Luc 1, 26-38 – La foi de Marie

S’il y a dans la Bible un personnage qui fait a l’objet, dans l’histoire de l’Eglise, de polémiques et d’interprétations divergentes, c’est bien le personnage de Marie.

Il me semble que personne ne parle bien d’elle. Dans la piété populaire catholique, on tend à placer Marie sur le même plan que Jésus-Christ. On en fait presque une divinité féminine. Certaines ont avancé l’idée qu’elle pourrait être co-rédemptrice. Mais il faut bien sûr faire la part des choses et reconnaître que ce n’est pas la position officielle de l’Eglise catholique. Il n’empêche que cette attitude se rencontre chez certains catholiques.

Quant à nous, les protestants, nous ne ferions pas cette erreur. Nous ne disons jamais rien de faux sur Marie. Il n’y a d’ailleurs aucun risque, parce que, par réaction contre le catholicisme, nous n’en parlons presque pas. Et nous nous empressons de dire que les Evangiles parlent très peu d’elle. C’est vrai, elle apparaît peu dans les Evangiles. Pourtant, il ne fait aucun doute que Marie a été une source d’information majeure pour Luc lorsqu’il a écrit son Evangile. De nombreux éléments n’ont pu lui être donnés que par elle.

Lui donner une trop grande importance, ou ne pas lui en donner du tout : deux attitudes extrêmes. Et si nous avions une approche plus équilibrée ? Marie peut être pour nous un modèle de foi.

Alors aujourd’hui, je vous invite, pour une fois, à vous pencher avec moi sur ce texte de Luc, qui nous raconte cet épisode marquant dans la vie de Marie : l’Annonciation, qui a souvent inspiré les peintres.

Dans l’Annonciation, tout commence par une intervention de Dieu. C’est lui qui agit et qui prend l’initiative. C’est lui qui envoie l’ange Gabriel vers Marie.

L’Annonciation. Quand a-t-elle eu lieu ? Elle n’est pas daté par rapport au règne des rois, comme le ferait une chronique historique. L’Annonciation est datée par rapport à la grossesse d’Elisabeth. Ce n’est pas un hasard : la naissance de Jésus est mise en relation avec la naissance de Jean-Baptiste. Où a-t-elle lieu ? Elle a lieu à Nazareth, une petite bourgade méconnue, loin du Temple de Jérusalem : la naissance de Jésus est mise en relation avec la vie quotidienne la plus banale. On n’est pas avec les grands de ce monde.

On n’est pas avec les grands de ce monde, et pourtant. La première chose que ce texte nous apprend sur Marie, c’est qu’elle a la faveur de Dieu et que le Seigneur est avec elle. Avec Marie, on est, aux yeux de Dieu, en présence d’une personne très importante. Comme d’autres personnages des Ecritures, Marie a été mise à part, elle a été distinguée par Dieu. Mais ce n’est pas grâce à des qualités exceptionnelles : ce qui la distingue, c’est seulement la grâce de Dieu qui s’accomplit en elle. Et Luc nous dit cela avec un clin d’œil, avec une certaine légèreté : en grec, il y a un écho entre le verbe traduit par sois joyeuse, et l’expression traduite par toi qui as la faveur de Dieu. La grâce est présente dans tous les sens du terme.

Qui est Marie ? La première chose que ce texte nous apprend d’elle, c’est qu’elle a une grande sensibilité : on nous dit qu’elle fut très troublée, ou selon d’autres traductions, très émue. Non, Marie n’est pas cette femme forte, sûre d’elle-même, elle n’est pas cette Madone, que la tradition a parfois vue en elle. En revanche on trouve chez elle un grand respect, une grande révérence devant les choses divines, devant la sainteté de Dieu, une révérence qui rappelle celle des grands témoins de la foi : celle de Moïse devant le buisson ardent, celle d’Elie dans la caverne, ou celle d’Esaïe devant les anges de feu.

Ensuite, nous voyons que Marie a une vie intérieure intense : elle ne demande pas à l’ange la signification de tout cela, mais elle se le demande à elle-même. Elle pense, avant de parler. Et puis, elle est craintive, sinon l’ange n’aurait pas eu à lui dire : Sois sans crainte.

Mais surtout, il y a chez elle quelque chose d’étonnant, de surprenant : Marie n’a pas la foi simple que l’on pourrait imaginer : Marie a des objections. Le genre d’objections que l’on trouve en général chez les intellectuels. Elle demande : Comment cela se fera-t-il ? Elle comprend que cette annonce doit avoir lieu tout prochainement. Et elle veut savoir le pourquoi du comment. Pour elle, ce que lui dit l’ange n’a pas de sens : elle ne s’est pas encore approchée de son fiancé Joseph. Elle connaît les lois de la nature, on ne la lui fait pas : pour elle, ce que l’ange lui annonce est tout simplement impossible. On le voit, la foi de Marie n’exclut pas la réflexion et le questionnement.

Marie reconnaît le mystère, mais cela ne l’empêche pas de poser des questions. Les deux ne sont pas incompatibles. Et l’ange va devoir expliquer, argumenter. Il va devoir lui donner des détails sur la manière dont va agir le Saint-Esprit. Il va devoir expliquer que le Saint-Esprit couvrira Marie. Pour Marie, qui connaît bien les Ecritures, cette image évoque la nuée qui a conduit le peuple d’Israël à travers le désert. Cette nuée à la fois révélait et cachait la présence de Dieu. Elle rendait Dieu à la fois proche et distant. Avec sa perception de ce qui est saint, Marie va se trouver toute proche de Dieu. C’est son respect pour la sainteté de Dieu qui va rendre possible la plus grande proximité, la plus grande intimité avec lui.

On le voit, le questionnement de Marie n’aura pas été inutile, puisqu’il va permettre le dévoilement du plan divin. L’ange va aborder la question de cette naissance virginale, qui a fait l’objet de controverses. Je crois que ce serait passer à côté de ce texte que de vouloir comprendre comment cette naissance virginale s’est passée concrètement. Mais une chose est sûre, c’est qu’en nous racontant cet événement de cette manière et pas d’une autre, Luc veut nous dire quelque chose : il veut nous dire que Jésus est à la fois Dieu et homme. Dieu par le Saint-Esprit, et homme par Marie. Cette idée est d’ailleurs soulignée par le choix du verbe utilisé pour dire être enceinte, qui signifie aussi réunir, prendre ensemble.

La foi de Marie reconnaît d’abord le mystère divin. Puis elle ne laisse pas de côté la raison et donne libre cours à ses questions, sans se censurer. Mais elle n’en reste pas là, elle ne s’arrête pas aux questions : une fois qu’elle a posé ses questions, elle va plus loin et elle fait pleinement confiance à Dieu : Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu me l’as dit ! 

On le voit, Marie peut être pour nous un modèle de foi. Elle nous montre que la grâce de Dieu nous précède ; elle nous montre que la foi repose sur une intériorité ; elle nous montre que la foi n’est pas incompatible avec les questions suscitées par la raison ; elle nous montre que les choses divines ne peuvent être approchées qu’avec respect, avec révérence ; et enfin elle nous montre que ce respect, cette révérence, donnent accès à une intimité avec Dieu, une intimité qui ouvre sur la confiance, une confiance pleine et entière.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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