Luc 19, 28-44 – Quand l’histoire bégaie

En ce dimanche des Rameaux, je vous propose de resituer le texte d’aujourd’hui dans notre déroulement liturgique. Comme vous le savez, notre année liturgique commence avec le premier dimanche de l’Avent, quatre semaines avant Noël, et elle se termine avec la fête du Christ roi de l’univers. Notre année liturgique reprend donc le parcours de Jésus, qui est venu parmi les hommes comme un enfant, et qui sera finalement révélé comme Roi de l’univers, un parcours qui va vers un aboutissement, vers un accomplissement.

Mais il arrive que l’histoire bégaie, et c’est le cas avec l’entrée de Jésus à Jérusalem, qui est choisi chaque année pour le dimanche des Rameaux.

Jésus fait son entrée à Jérusalem. Les foules sont venues l’acclamer ; elles mettent beaucoup d’espoir en lui ; elles attendent le Messie annoncé par les prophètes ; mais elles s’en font une image qui ne correspond pas à la réalité : non, Jésus ne sera pas ce Messie qui chassera l’occupant romain pour redonner au pays sa souveraineté politique et instaurer un règne de paix.

Pourtant, plusieurs détails de cette entrée à Jérusalem sont susceptibles d’entretenir le malentendu : d’abord Jésus est monté sur un âne. Aujourd’hui, ce détail peut être mal compris : on a tendance à y voir surtout une marque d’humilité ; mais A l’époque, l’âne était la monture prise par un roi qui voulait montrer ses intentions pacifiques. Oui, Jésus vient en roi à Jérusalem, pour apporter la paix. Pour renforcer cette idée, l’Evangile de Luc est le seul à préciser que cet ânon n’a jamais été monté et qu’on le laisse pour Jésus sans aucune espèce d’hésitation.

Et puis les foules honorent Jésus par leurs acclamations, et aussi en mettant leurs vêtements sur son chemin, un peu comme aujourd’hui lorsqu’on déroule le tapis rouge devant une personnalité.

Ici je voudrais faire une courte parenthèse : nous appelons ce dimanche le dimanche des Rameaux parce que dans les récits parallèles chez Marc et chez Matthieu, sur le chemin en plus des vêtements les gens déposent aussi des feuillages ; mais dans l’Evangile de Luc, il n’est pas question de feuillages : Luc ne parle que des vêtements.

Et enfin, Jésus est en marche vers Jérusalem, la ville du roi David, la ville où devra être couronné le successeur de David.

Tout laisse donc penser que Jésus est effectivement sur le point de devenir roi à Jérusalem, un roi qui succédera à David et à Salomon, un roi qui apportera la paix.

Nous-même, si nous lisions cet Evangile pour la première fois, nous pourrions le croire. Un certain suspense qui laisse ouverte la possibilité que Jésus soit couronné roi à Jérusalem.

Quant à la paix, il en est fortement question dans ce texte, puisque la foule elle-même s’exclame : paix dans le ciel, comme en écho aux paroles des anges à Noël, avec cependant une différence importante : à Noël, les anges disaient paix sur la terre, à Noël, c’était une paix qui venait du ciel sur la terre ; ici, nous avons exactement l’inverse : c’est une paix qui est censée partir de la terre pour se diriger vers le ciel, comme si les hommes se mettaient à la place de Dieu ; ce sont eux qui annoncent la paix et qui disent paix dans le ciel.

Mais les hommes sont incapables de faire la paix par eux-mêmes. Toute paix véritable est une paix qui va de Dieu vers les hommes, et non des hommes vers Dieu. La paix dont il est question ici est vouée à l’échec, parce qu’elle vient des hommes et non de Dieu.

Ici nous sommes dans un creux de l’histoire ; nous sommes dans un moment où l’histoire bégaie ; nous ne sommes pas encore au bout de l’histoire ; nous sommes entre le Christ Nouveau-né et le Christ Roi de l’univers.

Et nous savons que même les acclamations de la foule, même les acclamations de ceux qui passent à ce moment pour les disciples de Jésus, nous savons que toutes ces acclamations seront de courte durée, et que la foule changera bientôt radicalement d’attitude et demandera la mort de Jésus. Ceux qui attendent de Jésus la libération du pays et le bien-être pour tous vont être déçus.

D’ailleurs, déjà au milieu des acclamations, il y a une fausse note : des pharisiens viennent jouer les rabat-joie ; leur mauvaise humeur vient gâcher la fête, lorsqu’ils disent à Jésus de reprendre ses disciples.

Non, Jésus ne sera pas sacré roi à Jérusalem, et la remarque désobligeante des pharisiens sert de prétexte à l’Evangéliste pour nous montrer que Jésus n’est pas dupe : il pleure sur Jérusalem. Oui, au milieu de toutes ces acclamations, Jésus pleure sur Jérusalem.

Jésus pleure sur Jérusalem non pas tant parce qu’il devine le sort qu’elle va lui réserver, mais surtout parce qu’il voit les souffrances qui attendent ses habitants. Jusque là, c’était des villes sans grande importance qui avaient manqué de le reconnaître et de se convertir : Jésus s’était déjà lamenté sur les villes de Chorazin et de Bethsaïda, qui avaient fait venir la malédiction sur elles et avaient fait dire à Jésus : Malheureuse es-tu Chorazin ! Malheureuse es-tu, Bethsaïda !

Mais maintenant c’est au tour de Jérusalem, la ville clé, la capitale religieuse, la ville du Temple. Jésus devient prophète et annonce les calamités qui vont s’abattre sur ses habitants parce qu’elle n’a pas su reconnaître son Messie : il annonce le siège et la destruction de la ville. Oui, c’en est bien fini : Jérusalem va faire basculer le sort de tout le pays. A l’heure où l’Evangéliste écrit, cette prophétie s’est réalisée : il y a plus d’une dizaine d’années que Jérusalem a été détruite et que ses habitants ont été tués ou ont été dispersés.

Alors non, la fête des Rameaux ne marque pas la fin de l’histoire. Ici Jésus n’a pas encore été révélé comme le roi de l’univers. La fête des Rameau, c’est juste le récit d’un malentendu. Mais comme dans tout malentendu, il y a des éléments de vérité, des détails qui annoncent ce qui doit venir. Mais pour l’heure, si les foules pressentent que Jésus est roi, elles ne sont cependant pas prêtes à accueillir sa manière à lui d’être roi.

Jésus n’est pas encore reconnu comme Roi de l’univers. La fête des Rameaux est un peu là comme une parenthèse heureuse mais de courte durée, comme un épisode en apesanteur avant les souffrances de la Passion.

La fête des Rameaux nous mène n’est qu’une étape qui nous mène à Pâques. Ce n’est pas la fête du Christ roi de l’univers. La fête des Rameaux est juste la dernière étape avant la Passion.

Quant à nous, qui avons reconnu Jésus, nous avons une espérance : l’espérance qu’un jour l’amour triomphera et que Jésus sera unanimement reconnu comme Roi de l’univers.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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