Luc 2, 1-20 – Marie retenait tous ces événements en en cherchant le sens

Le récit de Luc nous est familier. Tous les éléments dont il parle, nous les retrouvons dans la crèche de Noël : l’étable, la mangeoire, les bergers, les anges. Et ici en Provence, nous y sommes plus sensibles qu’ailleurs, parce que les crèches font l’objet d’un soin tout particulier et sont très belles.

Mais dans ce récit de la Nativité, ce n’est pas aux éléments de la crèche que je voudrais m’intéresser, mais à un petit détail indissociable de la crèche – ou plutôt à ce qui semble être un détail : lorsqu’il nous est dit que Marie retenait tous ces événements en en cherchant le sens.

Curieuse remarque de la part de Luc. Si Marie retenait tous ces événements en en cherchant le sens, c’est que probablement le sens de ces événements ne lui apparaissait pas de manière évidente. Nous avons parfois une image éthérée de Marie, mais les Evangiles nous la montre comme une femme toujours en prise avec la réalité.

Et si nous considérons ce qu’elle a vécu à ce moment de sa vie, nous pouvons tout à fait comprendre sa perplexité, car les événements sont déroutants, et ni elle, ni Joseph n’en ont la maîtrise.

D’abord, dans le récit de Luc, il y a ce recensement qui vient d’être décrété par l’Empereur César Auguste ; des tracasseries inutiles ; ce recensement oblige Marie à traverser tout le pays ; une longue route depuis la Galilée jusqu’en Judée ; plusieurs jours de marche ; pour une femme enceinte, ce n’est pas ce que l’on peut souhaiter de mieux.

Et puis, un recensement ne présente aucun intérêt pour la population : il sert juste à calculer le montant des impôts qu’elle pourra payer à Rome, et le nombre de soldats qui pourront être enrôlés. Si le recensement n’est pas souhaitable pour Marie et Joseph, il n’est pas non plus souhaitable pour l’ensemble des habitants. Alors, tout cela a-t-il un sens ?

En tous cas, chez Marie et Joseph, il n’y a pas trace de la moindre récrimination ; aucune tentative de se rebeller contre les autorités romaines. D’ailleurs, plus tard l’Enfant, ne sera pas plus un opposant politique que ses parents : non, il aura une action sera plus radicale : mettre en lumière ce qui asservit vraiment l’homme, à savoir le péché ; cela signifiera bien une contestation des autorités en place, mais une contestation qui découlera de cette dénonciation, et pas une contestation frontale.

En plus, dans ce voyage imposé, rien ne semble venir atténuer les difficultés, au contraire : avec les mouvements de populations dus au recensement, il n’y a pas de place dans la salle d’hôtes. Le couple doit trouver un autre endroit pour accueillir la naissance de l’Enfant. Cet endroit, ce sera une étable et sa mangeoire : rien de conventionnel, rien de très confortable non plus.

Et puis, il y a ces bergers qui viennent rendre hommage à l’Enfant ; oui, de simples bergers, des gens humbles, dont métier les tenait à l’écart des pratiques religieuses et qui pour cette raison étaient méprisés ; de simples bergers, et pas des dignitaires religieux ou politiques.

Tous ces événements, à première vue, ne conviennent pas vraiment pour la naissance du Messie d’Israël.

Donc il y a d’un côté ces événements sur lesquels Marie et Joseph n’ont aucune prise et qui ne semblent pas relever d’une quelconque volonté divine, et de l’autre côté, il y a cette annonce que l’ange a faite à Marie, à laquelle elle s’accroche en la gardant précieusement dans sa mémoire : la promesse d’une naissance extraordinaire, un fils qui sera appelé Fils du Très-Haut… 

Comment faire tenir ensemble ces événements qui semblent dépourvus de sens et cette promesse ? Ce n’est pas facile. Dieu semble bien loin de toutes ces tracasseries du quotidien.

Alors Marie réfléchit, tandis que les bergers s’en retournent en chantant la gloire et les louanges de Dieu. Marie retient tous ces événements en en cherchant le sens. Son attitude contraste complètement avec celle des bergers. Pour comprendre, elle a besoin d’intérioriser tous les événements qu’elle a été amenée à vivre, comme elle a intériorisé la promesse de l’ange. La philosophe Hannah Arendt disait que la profondeur ne pouvait être atteinte autrement que par le souvenir. Cela, Marie le savait.

Le récit de Luc ne fait pas l’impasse sur ces événements qui portent la marque de la banalité. Il parle de ce qui, à première vue, ne relève pas de l’extraordinaire. Il ne brosse pas une grande fresque romanesque, au contraire : le tour de force de ce récit est de nous montrer ce qui se cache derrière la banalité du quotidien. Et ce qui se derrière cette banalité, ce n’est pas l’absurdité du néant, mais l’action secrète de Dieu, cette action cachée de Dieu qui se laisse deviner, mais qui ne s’impose jamais à nous de manière évidente. Pour la décrypter, il nous faut recourir à la foi, comme le fait Marie.

Contrairement à ce que l’on voudrait parfois nous faire croire, la foi ne frappe pas l’imagination. Elle n’a rien d’un spectacle de cirque, rien qui frappe les regards. Car l’Evangile, c’est autre chose, quelque chose de plus grand que cela : l’Evangile est cette parole extraordinaire posée sur des événements tout à fait banals, tout à fait ordinaires, tous ces événements fastidieux qui occupent chacune de nos vies.

Et l’Evangile réussit à faire pressentir la trame de Dieu derrière nos histoires marquées par la banalité du quotidien. L’Evangile transfigure cette banalité, comme le chercheur d’or découvre le précieux métal au fond de la rivière boueuse, le nettoie et le fait briller à la lumière.

La foi, c’est peut-être simplement cela : savoir où porter notre attention, comme Marie ; savoir discerner ce qui requiert notre intérêt, notre méditation ; et ne pas perdre notre temps et notre énergie avec ce qui est secondaire, avec ce qui ne nous parle pas de Dieu. Marie a conservé en mémoire l’annonce de l’ange et elle n’a pas porté son attention aux les tracasseries du quotidien.

Alors, Noël, c’est bien sûr le Sauveur qui nous est né ; mais Noël, c’est aussi Marie qui interroge les événements qu’elle est amenée à vivre et qui tente d’en trouver le sens à la lumière des promesses divines, pour ne pas faire mentir la Parole extraordinaire qui lui a été adressée. Nous aussi, Noël nous invite à nous arrêter sur les événements significatifs que nous vivons, à nous les remémorer, pour en faire une relecture à la lumière de la Révélation.

Cette fête de Noël nous donnera alors la conviction que nos circonstances de vie, même si elles nous paraissent difficiles ou incompréhensibles, nous renvoient à une réalité plus décisive et plus fiable. Comme Jésus qui, malgré une naissance marquée par l’humilité, et par une certaine précarité selon nos critères occidentaux du XXIe siècle, est bien le Messie attendu, celui à qui tout a été remis, celui qui est au-dessus de tous.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

 

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