Luc 17, 5-10 – Avez-vous une foi assez grande ?

Prier pour qu’un arbre se déracine et se jette dans la mer : Quelle drôle d’idée ! Le type même du miracle gratuit. Jésus voudrait-il inciter ses disciples à faire des miracles qui frappent les imaginations ?

Mais on sait que Jésus a toujours refusé de faire ce genre de miracles et vraiment, on voit mal comment il encouragerait ses disciples dans cette voie.

Alors, si Jésus ici n’a pas à l’esprit un miracle farfelu et inutile, que veut-il nous dire avec cet arbre qui se jette dans la mer ?

D’abord une précision : on ne sait pas très bien de quel arbre il s’agit. Le mot grec peut désigner un sycomore ou un mûrier. Mais dans les deux cas, les probabilités que cet arbre se trouve arraché sont faibles : le mûrier était supposé avoir des racines très fortes, tout comme le sycomore, dont le bois était réputé incorruptible.

Alors voyons pourquoi Jésus propose cette image à ses disciples. En fait, il utilise cette image pour répondre à leur demande : Augmente en nous la foi. En nous. On pourrait aussi traduire pour nous. Les disciples croient-ils que la foi est en eux et qu’elle leur appartient, qu’ils en ont la maîtrise et qu’ils peuvent la faire croître à leur guise, pour leur propre compte, au gré de leurs désirs et de leurs phantasmes ? 

Le problème des disciples, c’est qu’ils regardent à eux-mêmes, à leurs mérites et à leurs défaillances. Cette façon de comprendre la foi conduit tout droit à une instrumentalisation de Dieu et au fanatisme.

La réponse de Jésus leur montre que cette foi dont ils parlent est illusoire : Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde… Jésus ne pense pas que leur foi est petite, comme eux-mêmes le croient, mais qu’elle est inexistante ! Oui, nous avons bien entendu, Jésus leur dit : si vous aviez de la foi… Cette foi qu’ils croient avoir, en fait ils ne l’ont pas.

Et en ce qui nous concerne, il n’est pas besoin que nos prières soient farfelues pour ne pas être exaucées. Nous avons tous l’expérience prières inexaucées.

Immanquablement, ces expériences nous ont fait nous poser des questions sur notre foi. Qui d’entre nous n’a jamais été effleuré par l’idée que nous avions une responsabilité dans cette absence de réponse, que c’était dû à notre manière de croire, à notre foi ou notre absence de foi. Et alors, comme les disciples, nous avons peut-être souhaité avoir une foi plus efficace, ou plus grande !…

Cela peut nous réconforter de savoir que les disciples ressentaient la même chose que nous lorsqu’ils ont fait cette demande à Jésus d’augmenter leur foi.

Seulement voilà, la foi n’est pas de l’ordre du quantifiable, pour être augmentée à notre gré. Dire que notre foi est petite ou grande n’a tout simplement pas de sens.

Revenons à la réponse que Jésus fait à ses disciples : il leur répond que la foi n’a pas besoin d’être augmentée, que la foi, c’est la foi. En fait, il les emmène sur une autre voie, pour leur montrer que la foi, on ne la possède pas, que la foi, c’est l’œuvre de Dieu, qu’on n’a aucune emprise sur elle, puisque c’est Dieu qui nous la donne ; tout ce qui est en notre pouvoir, c’est de l’accueillir.

La foi n’a pas pour vocation de réaliser nos petites espérances et nos désirs égoïstes, mais de permettre aux desseins de Dieu, qui nous dépassent, de s’accomplir.

Donc si la foi est un don, elle ne peut pas être dissociée de celui qui en est l’auteur. En ce sens, on ne possède pas la foi, on n’en dispose pas et on ne peut pas se reposer sur elle : c’est seulement sur celui qui nous la donne qu’il s’agit de nous reposer.

En fait, la foi est efficace non en elle-même, non dans sa force propre, mais seulement dans la mesure où elle est le canal, le moyen, qui nous relie à Dieu.

C’est pour cela que Jésus compare la foi avec une graine de moutarde. La graine de moutarde, c’est l’image proverbiale de la petitesse ; elle était considérée comme la plus petite de toutes les graines. Et pourtant sa petitesse ne l’empêche ni d’avoir une saveur très relevée, ni de donner naissance à une plante d’une taille considérable.

Ce qui compte ici pour Jésus, c’est d’éviter que ses disciples assimilent la foi à un pouvoir de thaumaturge, un pouvoir qui ferait d’eux des magiciens, tout en préservant l’idée que rien n’est impossible à Dieu, même une chose aussi difficile que de déraciner un sycomore ou un mûrier.

Alors maintenant que nous avons vu que la foi n’est pas, peut-on en donner une définition, pour savoir de quoi l’on parle ?

Qu’est-ce que la foi ? Pour ma part je retiendrai la définition qu’en donnait le cardinal Newman. Voici ce qu’il disait de la foi : Quand nous sommes tentés de la saisir pour ainsi dire avec nos mains, […] nous lui substituons un sentiment, une idée, une conviction ou un acte de raison […]. Nous cherchons alors des expériences personnelles plutôt que Celui qui est au-delà de toutes les expériences.

Il n’est pas bon que le croyant se focalise sur elle, parce qu’alors il se focalise sur lui-même, sur sa propre intériorité. La foi est incontournable, tout passe par elle, et pourtant elle n’est rien en elle-même, seulement un canal. Un moyen.

La foi n’est rien d’autre que la réponse de l’homme à l’initiative de Dieu. C’est seulement dans ce cas où on peut véritablement parler de foi. Sinon, ce n’est rien d’autre qu’une volonté de toute-puissance en complète contradiction avec l’esprit du christianisme.

Et c’est justement parce que la foi n’est rien en elle-même qu’elle permet à la puissance de Dieu d’agir.

Alors, toute tentative de vouloir augmenter sa foi doit nous faire prendre conscience que notre spiritualité a besoin d’être réformée. Heureusement, c’est à la portée de chacun de nous, plutôt que de vouloir être des super-héros de la foi, de chercher simplement à l’accueillir. La foi ne se mesure pas.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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