Luc 2, 22-40 – une espérance sans illusions

Après avoir mis en scène des bergers qui passaient les nuits dans une région périphérique du pays, et soudain enveloppés dans la gloire lumineuse de Dieu et invités à la naissance de Jésus, voici maintenant que notre Evangéliste porte toute son attention sur deux personnes bien différentes, deux vieillards qui vivent dans le centre religieux du pays et dont toute la vie s’organise autour du Temple. Ces deux vieillards s’appellent Siméon et Anne.

Nous ne savons pas à quel moment de leur vie Siméon et Anne ont commencé à avoir la conviction de voir le Messie de leurs propres yeux, mais ce qui est sûr, c’est que l’espérance qui est d’ordinaire le propre de la jeunesse ne les a jamais quittés.

Nous en avons tous fait l’expérience, lorsque nous attendons quelque chose et que cette chose tarde à venir, notre espérance a tendance à s’émousser et il est difficile de la maintenir vivante. Ce n’est pas ce qui s’est passé pour Siméon et Anne : à travers les années, tous deux ont su garder la flamme de l’espérance, et c’est pourquoi malgré leur grand âge, ils restent jeunes d’esprit et pleins de fraîcheur.

L’écrivain Georges Bernanos disait que l’espérance est la plus difficile victoire qu’un homme puisse remporter sur son âme. Cette victoire, Siméon et Anne l’ont remportée.

Oui, Siméon et Anne restent jeunes d’esprit, et en voici la preuve : mieux que personne ils sont capables de comprendre l’avenir avec clairvoyance. Non, ce n’est pas à des jeunes que le privilège de voir l’avenir est donné, mais à deux vieillards.

Dans une époque obnubilée par le jeunisme, c’est une réalité qui doit retenir toute notre attention. Il est normal que dans une Eglise chaque tranche d’âge puisse être représenté, mais ne nous désolons pas pour autant si dans nos Eglises la moyenne d’âge est élevée : l’expérience de l’âge n’est pas à négliger, Siméon et Anne en sont la plus belle preuve.

A ces deux vieillards impliqués dans la vie religieuse juive, il va être donné de voir dans le Temple le Sauveur de leur peuple. Après nous avoir raconté la naissance de Jésus dans un lieu périphérique et sans importante, maintenant Luc rend Jésus visible à tous en le plaçant dans le Temple de Jérusalem. Après avoir souligné son humanité, notre Evangéliste souligne maintenant sa divinité.

Siméon et Anne gravitent autour du Temple. Tous deux attendent dans la confiance un meilleur avenir pour leur peuple. Arrivés à la fin de leur existence terrestre, tous deux continuent à veiller et à espérer : après avoir mis en valeur les bergers dans le passage que nous avons lu à Noël, ce sont maintenant sur ces vieillards que Luc attire notre attention. Ce sont eux qui vont avoir le privilège de faire la transition entre le monde de l’ancienne alliance et le monde de la nouvelle alliance.

Dans son Evangile, Luc attache beaucoup d’intérêt à Jérusalem et au Temple. C’est là qu’il situe le début et la fin de son récit, et c’est encore là qu’il situera le début du livre des Actes, qui est la suite de l’Evangile, l’Evangile et le livre des Actes n’étant au départ qu’un seul ouvrage. Le Temple de Jérusalem, c’est le lieu de la présence divine.

Oui, c’est dans un cadre déterminé, celui de la tradition juive, que Dieu va susciter du nouveau, et c’est pourquoi il met en scène deux personnes complètement impliquées dans la vie religieuse juive et qu’il inscrit Jésus dans la tradition juive.

Dans l’ancienne alliance, tout nouveau-né devait être racheté et c’est ce qui se passe dans notre récit : ses parents suivent scrupuleusement les prescriptions de la Loi. Mais jésus, qui appartient à Dieu, n’a pas besoin d’être racheté. Son rachat va alors servir au rachat d’Israël.

Oui, Jésus est donné à voir dans le cœur de la vie religieuse juive. Il y avait certainement beaucoup de monde ce jour-là au Temple de Jérusalem. Mais ce n’est pas tout de voir cet enfant, encore faut-il savoir reconnaître en lui le Sauveur d’Israël, le Messie attendu par le peuple, ce que font Siméon et Anne, avec leur expérience du grand âge et leur piété religieuse qui est la leur.

Le texte nous dit qu’Anne était une prophétesse. Pourtant, ce n’est pas elle qui va prophétiser, elle va se contenter de louer Dieu et de propager la nouvelle à propos de l’enfant.

Celui qui va prophétiser, c’est Siméon. Et sa prophétie révèle l’accomplissement d’un grand espoir : mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël, mais pas seulement, dans la mesure où elle se termine par une annonce en demi-teinte : cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction, et toi – s’adressant à Marie – ton âme sera traversée d’un glaive.

Nous voyons par là que la piété de Siméon est associée à sa longue expérience de vie : sa prophétie ne se contente pas de discerner en Jésus le Messe attendu, mais fait preuve d’une remarquable clairvoyance.

Siméon comprend dès cet instant quelle sera la trajectoire de Jésus. Il comprend que le Messie attendu ne fera pas l’unanimité dans le pays, il comprend qu’il suscitera l’enthousiasme des uns, mais aussi l’opposition des autres, de sorte que le pays ne sera pas uni sous un chef incontesté, mais en fait profondément divisé. En d’autres termes, Siméon annonce bien sûr une nouvelle ère, mais une nouvelle ère dans laquelle l’espérance aura encore toute sa place, parce que tout ne sera pas encore réalisé.

Aujourd’hui, l’espérance de Siméon et d’Anne peut encore nous inspirer dans notre vie de foi, parce que dans notre monde tout n’est pas encore réalisé. Dans notre monde, on peut discerner de vraies lueurs d’espoir, des marques d’amour et de solidarité, et pourtant les guerres, les épidémies, les problèmes économiques sont aussi toujours là. Non, le Royaume de Dieu n’est pas encore pleinement manifesté : il est à la fois là et pas encore là.

Cette espérance de Siméon et d’Anne, cette espérance dépourvue d’illusions, annonce toute la suite de l’Evangile. Jésus cristallisera tous les enthousiasmes et toutes les oppositions. En cela il opérera un jugement, puisque tous seront amenés à se déterminer par rapport à lui.

Ce jugement, il commence le jour où Jésus est présenté dans le Temple de Jérusalem, ce jugement, il commence avec un enfant et deux vieillards qui se déterminent clairement par rapport à lui, grâce à leur piété inscrite dans la vie religieuse juive et dans leur longue expérience de vie.

A la fin de cette année 2014, je voudrais rester sur cette note optimiste. Pour les plus jeunes comme pour les plus âgés d’entre nous, que l’espérance de Siméon et d’Anne soit aussi la nôtre.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

Contact