Luc 2, 40-52 – Jésus théologien

Marie et Joseph oublient Jésus à Jérusalem. Cela nous étonne. Quels drôles de parents, sommes-nous tentés de penser.

Mais on pourrait dire aussi : Jésus oublie ses parents, et c’est tout aussi étonnant. En plus, il ne les oublie pas seulement quelques minutes ou quelques heures, mais trois jours entiers ; trois jours entiers, le jeune garçon vit sa vie loin de ses parents, et il n’en est pas plus troublé, un peu comme si le temps, pour lui, s’était arrêté.

Luc est le seul Evangéliste qui nous raconte cet épisode. Sans doute l’a-t-il recueilli auprès de Marie, qui n’aura pas pu oublier ces heures d’angoisse et d’anxiété.

De la part de Jésus, il ne s’agit pas d’une crise d’adolescence. Nous pouvons affirmer cela non pas parce que nous avons des a priori, mais tout simplement parce que rien ne peut nous laisser penser qu’il s’agit d’une attitude rebelle. Le texte nous dit que par la suite il est soumis à ses parents.

Mais quand Marie lui demandera sur un ton de reproche pourquoi il l’a mise dans l’anxiété, avec des paroles très fortes : Pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme nous avons souffert en te cherchant, ton père et moi ! – la seule fois où elle lui adressera un reproche – Jésus lui répondra qu’il est resté dans l’obéissance filiale, qu’il a obéi à son Père céleste, plaçant ainsi la conversation sur un autre plan : de la famille charnelle il passe à la famille spirituelle.

La remarque de Jésus peut paraître méprisante à l’égard de sa mère, grâce à cet incident Marie se trouve être la première personne à qui il parle de sa relation avec son Père céleste. Mais ni elle ni Joseph ne comprennent ce qu’il dit. C’est un dialogue de sourds, comme il y en aura plus tard entre Jésus et ses disciples.

Jésus a douze ans, et il reste trois jours dans le Temple ; douze ans : l’âge de la maturité, comme il y a douze apôtres et douze tribus d’Israël ; trois jours : la durée parfaite, comme la trinité divine ; douze et trois : des symboles qui font de cet événement un événement emblématique. Il renvoie non pas à la plénitude de la connaissance, mais à la plénitude du désir d’apprendre.

Qu’est-ce qui a pu faire oublier à Jésus ses parents trois jours entiers. Qu’est-ce qui était si important ?

Ce qui était si important, c’était cette volonté d’apprendre ; c’est pour cela que Jésus oublie ses parents, pendant trois jours entiers. Pendant ces trois jours il oublie ses parents pour apprendre auprès des experts religieux. Jésus a soif de connaissances.

Mais qu’allait-il chercher, lui Jésus, auprès de ces experts. Ne savait-il pas tout sur Dieu ? Jésus n’a-t-il pas toujours été Dieu ? Eh bien, il faut se rendre à l’évidence : Jésus était effectivement Dieu, et pourtant, il lui a paru bon de fréquenter ces experts religieux pour apprendre d’eux. On peut être tout rempli de sagesse, et avoir la grâce de Dieu sur soi, cela n’enlève rien à la nécessité d’apprendre. Et Jésus s’est formé avec les moyens qui étaient à sa disposition. C’est pourquoi il reste trois jours dans le temple à apprendre.

Oui, son désir d’apprendre surpasse tout, au point d’inquiéter ses parents, ses parents, qui font ce qui est recommandé lorsque l’on perd quelque chose : ils reviennent là où ils l’ont vu pour la dernière fois, ils reviennent à Jérusalem et le trouvent tout naturellement dans l’endroit où se concentre toute la religion d’Israël : dans le Temple.

Pendant ces trois jours dans le Temple, Jésus s’est assis auprès des spécialistes religieux. Etre assis, dans le contexte religieux de l’époque, cela signifiait se placer volontairement dans une position de disciple. Et le texte va encore plus loin : il nous dit aussi que Jésus les écoutait et leur posait des questions. Son apprentissage se fait sous la forme d’un échange. D’après les pédagogues, un dialogue fait de questions et de réponses est le moyen le plus efficace d’apprendre.

Toute formation, tout apprentissage, exige cette humilité. Apprendre, c’est recevoir d’un autre des clefs de compréhension ; apprendre, c’est accepter d’avoir des maîtres qui nous enseignent.

Pendant la période de l’Avent, nous avons vu comment Jésus avait épousé la condition humaine en se faisant baptiser par Jean. Il n’a pas refusé de se faire baptiser pour rejoindre notre condition humaine, de même Jésus accepte d’être dans cette attitude d’écoute et de questionnement. On peut voir là une autre image de l’Incarnation, cette Incarnation que nous avons fêtée à Noël : Dieu est venu parmi les hommes en tant que bébé, tout comme n’importe quel être humain. Tout comme son développement physique, le développement intellectuel de Jésus se fait progressivement. Luc nous le rappelle : Il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, sous le regard de Dieu et des hommes.

Non, Jésus n’avait pas la science infuse : il a dû apprendre, comme n’importe quel être humain, et pas comme les divinités de la religion grecque, qui sortaient complètement développés du ventre de leur mère. Jésus, lui, s’est développé physiquement et intellectuellement au fil des ans. Il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, sous le regard de Dieu et des hommes.

En même temps, le texte ne passe pas sous silence la sagesse extraordinaire de Jésus, une sagesse qui n’a pas échappé à l’élite intellectuelle et religieuse. Ce serait une erreur de penser que, parce que Jésus n’a laissé aucun écrit, il aurait négligé les facultés intellectuelles de l’être humain, de même que, lorsque nous lisons avec attention chacun des quatre Evangiles, nous voyons bien qu’ils sont le fruit d’une remarquable réflexion théologique.

Il ne fait aucun doute que Jésus saisissait toute occasion d’apprendre, et que cet épisode est érigé en un épisode emblématique, symbolique, pour montrer la volonté qui l’animait. Et cette volonté d’apprendre, ce jour-là, a conduit Jésus à se retrouver tout à coup loin de ses attaches terrestres.

Ce texte nous montre toute l’importance qu’il y a à apprendre. La formation théologique n’est pas réservée aux seuls pasteurs. Il est toujours dommage, quand on a une solide formation universitaire dans tel ou tel domaine, de ne pas la compléter par une formation théologique. Il y a comme un déséquilibre.

Heureusement, parmi nous, plusieurs personnes ont entrepris cette formation, et je pense qu’aucune ne le regrette. L’Eglise met tout en œuvre pour rendre possible une formation théologique avec la vie professionnelle. Depuis une vingtaine d’années, il existe de nombreuses possibilités de se former sur le plan théologique : cours décentralisés et cours par correspondance de l’IPT, Théovie, de sorte que chacun peut trouver ce qui lui convient. Je vous encourage donc, au seuil de cette nouvelle année, seul ou avec d’autres, de voir comment vous pouvez faire place à la théologie dans votre vie, comment vous pouvez entretenir votre désir d’apprendre, car on n’a jamais fini d’apprendre.

Amen.

Bernard Mourou

 

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