Jonas 3,1-10 – L’esprit de sérieux

Dimanche 25 janvier 2015 – Temple de Manosque

Prédication du pasteur Bernard Mourou

Avec son allure de conte pour enfants, le livre de Jonas présente une certaine originalité parmi les livres bibliques, et le personnage de Jonas est une figure marquante, qui évoquera pour certains d’entre nous des souvenirs d’enfance, parce que Jonas parle à tous, aux jeunes comme aux moins jeunes.

Et ce n’est pas un hasard si ce livre et son personnage bénéficie d’une telle sympathie : l’auteur de ce livre sait manier l’humour à merveille, cet humour qui fait cruellement défaut à tous ceux qui sont sous l’emprise d’un faux sérieux, de cet esprit de sérieux lourd et pesant dont se moquait Nietzsche, cet esprit de sérieux qui gangrène notre monde et qui fait du tort à toutes les religions dans lesquelles il sévit.

Dans un tel contexte, cette figure de Jonas est salutaire, parce que bien que prophète, c’est-à-dire un habilité à parler au nom de Dieu, Jonas provoque le rire, tant il est remplis de contradictions, comme nous-mêmes nous sommes aussi des êtres contradictoires à certains moments. 

Car le personnage de Jonas n’est pas à une contradiction près : il a bien compris la grâce de Dieu à son égard et dans sa mission il en use avec une grande liberté, au point d’en faire à sa tête et de partir dans la direction opposée à celle de l’endroit où Dieu lui a demandé d’aller prêcher : Dieu lui avait demandé de se rendre à Ninive en Babylonie, mais au lieu de cela Jonas s’était en allé à Tarsis, c’est-à-dire dans l’Espagne actuelle ; Dieu l’avait envoyé à 1 000 km à l’est de chez lui, et Jonas n’avait pas hésité à faire 2 500 km dans la direction opposée, vers l’ouest ! 

Mais cette liberté qu’il s’octroie à lui-même, Jonas ne l’accorde pas aux autres. Il estime que les habitants de Ninive, qui ne sont pas le peuple de l’Alliance, n’ont pas accès à cette grâce : ce sont des pécheurs qui doivent mourir. Le monde de Jonas est simple, c’est un monde en noir et blanc : il y a lui et il y a les autres. 

Voilà la grande contradiction dont il fait preuve à son insu. Pour lui, il y a vraiment deux poids et deux mesures, mais il n’est absolument pas conscient de sa propre incohérence. 

Oui, ce personnage de Jonas est drôle et sympathique, parce qu’il nous ressemble. Nous qui sommes réunis dans ce temple ce matin, nous sommes bien convaincus d’être au bénéfice de la seule grâce de Dieu – du moins je l’espère – et nous sommes foncièrement libres, mais comment voyons-nous ceux qui ne partagent pas notre foi ? Est-ce que nous les voyons comme des gens méprisables ou comme des personnes aimées de Dieu, au même titre que nous ?

Si la parole de la grâce est efficace, ce n’est certainement pas grâce aux aptitudes de Jonas, mais parce qu’elle a sa propre dynamique. Oui, comme dans tous les livres de la Bible, ici la parole de la grâce est efficace, d’abord par rapport à Jonas, qui cette fois-ci se lève aussitôt et part pour Ninive, contrairement à la première fois, où il s’était aussi levé, mais pour partir dans la direction opposée. Oui, la parole de la grâce est efficace, et c’est ce que nous dit ce texte du livre d’Esaïe : La parole de Dieu ne revient pas à Dieu sans avoir produit d’effet, sans avoir réalisé ce qu’il voulait, sans avoir atteint le but qu’il lui a fixé

Ninive symbolise la capitale du monde païen, et l’auteur nous la présente comme si grande qu’il faut trois jours de marche pour en faire le tour. Mais Jonas, lui, en fait le tour en un jour, comme s’il faisait cela à contrecœur et voulait expédier sa mission, comme s’il était finalement toujours dans le même état d’esprit, comme s’il n’adhérait pas vraiment à la mission que Dieu lui confie.

Et pourtant, contre toute attente, malgré les inaptitudes de Jonas et malgré les pesanteurs de leur propre histoire, les Ninivites commencent à se repentir et à croire en Dieu. 

En fait ils ne se mettent pas à croire à la religion d’Israël : ils croient simplement en leur propre religion, une religion qui prônait, comme celle d’Israël, des normes éthiques strictes. 

Car les Ninivites ne se mettent pas tout à coup à croire au Dieu d’Israël : ils retrouvent juste leur fidélité à leur propre religion, où la foi commence par un jeûne de repentance depuis le roi jusqu’aux animaux.

La religion de Ninive s’enracinait dans le code de Hammourabi, ce texte juridique qui avait été gravé sur une stèle dans la ville de Suse en Babylonie datant de quatre mille ans qu’on a découverte au début du XXe siècle. Aujourd’hui on peut la voir au musée du Louvre. 

Ce code de Hammourabi traite de toutes les questions qui permettent une vie harmonieuse en société, depuis la condamnation du vol jusqu’à celle du meurtre, en passant par celle de l’adultère. Et en ce sens le code de Hammourabi présente beaucoup de similitudes avec les lois éthiques que l’on trouve dans la Torah. 

Non, le livre de Jonas n’est pas un texte qui se prend au sérieux, pas plus que Dieu ne se prend au sérieux, Dieu qui dans ce livre change d’avis, revient sur une décision tenue par tout fondamentaliste comme immuable et ne pouvant souffrir aucune remise en question, aucun repentir. 

Ici Dieu change bien d’avis, il se repent, et en se repentant il rend tous les repentirs possibles, même les repentirs les plus improbables, même les repentirs de cette population ninivite dépravée, qui avait cessé de respecter même son propre code de loi et qui symbolisait pour les juifs tout le mal dont étaient porteurs les peuples étrangers.

Oui, le livre de Jonas manie l’humour, et tous nos fondamentalistes sont incapables d’en saisir le sens. Tout au plus peuvent-ils disserter pour savoir si la taille de Ninive nécessitait bien trois jours de marche pour en faire le tour, ou à quelle espèce appartenait ce poisson qui n’avait fait de Jonas qu’une bouchée… 

En maniant aussi bien l’humour, le livre de Jonas nous ouvre la possibilité d’une véritable espérance : celle qui affirme haut et fort que rien n’est irrémédiable, que tout peut être sauvé, sauf peut-être… la bêtise humaine.

Amen.

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