Luc 24, 35-48 – Une curieuse apparition

 

Pasteur Bernard Mourou

Jésus vient de se faire reconnaître par deux disciples partis de Jérusalem et en route vers Emmaüs, une localité qui n’a pas été repérée avec précision mais que notre récit situe à une dizaine de kilomètres de Jérusalem. Après la mort de Jésus, ils étaient tristes et angoissés, mais cette apparition du ressuscité leur a donné une nouvelle énergie. Aussitôt, ils retournent à Jérusalem pour raconter leur expérience aux autres disciples.

Et voici qu’après le récit qu’ils ont font de cette expérience, le Ressuscité se fait voir à nouveau, mais maintenant à tous les disciples rassemblés.

Ce thème vient d’être abordé par le cinéaste Xavier Giannoli dans son film L’apparition. Quand nous pensons à une apparition, c’est toujours une vision qui nous vient à l’esprit. Mais les apparitions du Ressuscité ne relèvent jamais seulement de la vision, elles font toujours intervenir une parole.

Et cela commence avec ce qui précède l’apparition elle-même. Même si les récits diffèrent d’un évangile à l’autre, toutes les apparitions du Ressuscité sont précédées d’une intervention angélique, soit un ange, soit plusieurs anges.

Dans la Bible l’ange est un messager. C’est donc qu’un message précède toujours les apparitions. Et puis dans toutes ses apparitions, le Ressuscité parle à ses disciples, il adresse toujours une parole à ceux qui le voient.

Ce récit d’apparition aurait pu choisir de valoriser l’image en tant que telle, mais ce n’est pas le cas. En fait, c’est le contraire : ce n’est pas l’image qui est mise en avant, mais c’est la parole, une parole qui donne tout son sens au récit.

En principe, une apparition relève de l’image. Or aucune image ne se suffit à elle-même : elle a toujours besoin d’être explicitée par une parole, et c’est seulement par la parole qu’une vision peut prendre un sens.

Ici, la parole du Ressuscité donne aux disciples la clef pour l’expérience qu’ils viennent de vivre. Il leur ouvre l’intelligence, nous dit le texte.

Ce récit d’apparition est original, dans la mesure où il insiste sur le fait que les disciples n’ont pas affaire ici à un esprit ou à un fantôme : le Ressuscité leur apparaît en chair et en os, et contrairement à celle qu’a vécue Marie-Madeleine dans l’évangile selon Jean, qui n’a pas pu avoir de contact physique avec lu, ici il demande aux disciples de le toucher et il mange ostensiblement devant eux.

La philosophie grecque séparait l’âme et le corps. Elle valorisait l’âme au détriment du corps. Platon considérait que le corps était la prison de l’âme.

La conception juive de l’être humain était foncièrement différente, du moins avant d’avoir été influencée par la pensée grecque : elle voyait l’être humain comme une unité. Si l’évangile selon Luc est celui qui insiste le plus sur l’aspect matériel des apparitions, c’est parce qu’il écrit pour des lecteurs grecs.

Dans le Nouveau Testament, la diversité des expériences qui sont rapportées par les évangélistes montre bien, sans en enlever la valeur, que les apparitions du Ressuscité sont liées aux facultés cognitives de l’être humain : seuls les croyants expérimentent ces apparitions.

L’évangile de Luc insiste sur l’humanité de Jésus, sur son incarnation. C’est pourquoi notre évangéliste veut éviter que ses lecteurs voient la résurrection comme un fantasme. Alors, avec un procédé purement littéraire, il met en scène non pas un Jésus, spirituel, évanescent, mais un Christ pleinement corporel, qui mange et que l’on peut toucher de ses mains, un Christ qui n’est clairement ni un esprit ni un fantôme : Un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai.

Oui, le Ressuscité apparaît ici dans un corps matériel pour mener à son terme la logique de l’incarnation. Si Jésus a fait l’expérience de la mort, il faut maintenant qu’il fasse l’expérience de la résurrection. En effet, s’il est Dieu comme l’affirme les chrétiens, il ne peut pas rester dans la mort.

L’incarnation et la résurrection ne peuvent pas être séparées, car si Jésus est à la fois pleinement homme et pleinement Dieu, il a un corps et il peut être mort et vivant à la fois.

Cette parole nous parle de l’incarnation : Jésus-Christ est à la fois pleinement Dieu et pleinement homme. Son apparition n’est pas éthérée, mais nous renvoie à la matérialité du corps la plus radicale.

C’est pour cela que l’évangile selon  Luc veut chercher à montrer à ses lecteurs que la résurrection du Christ ne relève pas des contes ou des récits fabuleux, mais qu’elle à voir avec la réalité. A l’origine, pas plus que le judaïsme dont il est issu, le christianisme ne sépare l’âme et le corps.

Dans ces conditions, si l’on croit vraiment à la résurrection, il convient de ne pas mépriser notre corps, qui est appelé à ressusciter. Le Symbole des apôtres affirme : nous croyons à la résurrection de la chair.

Oui, les apparitions du christ s’ancrent dans une parole. Cela commence avec le témoignage que deux disciples font de leur expérience sur le chemin d’Emmaüs aux onze apôtres, cela se poursuit avec l’explication que Jésus-Christ donne aux disciples pour qu’ils comprennent ce qu’ils viennent de vivre, et cela se termine avec cette annonce que le message évangélique sera proclamé à toutes les nations, en commençant par Jérusalem.

Cette parole vient nous rappeler que Jésus-Christ nous accompagne dans tous les aspects de notre existence, même les plus prosaïques, même les plus matériels. Nous pouvons donc relire nos existences à travers cette parole. Comme pour les disciples, elle nous ouvrira l’intelligence et nous donnera une nouvelle compréhension de ce que nous vivons.

Amen

 

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