Luc 3, 15-22 – Tu es mon Fils, aujourd’hui, je t’ai engendré

L’Evangile de Luc est un l’œuvre d’un historien ; c’est l’auteur lui-même qui nous le dit dans son prologue. Tout au long de son récit, l’Evangéliste aura soin de dater les événements le plus précisément possible. Mais dans notre passage d’aujourd’hui, nous n’avons pas un récit suivi des événements. On peut très bien faire un travail d’historien sans suivre la chronologie. C’est ce que nous avons ici.

Nous n’avons pas un récit suivi des événements, car Jean vient d’être emprisonné, et tout de suite après, il est question du baptême de Jésus. L’Evangéliste choisit de ne pas nous parler de la rencontre entre Jean-Baptiste et Jésus. Dans son récit, cette rencontre a déjà eu lieu, une fois pour toutes : elle a eu lieu quand Marie a rendu visite à sa cousine Elisabeth, alors que Jean-Baptiste et Jésus étaient encore dans le ventre de leur mère. C’est l’Evangile que nous avons lu il y a quelques semaines, qui nous montrait le futur Jean-Baptiste tressaillir de joie.

Dans cet Evangile, c’est donc avant leur naissance, à travers leurs mères respectives, que Jean-Baptiste et Jésus se sont rencontrés : une manière de montrer que le ministère de Jésus ne vient pas continuer celui de Jean-Baptiste, mais qu’il est un commencement radicalement nouveau.

Et si Luc choisit de nous parler séparément de Jean-Baptiste et de Jésus, c’est pour mieux souligner ce qui relève de l’ancienne alliance et ce qui relève de la nouvelle. Notre texte fait apparaître cette charnière entre l’ancienne et la nouvelle alliance. Et l’événement qui nous fait entrer dans cette nouvelle alliance, c’est le baptême de Jésus. Alors, il vaut la peine de réfléchir à ce qu’il signifie.

D’abord, nous voyons que ce baptême de Jésus est lié à l’intervention du Saint-Esprit. L’Ancien Testament mentionne parfois l’Esprit de Dieu. Tout au commencement, dans la Genèse, il nous est dit que l’Esprit de Dieu planait au-dessus des eaux. Eh bien, cet Esprit de Dieu qui planait sur les eaux, il vient maintenant se poser sur Jésus sous la forme d’une colombe. Le texte nous dit : sous une apparence corporelle, comme une colombe. Un point de contact s’est établi. L’Esprit de Dieu ne se contente plus de survoler le monde de loin, mais il rejoint l’humanité en la personne de Jésus, en venant reposer sur lui. En en parlant de cette manière, l’Evangéliste fait du baptême de Jésus une nouvelle Genèse, une nouvelle Création. D’ailleurs, tout de suite après le baptême, il nous donnera la généalogie de Jésus.

Lors de ce baptême, une voix se fait entendre du ciel : Tu es mon Fils, aujourd’hui, je t’ai engendré. On le sait, les Évangiles présentent entre eux des différences. C’est parce qu’ils ne cherchent pas à faire une description exacte, factuelle, de ce qui s’est passé : ils nous proposent mieux que cela, ils nous proposent une théologie sous forme de récit. Dans ces conditions, ces paroles venues du ciel ne sont pas la retranscription de ce qui aurait pu être enregistré, mais elles sont une élaboration théologique. Elles expriment la signification que l’Eglise du Ier siècle donnait au baptême de Jésus.

Chez Matthieu, la voix dit : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, et elle s’adresse à tous ceux qui sont présents,  tandis que chez Luc comme chez Marc, elle dit : Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur, et c’est à Jésus qu’elle s’adresse.

Tu es mon Fils bien aimé, tu as toute ma faveur, c’est la version la plus répandue, mais ce n’est sans doute pas celle du texte initial. En effet, dans une variante de cet Evangile, on a : Tu es mon Fils, aujourd’hui, je t’ai engendré. C’est une expression surprenante.

Quand on étudie les textes, un principe de l’exégèse consiste à privilégier justement la version la plus surprenante, parce que si elle est surprenante, c’est que l’on a pu être tenté de la rectifier. On peut donc penser que cette version, qui reprend un passage du psaume 2, était la version d’origine, et qu’elle a été remplacée par la version de Matthieu et de Marc.

Et effectivement, cette version Tu es mon Fils,aujourd’hui, je t’ai engendré, peut nous laisser perplexe. Jésus n’était-il pas Dieu aussi avant son baptême ? Comment peut-on dire qu’il a été engendré au moment de son baptême ?

Un autre texte peut nous aider à répondre à cette question. Ce texte, c’est celui qui se trouve dans le livre des Actes – on sait que l’Evangile de Luc et le livre des Actes formaient à l’origine un seul et même ouvrage. Ce passage est un discours que Paul prononce dans la synagogue à Antioche-de-Pisidie. Il reprend la même citation du Psaume 2, mais cette fois-ci non plus en relation avec le baptême, mais en relation avec la résurrection.

Le baptême et la résurrection de Jésus encadrent donc son ministère. Le début et la fin de son ministère sont marqués par cette déclaration : Tu es mon Fils, aujourd’hui, je t’ai engendré. Dans cette déclaration, il y a tout le sens de son ministère en faveur des hommes : s’il est question d’engendrement, c’est pour nous faire saisir qu’à notre tour, nous sommes nous-mêmes engendrés à cette relation filiale. Le baptême de Jésus est la première étape vers ce salut qui va être offert aux hommes. Ce n’est pas par hasard si c’est cet Evangile qui souligne cela, parce que chez Luc il y a cette insistance sur l’humanité de Jésus. L’Evangile de Luc est celui qui s’attarde le plus sur la Nativité.

En se faisant baptiser par Jean dans l’eau du Jourdain, Jésus entre dans quelque chose qui existe déjà pour ses contemporains. La purification et la repentance associées au baptême de Jean n’est pas remise en question. Jésus ne cherche pas à tout chambouler, il prend simplement à son compte tout ce qui est bon. Il prend à son compte tout ce qui est bon, mais en même temps, il y ajoute quelque chose : il y associe l’Esprit, de sorte que l’immersion dans l’eau du Jourdain prend une signification nouvelle : cette immersion dans l’eau du Jourdain reçoit un signe extérieur à elle, le Saint-Esprit qui vient sous la forme d’une colombe.

La colombe est cet élément extérieur qui met le baptême en relation avec le ciel, et non plus seulement avec l’eau du Jourdain. La colombe met l’accent sur le fait que ce n’est pas l’eau par elle-même qui agit, mais Dieu.

Oui, ces mots,  Tu es mon Fils, aujourd’hui, je t’ai engendré, à partir du seul baptême de Jésus, s’appliquent désormais à quiconque se fait baptiser à sa suite. La filiation de Jésus, cette unité de Jésus avec son Père, est communiquée désormais à quiconque se fait baptiser. Le baptême, en nous unissant à Jésus, nous établit dans la communion qu’il avait lui-même avec son Père.

Sous la plume de l’Evangéliste, ces paroles, Tu es mon Fils, aujourd’hui, je t’ai engendré prennent alors tout leur sens. Elles ne doivent pas nous remplir de perplexité, mais au contraire nous conduire à une assurance. Par ces paroles, l’Evangéliste nous fait entrer dans le mystère de la filiation divine, ce mystère de la filiation divine qui a commencé par Jésus-Christ et qui se poursuit toutes les fois qu’un individu naît à la foi. Depuis la nouvelle alliance, l’Esprit de Dieu ne se contente plus de planer sur le monde, de loin, mais nous fait entrer dans la communion divine et fait de nous des fils et des filles.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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