Luc 2, 16-21 – Marie gardait toutes ces choses et les repassait dans son coeur

La période de Noël est passée. La frénésie des achats et des préparatifs en tous genres aussi. Certains s’en trouveront soulagés.

Nous voici maintenant au seuil d’une nouvelle année. Nous voici au début d’un temps vierge qui nous est confié, un temps sur lequel, si Dieu le veut, nous allons pouvoir écrire la suite de notre histoire.

Ce matin, Dieu nous a convoqué, et nous avons répondu à son appel. Alors, dans ce temps mis à part dans nos vies trépidantes, virevoltantes, je vous propose de vous arrêter un instant, je vous propose de faire une pause le temps d’un culte.

Et comme il y a deux semaines, je vous invite à faire cette pause en vous laissant inspirer par le modèle que Marie nous a donné, parce que Marie a su s’arrêter et réfléchir sur les bouleversements qu’elle a vécus.

Une des choses que nous avions vu il y a deux semaines, c’est que Marie avait une foi tout intérieure, une foi profonde. Aujourd’hui, nous allons nous pencher sur un aspect particulier de cette intériorité.

Marie vient de vivre un événement extraordinaire. Elle a mis au monde un enfant, et ce n’est pas une simple naissance que Marie a vécue. Quelques mois plus tôt, Marie recevait la visite de l’ange Gabriel, qui lui annonçait qu’elle serait enceinte. Cet enfant devait être appelé Fils du Très-Haut. Il devait monter sur le trône de David, il devait régner pour toujours sur Israël, son règne ne devait pas avoir de fin, et sa naissance ne devait pas suivre les lois de la nature. Et voici maintenant que cet enfant est né.

Et les bergers viennent dire à Marie ce que leur a annoncé l’ange du Seigneur. L’ange du Seigneur leur a annoncé que cet enfant nouveau-né sera le sauveur d’Israël, qu’il sera le Christ, c’est-à-dire le Messie que les juifs attendent. Ce n’est pas rien. On pouvait difficilement faire plus. Et pourtant, cette fois-ci, Marie ne pose pas de questions comme la première fois, lorsqu’elle avait reçu la visite de l’ange Gabriel.

Il y a deux semaines, nous avions vu que la foi de Marie se manifestait par son intériorité et par sa profondeur. Le passage d’aujourd’hui nous montre la même attitude, la même foi intérieure et profonde.

La philosophe Hannah Arendt disait que la profondeur ne pouvait être atteinte par l’homme autrement que par le souvenir. C’est exactement ce que fait Marie : elle garde toutes les choses qui lui ont été dites par les bergers dans sa mémoire et les repasse dans son cœur. Elle sait qu’elle a vécu un événement d’une portée capitale. Elle sait que la parole que Dieu lui a adressée par l’intermédiaire des anges et des bergers est infiniment précieuse, et elle se familiarise avec cette parole. Elle sait cela, comme le savait Samuel, qui ne laissait tomber à terre aucune parole de Dieu.

Nous aussi, si nous avons un intérêt pour les paroles que Dieu nous donne au cours de nos vies, nous nous familiariserons avec elles, nous les garderons dans notre mémoire et les repasserons dans notre cœur.

Cet Evangile de Luc, un peu plus loin, nous racontera un autre épisode où Marie aura exactement la attitude, un épisode où Marie repassera ces choses dans son cœur. Cela se passera lorsque Jésus, à l’âge de douze ans, ira seul dans le Temple : Marie gardera toutes ces choses dans son cœur. Cette attitude de vie est devenue pour Marie une habitude, quelque chose de naturel.

Marie a compris que le meilleur moyen d’aborder le mystère de Dieu, ce n’est pas de le saisir avec l’intellect, parce que Dieu ne peut pas être cerné, Dieu ne peut pas être saisi, Dieu ne peut pas être maîtrisé. Le meilleur moyen d’aborder le mystère de Dieu, c’est de le faire avec l’intelligence du cœur. Le mystère de Dieu doit être médité avant d’être atteint. C’est seulement ainsi que nous pourrons entrer progressivement dans la connaissance de Dieu, parce que la foi, ce n’est pas tout comprendre : c’est s’émerveiller devant la grandeur du mystère divin.

Et là, notre mémoire peut jouer un rôle de premier plan. Pour Augustin d’Hippone, ce père de l’Eglise qui a le plus marqué les Réformateurs, Dieu habite dans notre mémoire, et c’est dans notre mémoire que nous trouvons Dieu. Rien moins que ça !

Notre mémoire ne garde pas tout, elle fait un tri, et ne laisse subsister que ce qui en vaut la peine, en court-circuitant le temps. Le peintre Balthus dira que la mémoire, c’est le temps vaincu. Oui, notre mémoire nous fait sortir de la temporalité, et par là elle nous donne un aperçu de la vie avec Dieu, ce Dieu qui est hors du temps. Notre mémoire est donc un avant-goût de ce qui nous attend.

C’est pourquoi nous ne devons pas mépriser notre mémoire : elle est un lieu que Dieu peut venir habiter. C’est ce que disait déjà Augustin. Je le cite : Grande est cette puissance de la mémoire, prodigieusement grande, ô mon Dieu ! C’est un sanctuaire d’une ampleur infinie. Qui en a touché le fond ? Et plus loin : Vous habitez en elle (il s’adresse à Dieu), car je me souviens de vous, depuis que je vous connais, et c’est en elle que je vous trouve, lorsque je pense à vous.

Mais ce n’est pas tout : notre mémoire nous donne aussi notre identité. Nous sommes qui nous sommes parce que nous avons une histoire qui nous est propre. C’est notre histoire qui fait de nous des individus, et c’est en nous rappelant notre histoire que nous avons conscience de cette identité qui fait de nous qui nous sommes

En ce premier jour de l’année, nous sommes résolument tournés vers l’avenir. Mais nous ne partons pas de zéro : nous avons tous une histoire. Cette histoire, que nous l’aimons ou non, elle nous est précieuse, parce qu’elle fait de nous qui nous sommes. S’il est bon de recourir à notre imagination pour préparer l’avenir, il est bon aussi de recourir à notre mémoire, et de retenir ce que Dieu y a laissé, pour construire notre avenir avec lui.

Ecoute, Dieu nous parle, c’est le thème de notre future Eglise protestante unie de France. Oui, si Dieu nous parle, nous avons à l’écouter. Mais nous avons aussi, comme Marie, à repasser dans nos cœurs les paroles qui nous ont été données. Une fois que Dieu nous a parlé, il ne s’agit pas de passer superficiellement à autre chose. Il ne s’agit pas d’être oublieux. Il s’agit au contraire de garder ces paroles que Dieu nous donne, il s’agit de garder ces paroles dans notre mémoire et de les repasser dans notre cœur, comme Marie savait le faire. Ces paroles sont notre vie.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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