Luc 10, 1-20 – Disciples anonymes

Quand les Evangiles mentionnent les disciples, il s’agit des Douze : douze disciples, douze apôtres, dont les noms nous sont parvenus.

Même si les listes diffèrent quelque peu d’un Evangile à l’autre, les disciples ont un nom, ils ne sont pas des acteurs anonymes, sauf dans ce passage précis de l’Evangile de Luc, qui nous parle d’un cercle plus large de soixante-douze disciples, soixante-douze disciples anonymes.

En fait, les manuscrits hésitent entre le nombre soixante-douze et soixante-dix. Et cette hésitation nous montre clairement que l’Evangéliste veut faire référence au nombre des peuples de le terre qui sont énumérés dans le livre de la Genèse : le texte hébreu mentionne soixante-dix peuples, et le texte grec de la Septante soixante-douze. Ici, Luc fait donc ici une allusion évidente à l’universalité du message évangélique.

Qui sont ces soixante-dix ou ces soixante-douze disciples ? Est-ce qu’ils sont des disciples de seconde zone, puisque l’Evangéliste ne prend même pas la peine de donner leurs noms. Les Ecritures, y compris les Evangiles, ne sont pourtant pas avares en listes généalogiques, toutes ces listes que le lecteur trouve en général fastidieuses et qu’il saute la plupart du temps.

On ne peut pas manquer de se poser cette question de la primauté, parce que, vous nous souvenez peut-être, juste avant, les Douze demandent à Jésus qui d’entre eux est le plus grand. Nous sommes dans ce contexte où ils se préoccupent de la place qui leur sera attribuée lorsque Jésus sera sacré roi de Jérusalem – parce qu’à ce moment-là de l’histoire, les Douze croient encore que Jésus exercera un pouvoir politique.

Regardons ce que l’Evangéliste nous dit des Douze et ce qu’il nous dit de ce cercle élargi des Soixante-dix ou Soixante-douze, et comparons.

Ces disciples anonymes sont envoyés deux par deux, mais il n’y a là rien d’exceptionnel : c’était le cas aussi des Douze.

Quant à leur engagement, il n’a rien à envier à celui des Douze. Jésus ne les ménage pas : ils sont envoyés comme des agneaux au milieu des loups, les voilà prévenus ; cela ne doit pas être très rassurant pour eux.

En plus, ils doivent se sentir dans une grande précarité, puisqu’ils partent sans argent, sans provisions pour la route, et sans sandales de rechange. Ils ne sont même pas sûrs d’avoir un toit, puisque Jésus leur laisse entrevoir qu’ils ne seront pas accueillis partout. Ils rejoignent la catégorie de ceux qu’on appelle aujourd’hui les sans domicile fixe.

Malgré tout, ils ne semblent pas avoir peur, ou en tous cas ils surmontent leur peur, et ils ne rechignent pas devant les difficultés annoncées. On sent que Jésus peut leur faire entièrement confiance. Il n’y a aucune ombre au tableau, aucune défaillance dans leur comportement, ce qui ne sera pas toujours le cas des Douze, même de ceux qui joueront un rôle de premier plan.

Et puis ils sont investis d’une mission précise et bien définie : guérir les malades. Ils sont habilités à faire des miracles.

Et ces miracles, le texte nous laisse bien entendre qu’ils les ont faits. Mais il nous apprend aussi quelque chose d’intéressant : ces disciples anonymes ne se sont pas contentés de guérir les malades, ils ont aussi chassé les démons.

Chasser les démons, les Douze n’y sont pas toujours arrivés : juste avant, il est fait mention de leur échec, un échec cuisant : ils ne sont pas parvenus à guérir un enfant en proie à des attaques démoniaques.

Non, ces disciples anonymes n’ont rien à envier aux douze disciples qui accompagnaient Jésus. Finalement, ils ont même fait plus que certains parmi les Douze, comme Jacques fils d’Alphée, ou Simon le zélote, ou encore Jude fils de Jacques, dont l’Evangile n’a retenu aucun fait marquant.

Avec ces soixante-dix ou soixante-douze disciples, Luc nous rappelle que le message évangélique est un message universel car, vous vous souvenez, leur nombre rappelle le nombre des peuples de la terre, de tous ces peuples qui n’appartiennent pas au peuple juif. Comme pour nous dire que nous sommes tous appelés. Oui, le message évangélique qu’il nous est donné de transmettre s’adresse à tous. Il n’y a aucune restriction, aucune limite à la grâce de Dieu.

Cette grâce de Dieu qui est annoncée par un mot : un shalom retentissant qui vient en premier. Shalom, pour dire qu’on en vient tout de suite à l’essentiel, sans perdre plus de temps. Shalom, pour dire qu’il n’y a aucune condamnation dans le discours. La condamnation dont parle le texte vient du fait que certains n’écoutent pas et ne s’approprient pas la grâce de Dieu.

Ces disciples anonymes seront entendus ou pas, tout comme Jésus a été entendu par certains et pas par d’autres. Comme eux, nous sommes, chacun pour notre part, les ambassadeurs de ce message annonciateur de paix. Et nous serons écoutés ou ignorés de la même manière que Jésus était parfois écouté et d’autres pas.

Contrairement aux Douze qui veulent savoir qui d’entre eux est le plus grand, ces disciples anonymes ne se préoccupent pas de leur renom aux yeux des autres. Et alors, au lieu de se montrer revendicatifs, ils sont dans la joie, une joie enfantine qui ne se préoccupe d’aucune ambition personnelle, émerveillés qu’ils sont de voir l’œuvre de Dieu s’accomplir à travers eux. Tout comme l’immense majorité des chrétiens qui ont fait et font encore l’histoire de l’Eglise, ils ont leurs noms inscrits dans les cieux, ils ont leurs noms inscrits dans le livre secret de Dieu, et cela leur suffit.

Car ceux dont l’histoire a retenu le nom ne sont qu’une poignée, et de tous les autres on a oublié le nom. Mais les uns et les autres ont joué un rôle indispensable. Quant à nous qui sommes réunis ce matin, il est peu probable que l’histoire retienne un jour le nom de quelqu’un parmi nous. Et pourtant, chacun de nous a un rôle indispensable pour la vie de l’Eglise et c’est pourquoi, notre nom est inscrit dans les cieux, dans le livre secret de Dieu.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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