Luc 3, 10-18 – Que nous faut-il faire ?

Lorsque Jean-Baptiste commence son ministère, les gens sont dans l’attente et l’incertitude. Trois fois, ils lui posent avec insistance une même question : Que nous faut-il faire ? Trois fois, ce désir de bien faire.

On se souvient que Jean-Baptiste a prêché aux foules le baptême de la repentance, en vue du pardon des péchés. Il y a donc à ce moment de l’histoire un désir largement répandu de se conformer à la volonté de Dieu. Ces gens se trouvent dans de bonnes dispositions spirituelles. A partir de là, tout devient possible.

Que nous faut-il faire ? La première fois, cette question émane de la foule ; la deuxième fois, elle est posée par une catégorie plus spécifique de la population : par les collecteurs d’impôts ; et la troisième fois, elle vient des soldats.

En d’autres termes, ce n’est pas seulement le peuple juif qui se pose cette question – Que nous faut-il faire ? -, mais une foule de gens, dont certains sont dans une situation délicate quant à la religion et au respect de la Loi, dans une situation délicate parce que les collecteurs d’impôts et les soldats collaborent avec les autorités romaines. Pour cette raison, ils sont très mal vus par les juifs pieux. Ils sont considérés comme des traîtres, des ennemis du judaïsme, et des ennemis du peuple juif, les deux étant étroitement liés.

Ces collecteurs d’impôts et ces soldats ont-ils mauvaise conscience ? C’est possible. C’est même probable. La mauvaise conscience n’a pas que des effets négatifs. Elle a toujours été l’aiguillon d’un retour sur soi – le retour sur soi est le sens premier du mot repentance en hébreu. Cette mauvaise conscience expliquerait l’importance que Luc accorde aux collecteurs d’impôts et aux soldats par rapport à cette question, Que nous faut-il faire ?

Nous nous souvenons que Jean-Baptiste est un homme rude, un homme habitué à la solitude, à l’âpreté du désert, un homme de l’ascèse. En tant que prophète, il a un langage direct et sans détours. Alors, voyons comment il répond à cette question : Que nous faut-il faire ?

Jean-Baptiste adapte sa réponse à son public : les foules, les collecteurs d’impôts, les soldats. Son propos n’est pas un propos passe-partout, mais un propos qui prend en compte la situation réelle des gens qui viennent à lui.

Aux foules, Jean-Baptiste demande de partager avec les démunis. Partager les vêtements. Partager la nourriture. C’est-à-dire partager les choses de première nécessité, sans lesquelles la vie n’est pas possible.

Aux collecteurs d’impôts, Jean-Baptiste demande de faire honnêtement leur travail, sans abuser de leur position, sans prendre plus d’argent que le taux d’impôt fixé par l’Etat, sans se servir au passage.

Aux soldats, il leur demande aussi de faire honnêtement leur travail sans abuser de leur position, et pour eux il s’agira de l’exercer sans violence, ni racket.

Les Réformateurs avaient mis en évidence trois fonctions de la Loi, ce qu’ils appelaient les trois usages de la Loi. Pour eux, la Loi permettait trois choses :

  • une prise de conscience quant à notre condition de pêcheur
  • une vie harmonieuse en société
  • une éthique, une morale, chrétienne

Alors que dans le texte de dimanche dernier, Jean-Baptiste, en baptisant les gens dans le Jourdain, leur faisait prendre conscience de leur péché et de la nécessité d’une repentance, dans notre texte d’aujourd’hui il recourt à une autre fonction de la Loi : la Loi comme moyen de faciliter la vie en société.

Les trois réponses de Jean-Baptiste sont surprenantes.

D’abord, elles se situent sur un plan éthique et non sur un plan sacrificiel. Il s’agit de revenir à la Loi, d’appliquer simplement la Loi en vivant dans la droiture et l’honnêteté. Pour nous cela va de soi, parce que nous connaissons le message évangélique, mais l’époque c’était moins évident. Et puis lorsque Luc rédige son Evangile, le Temple de Jérusalem n’est plus qu’un souvenir : il a été détruit par les troupes romaines une dizaine d’années plus tôt.

Ensuite, les réponses de Jean-Baptiste sont surprenantes parce qu’elles admettent tout à fait l’idée que des collecteurs d’impôts ou des soldats qui collaborent avec les Romains ne soient pas critiqués pour leur activité. Jean-Baptiste n’attend aucun renversement politique, et Jésus ne dira pas autre chose, contre la foule qui attendait un Messie triomphant, un Messie qui viendrait prendre le pouvoir et rétablir l’indépendance d’Israël. Comme Jésus, Jean-Baptiste est respectueux de l’ordre établi. Il a compris que l’enjeu n’est pas là.

Et puis, les réponses de Jean-Baptiste sont aussi surprenantes parce que, finalement, elles sont peu exigeantes. Ce qu’il demande est simple, pratique, à la portée de tous ses interlocuteurs. Malgré son caractère rude et austère, il apparaît bien moins radical que Jésus. Jean-Baptiste demande une application réaliste de la Loi, alors que Jésus radicalisera la Loi. Entre Jean-Baptiste et Jésus, tout se joue au niveau de la façon d’envisager la Loi.

Oui, les demandes de Jean-Baptiste peuvent surprendre. Et cela conduit le peuple à s’interroger sur sa personne : Se pourrait-il qu’il soit le Messie attendu ? Et là aussi, Jean-Baptiste a une réponse simple, claire, sans ambigüité : Le Messie, ce n’est pas lui ; le Messie, c’est celui qui doit encore venir, et qui est radicalement différent.

Même si Jésus-Christ rejoindra Jean-Baptiste sur la question du pouvoir politique, il aura un message radicalement différent : il ne demandera pas une application réaliste de la Loi, mais il se livrera à une radicalisation de la Loi, de sorte que la Loi ne sera désormais plus applicable par personne, au cas où on en aurait douté. Jésus se placera lui-même au-dessus de la Loi et il proclamera la purification des péchés sans conditions, sinon celle d’une repentance sincère.

Ce n’est pas un hasard si les textes de l’Avent s’intéressent à Jean-Baptiste : son ministère est incontournable pour comprendre ce que sera celui de Jésus. Jean-Baptiste souligne à la fois la continuité – Jésus inscrit son ministère dans celui de Jean-Baptiste – et la radicale nouveauté par rapport à la Loi – Jésus annonce à tous le salut par la grâce seule.

Que nous faut-il faire ? Si nous posons cette question à notre tour, la réponse de Jean-Baptiste, de vivre dans la droiture et l’honnêteté, est-elle pertinente pour nous aujourd’hui ? Oui, elle l’est, mais dans la mesure seulement où elle est un préalable, un signe de notre bonne volonté. Car ce n’est pas ce que nous faisons qui nous sauve, qui nous rend juste devant Dieu : ce que nous faisons est lié à notre imperfection. Seule la grâce de Dieu, manifestée en nous par Jésus-Christ, nous permet d’être justes devant Dieu, de sorte que la gloire n’en revient pas à nous-mêmes, mais à Dieu.

Amen.

Bernard Mourou

 

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