-ce qui fait donc la différence entre ces gens qui s’en vont et le petit groupe des douze qui reste ? La réponse est dans le texte. Jésus le dit clairement : Il en est parmi vous qui ne croient pas. Ce qui fait la différence, ce n’est pas ce que les gens auraient pu faire pour Jésus. Ce ne sont pas les mérites qu’ils pourraient faire prévaloir devant lui. Non, tout cela est ramené à zéro. Ce qui fait la différence, ce n’est rien d’autre que leur foi. Car Jésus vient nous rejoindre dans notre finitude, mais il la dépasse pour nous amener vers la vie. Et le canal qu’il utilise, c’est la foi.

Et c’est ce moment de clarification que Pierre saisit pour se positionner. Il prend à son compte la démarche que Jésus propose. Il affirme sa foi avec assurance : Tu as des paroles de vie éternelle. Et nous, nous avons cru et nous avons connu que tu es le Saint de Dieu. Sa confession est en même temps une confession de foi personnelle et une confession de foi communautaire : Pierre se fait le porte-parole des Douze. Sa confession de foi joue le même rôle que celle que nous disons dans notre liturgie chaque dimanche. Sa confession de foi donne une cohérence au petit groupe qui est en train de se constituer. Elle évite au petit groupe des apôtres de se déliter. Elle fédère le petit groupe naissant.

C’est un moment charnière. Il est intéressant de noter que dans l’Evangile de Jean, c’est la seule fois où il est fait mention des Douze. C’est donc cette confession de foi de Pierre qui fonde ce qui plus tard deviendra l’Eglise. Dans cette foi que Pierre proclame, quelque chose de capital est en gestation.

Et les mots que Pierre utilise ont tout leur poids : Nous avons cru et nous avons connu : Sa confession souligne que la foi et la connaissance sont liées, et que c’est la foi qui entraîne la connaissance, et non l’inverse. Il ne s’agit pas de savoir d’abord et de croire ensuite, mais de croire d’abord. Le théologien Karl Barth disait : Croire signifie connaître.

Oui, la foi est première. Elle est première, non parce qu’elle serait une œuvre humaine, mais parce qu’elle est une attitude d’accueil. Cette attitude d’accueil et de confiance à l’égard de Jésus est la seule valable. La seule qui ouvre les portes de la connaissance et de la vie.

Alors, nous l’avons vu, dans le chapitre six de l’Evangile de Jean, la foule qui suit Jésus s’est considérablement réduite. Mais peu importe : ce n’est pas le nombre qui compte. Ce qui pourrait être considéré comme un échec par un regard extérieur est en fait le chemin que tracent la vérité et la vie. Jésus a dit la vérité à cette foule. Il a opéré un travail de clarification. La ligne de partage passe par la seule foi. Sola Fide. La foule se divise : Il y a ceux qui s’en vont, et il y a ceux qui restent et qui se reconnaissent dans le constat de Pierre : A qui irions-nous ? Puissions-nous dire comme eux : A qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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