Luc 4, 16-30 – L’accueil de la grâce

L’Evangéliste le dit dans son prologue : il a voulu donner à connaître au plus grand nombre ce que Jésus a fait, et comment ses actes témoignent de sa personne. Notre texte, ce matin, nous rapporte un acte déterminant, puisqu’il est le premier acte de Jésus. Et il se trouve que ce premier acte de Jésus, c’est un acte de parole.

Cet acte de parole vient rejoindre ses auditeurs dans leur quotidien : Jésus s’adapte en tous points au rituel de la synagogue et à la liturgie établie ; il ne choisit pas le texte qu’il va lire et commenter, mais prend celui qu’on lui donne, celui qui est prévu dans la liturgie ce matin-là, un texte d’Esaïe qui fait référence au Jubilée.

Le Jubilée semble n’avoir été jamais appliqué en Israël. Il avait été institué pour que tous les cinquante ans, les dettes des Israélites soient annulées et que chacun puisse recommencer à vivre décemment.

Ce texte de l’Ecriture, Jésus le fait vivre comme si ses auditeurs l’entendaient pour la première fois. Jésus le fait vivre pour qu’il parle à tous ceux qui sont rassemblées ce matin-là dans la synagogue. Et il le fait vivre avec une grande autorité : tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui et s’étonnaient du message de la grâce qu’il annonçait.

Premier acte, premier succès ? On pourrait s’y attendre, puisque les auditeurs s’exclament : N’est-ce pas là le fils de Joseph ? C’est donc qu’ils perçoivent le contraste entre ce fils de Joseph connu de tous, et les propos qu’il tient ; c’est donc qu’ils sont sensibles à son message.

Mais non. Ce premier acte n’est pas un succès comme on aurait pu s’y attendre. La réaction de Jésus nous le montre : Jésus discerne, derrière leur remarque, N’est-ce pas là le fils de Joseph ? la preuve de leur incrédulité, et il anticipe leurs critiques, il prend les devants, il garde l’initiative.

Alors, que s’est-il passé ? Eh bien, entre les apparences et le contenu du message, ce message existentiel qui peut les faire vivre, les auditeurs ont choisi. Ils ont choisi de se fier aux apparences, à la vue, ils ont choisi de faire confiance à ce qu’ils voient. Ils sont en décalage avec le premier commandement des Ecritures, qui dit : Ecoute, Israël !

Et puis il y a peut-être autre chose aussi. On sait que Nazareth est une petite ville sans grande notoriété, dans une région méprisée, la Galilée. Alors il est possible que ses habitants ne se sentent pas dignes d’être honorés. Et quand cet homme qu’ils connaissent bien, cet homme qui fait partie de leur quotidien se met à leur portée, quand cet homme vient les rejoindre, ils sont mal à l’aise. Si cet homme était vraiment quelqu’un, il les prendrait de haut, il leur montrerait toute la distance qui existe entre lui et eux. Mais là, cet homme qui vient s’abaisser jusqu’à eux, il n’est tout simplement pas crédible.

Alors ils sont critiques, et leurs critiques se résument en une seule : Tu ne fais pas de miracles.

Quelle est leur erreur ? Leur erreur, c’est de ne pas donner à la parole la place qui lui revient. Leur erreur, c’est de se fier à ce qu’ils voient, de se fier aux apparences. En entendant Jésus, ils pensent : Tu parles bien, mais rien ne se passe. Nous ne voyons aucun miracle.

Contrairement aux habitants de Capharnaüm, ils n’obtiennent de lui aucun miracle, rien qui frappe la vue, justement parce qu’ils mettent trop l’accent sur le côté visible des choses. C’est une loi de la vie, me semble-t-il, que plus nous voulons une chose intensément, et moins nous l’obtenons, parce que parmi les secrets de la vie, il y en a un qui consiste à recevoir les choses comme un don plutôt que de chercher à se les emparer. Les habitants de Nazareth veulent des miracles, et ils n’en obtiennent pas.

Non, ils n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient. Mais ce qu’ils auraient pu obtenir, c’est-à-dire le message libérateur de la grâce, qui aurait pu les faire vivre, ils ne l’ont pas saisi. Ils sont passés à côté. La prédication de Jésus, qui était existentielle, ne l’a pas été pour eux. Elle n’a pas changé leur vie.

Alors Jésus leur donne en exemple deux personnages des Ecritures, deux personnages qui figurent dans le livre des Rois, deux personnages qui ont su recevoir les choses plutôt que s’en emparer : Naamân le Syrien et la veuve de Sarepta ; un homme et une femme ; l’un est roi, il a un nom et occupe le haut de l’échelle sociale ; l’autre est une pauvre veuve anonyme, tout en bas de l’échelle sociale à l’époque. Mais cet homme et cette femme ont une chose en commun : ce sont deux étrangers qui, justement parce qu’ils sont étrangers ont peut-être moins d’a priori, moins d’idées préconçues que les Juifs. Naamân sera finalement guéri de sa lèpre, et la veuve de Sarepta verra son fils revenir à la vie. Ces deux étrangers préfigurent l’accueil de la grâce par les populations païennes.

Pour les gens de Nazareth, il n’y a pas eu de miracles. Ils n’en avaient pas besoin. Mais ce dont ils avaient besoin, ils ne l’ont pas obtenu, parce qu’ils n’avaient pas la disponibilité intérieure nécessaire. En donnant trop d’importance aux apparences, ils n’ont pas su voir que Jésus était venu les rejoindre dans leur humanité. Ils n’ont pas pu entendre cela, ils n’ont pas pu entendre le message de la grâce.

Et comme ils n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient, comme ils ont été déçus par Jésus, ils ressentent une grande frustration, et leur frustration se change en colère. Jésus vient de commencer son ministère, et déjà est à l’œuvre la haine qui, dans trois ans, le conduira à la croix.

Oui, s’emparer des choses plutôt que les recevoir entraîne la violence, et notre société en sait quelque chose.

Mais bien sûr, parce que nous savons comment se termine l’histoire, il est facile pour nous aujourd’hui de mépriser les habitants de Nazareth, de nous dire qu’ils n’ont rien compris.

Est-ce que nous, qui vivons dans une société de l’image, nous ne sommes pas encore plus exposés qu’eux aux apparences ? Et puis est-ce que nous n’avons pas nous aussi tendance à nous tourner vers Jésus en croyant savoir ce qu’il va nous donner ? Enfin, avons-nous moins de difficultés à comprendre que Jésus est venu nous rejoindre dans notre quotidien ?

Cela fait beaucoup de questions, mais face à toutes ces questions, nous pouvons affirmer une chose : nous pouvons affirmer que c’est Dieu qui vient rejoindre l’être humain, et non l’inverse. Cette vérité, c’est le cœur de l’Evangile, et aussi la pierre d’achoppement. Si nous sommes prêts à accueillir cette vérité, comme pour Naamân, comme pour la veuve de Sarepta, elle deviendra pour nous source de vie.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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