Luc 14, 1-14 – Un banquet sinistre

L’Evangile de ce dimanche est dans le prolongement direct de celui de dimanche dernier. Il vient le compléter.

Le texte de dimanche dernier était ce texte bien connu de la porte étroite. Une porte par laquelle on ne pouvait passer qu’un par un et dépouillé de toute présomption, y compris celle de vouloir se justifier soi-même.

Jésus engageait vivement ses auditeurs à faire tous leurs efforts pour entrer par cette porte étroite, et il laissait entendre que les païens devanceraient les Juifs, tout simplement parce qu’eux, ils étaient conscients de leur indignité. Eh bien c’est toujours de cette humilité que parle le texte de ce dimanche.

Jésus est invité par un pharisien. Et pas n’importe lequel : Il s’agit d’un chef pharisien, influent et respecté. Et ce chef pharisien, à l’égard de Jésus, ne montre pas la même bienveillance que cet autre pharisien qui avait pour nom Simon et dont, vous vous souvenez, nous avions parlé au début de l’été.

Ses amis non plus ne montrent pas particulièrement bienveillants. L’ambiance est délétère. Sinistre. On nous dit de ce pharisien et de ses amis qu’ils observent Jésus. De toute évidence, ils cherchent à le prendre en défaut.

Jésus n’est pas dupe. Il est tout de suite sensible à l’ambiance. Alors il prend les devants et leur pose cette question : Est-il permis ou non de guérir un malade le jour du sabbat ? Une manière de montrer qu’il ne se laisse pas intimider et qu’il garde toute sa liberté d’action.

En effet, ce n’est pas la première fois que des pharisiens lui reprochent de faire des guérisons le jour du sabbat. La dernière en date, c’était au chapitre précédent, quand Jésus avait guéri une femme infirme dans la synagogue et qu’il avait été pris à parti par le chef de la synagogue.

Si Jésus pose cette question provocatrice, c’est parce que, par parmi les invités, il y a un homme malade dont personne ne se soucie. Et qui d’ailleurs ne demande rien. Cet homme est hydropique. L’hydropisie était suffisamment grave pour aller jusqu’à provoquer la mort.

Les pharisiens ne s’attendaient pas à ce que Jésus prenne les devants. Ils sont pris de court. Interloqués. Réduits au silence. Ils ne trouvent rien à répondre.

Alors Jésus insiste, en proposant à leur imagination une autre situation : Il leur demande d’imaginer que leur fils, ou encore leur bœuf, tombe dans un puits un jour de sabbat. Il est bien évident, il est hors de doute que là, ils feraient tout pour retirer du puits leur fils ou même ce bœuf.

Jésus met ainsi en évidence leur incohérence. Il met en évidence le fait que le sort de cet homme hydropique leur est complètement indifférent, mais qu’en revanche il en va tout autrement lorsqu’il s’agit d’une bête qui leur appartient ou de leur propre fils. Là, leur intérêt est en jeu. Là, ils feront le nécessaire.

Et une nouvelle fois, les pharisiens ne trouvent rien à répondre. Une nouvelle fois ils sont réduits au silence. Ils sont réduits au silence parce qu’ils connaissent la Loi, et ce texte du Deutéronome qui dit : Tu ne t’esquiveras pas, si tu vois l’âne ou le bœuf de ton frère tomber en chemin : tu ne manqueras pas d’aider ton frère à le relever.

Mais toute cette assemblée est formée de gens qui ne regardent que leur propre intérêt. Ils s’invitent entre eux. Ils invitent ceux qui leur ressemblent. Ceux qui sont à même de leur rendre la pareille en les invitant à leur tour. Leur comportement est intéressé. La gratuité, ils ne connaissent pas.

L’histoire ne s’arrête pas là. Maintenant, ce sont les invités qui cherchent tous à se mettre aux meilleures places, c’est-à-dire aux places les plus proches du chef pharisien. Apparemment, Jésus n’a pas réussi à mettre les invités de son côté : Le chef de la synagogue semble n’avoir rien perdu de son prestige auprès de ses invités. Ces gens n’ont aucun égard pour les autres. Décidément, l’ambiance n’est pas très engageante.

Dans les écrits du judaïsme, il y avait cette image du banquet qui aurait lieu en présence de Dieu à la fin des temps. On la trouve par exemple dans le livre d’Esaïe. Mais ici, chez ce chef pharisien, Jésus voit une image de ce banquet une image caricaturale. Une image en négatif. Ni les chefs religieux ni leurs invités n’ont un sens de la divinité. La divinité de Jésus leur reste voilée.

Elle leur reste voilée parce que chacun n’est préoccupé que de son propre intérêt. Chacun est tourné vers lui-même et vers ceux qui sont du même monde. Or, l’Evangile, c’est exactement l’inverse. L’Evangile, c’est la gratuité et l’ouverture à l’autre.

Décidément, les usages de cette assemblée sont bien loin de ceux qui prévalent dans le Royaume de Dieu. Alors maintenant, c’est à tous les invités que Jésus s’adresse, et là ce texte fait écho à celui de dimanche dernier. Les invités dévoilent leurs motivations profondes. Leur problème, c’est qu’ils ne vivent pas dans la gratuité. Ils ne connaissent pas le sentiment d’indignité. Ils ne connaissent pas l’humilité. Ils sont remplis d’eux-mêmes et ne font place ni à l’autre ni à Dieu.

Mais cette attitude va justement les conduire à l’humiliation. L’humiliation de se voir refuser la place qu’ils leur croyaient due.

Car ici il ne s’agit pas de la fausse humilité qu’il est de bon ton de montrer lorsqu’on est poli et que l’on connaît les convenances. Les usages de la bonne société. Non, ici, il s’agit de la véritable humilité qui est incontournable lorsque l’on se trouve en présence de Dieu. La véritable humilité qui n’attend rien en retour, mais qui est juste le constat de tout ce qui sépare l’être humain de Dieu.

Nous ne sommes pas invités à ressembler à cette sinistre assemblée, mais à une assemblée bienveillante qui sache vivre dans la gratuité, sans rien attendre de ses bonnes actions. Alors nous serons semblables à celui dont il est dit : Le Christ, Jésus, de condition divine, n’a pas voulu se prévaloir de son égalité avec Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur. […] Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a conféré le nom qui est au-dessus de tout nom.

Amen.

 

 

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