Marc 1, 1-18 – Jean-Baptiste

Dimanche dernier, nous sommes entrés dans le temps de l’Avent. C’est par le premier dimanche de l’Avent que commence notre année liturgique. Elle a donc commencé dimanche dernier. En effet, l’année liturgique ne commence ni à Noël, ni le 1er janvier, ni à Pâques, mais le premier dimanche de l’Avent.

L’Avent est un temps de commencement, et pourtant, il coïncide avec ce mois de décembre où les nuits sont de plus en plus longues. Chaque jour la lumière diminue encore un peu plus, la nuit, l’obscurité et le froid continuent à s’étendre. Et malgré cela, dans ce temps de l’année qui n’a rien pour nous plaire, qui a tout pour nous désespérer, au contraire, quelque chose de neuf commence.

Mais c’est en espérance que nous voyons l’obscurité diminuer, et ce soir le soleil se couchera encore un peu plus tôt qu’hier. Le temps de l’Avent nous place dans le commencement, mais ce commencement n’est rien d’autre que le commencement d’une espérance. Car le temps de l’Avent, c’est bien cela : la naissance d’une espérance.

Et aujourd’hui, pour évoquer ce commencement, l’Evangile de Marc nous parle de Jean-Baptiste. Jean-Baptiste incarne ce commencement.

Notre texte est marqué par l’univers du désert : Il y est question de chameaux et de vêtements faits de poil de chameau. Il y est question de sauterelles et de miel sauvage. Nous sommes dans le désert, un désert implacable, un univers minéral qui veut exclure la vie.

Que devenons-nous dans le désert ? Dans le désert nous ne sommes plus rien. Il n’y a rien à manger, rien à boire. A tout moment nous pouvons mourir de faim ou de soif. Le désert nous pousse à errer pour trouver notre subsistance. Nous n’avons plus de points de repères. Nous ne savons plus où nous sommes. J’allais dire : nous ne savons plus où nous habitons. Le désert nous ôte tout, jusqu’au sens le sens de notre existence. Il nous met dans une grande précarité. Nous ne maîtrisons plus rien. Nous sommes fragilisés à l’extrême, à la merci des événements, complètement dépendants de la providence divine. Et tout autour de nous, c’est un univers minéral, chauffé à blanc : le feu du soleil sur les pierres, et entre les pierres des serpents et des scorpions prêts à nous mordre. Tout y est hostile, inhospitalier. Non, vraiment, le désert n’a rien pour nous plaire. L’homme ne peut pas y vivre, à moins d’être de la trempe de Jean-Baptiste.

Car lui non plus n’a rien pour nous plaire, avec ses vêtements grossiers en poil de chameau et sa ceinture de cuir autour des reins. C’est le désert qui a façonné Jean-Baptiste, qui lui a donné sa marque, qui lui a donné sa rudesse, une rudesse qu’on retrouve aussi dans cet Evangile de Marc, avec son style heurté.

On est loin ici de l’image pleine de douceur de Jésus dans sa crèche que l’on trouvera dans l’Evangile de Luc. L’Evangile de Marc n’a pas un mot sur l’enfance de Jésus. Et pourtant, avec ses vêtements grossiers, Jean-Baptiste évoque un personnage révéré, admiré par les Juifs : il évoque le prophète Elie. Lui aussi portait un vêtement en poils de chameau et une ceinture de cuir[1]. Ce n’est pas par hasard si l’Evangéliste note ce détail.

Le prophète Elie, les Juifs attendaient son retour. Il devait avoir lieu juste avant la venue du Messie. Elie devait être le personnage annonciateur du Messie. Et si on nous dit que Jean-Baptiste a les attributs d’Elie, les vêtements d’Elie, c’est bien pour nous dire qu’il est celui qui doit venir avant le Messie. Jean-Baptiste est assimilé à ce grand prophète à la destinée extraordinaire. Vous vous rappelez comment il a quitté cette terre : pas par la mort, mais dans un char de feu emporté par des chevaux de feu.

De Jean-Baptiste, on dira qu’il aura été le plus grand de tous les prophètes. Et sa grandeur ne tient qu’à une chose, une seule chose : elle tient au fait qu’il a su discerner le Christ. Mais avant cela il prépare le peuple, et il le prépare en lui demandant de reconnaître publiquement ses péchés

Mais dans ce désert de Judée où Jean-Baptiste vit, dans ce lieu brûlé par un soleil de feu, un élément échappe à l’univers du désert. Cet élément, c’est le Jourdain. Le Jourdain introduit une rupture, un contraste, avec le désert environnant.

Le baptême de Jean est préparatoire et symbolique. Il ne purifie pas : il annonce la purification à venir. Et cette purification, c’est le baptême du Saint-Esprit, qui la rendra possible. Ce baptême définitif et complet : un baptême purificateur dans l’eau du fleuve et dans le feu du Saint-Esprit.

C’est à un changement radical que Jean-Baptiste appelle. Mais ce changement radical n’est pas un retour de l’homme sur ses fautes. Il n’est pas un retour de l’homme sur lui-même, mais il est un retour vers Quelqu’un. Ce n’est pas à un légalisme religieux que Jean-Baptiste en appelle. Le propre des légalismes religieux, c’est de vouloir accumuler les œuvres morales par crainte du jugement de Dieu, c’est ce que feront les pharisiens. Non, Jean-Baptiste ne demande pas de bonnes œuvres à ceux qu’il baptise, il ne leur demande pas une piété extérieure. Cette piété-là, il la dénonce. Il leur demande en fait beaucoup plus que cela : il leur demande une véritable remise en question, il leur demande une réorientation de toute leur personne.

Nous le voyons, celui qui est appelé à annoncer Jésus-Christ est un homme de rupture. Dans toute sa personne, Jean-Baptiste incarne cette rupture : rupture avec les anciennes pratiques, rupture avec le péché et les faux dieux. Jean-Baptiste fait place nette, pour laisser la place à celui qui vient rétablir toutes choses. Mais Celui qu’il annonce, Celui qui doit venir, viendra avec une douceur déconcertante. Jean-Baptiste lui aura préparé le terrain. Jésus ne viendra pas de cette Judée désertique, mais de la verte Galilée. Il ne jeûnera pas, mais participera à de nombreux repas, au point d’être accusé de faire bonne chair avec les pécheurs. Et après que Jean-Baptiste aura fait ce travail d’éradication nécessaire, Jésus pourra commencer son ministère. Il ne cassera pas le roseau courbé et n’éteindra pas la lampe dont la lumière faiblit.

Nous vivons dans une société qui n’a jamais été aussi déterminée, aussi efficace, pour nous détourner de l’essentiel au profit du futile. Et la période de Noël est le moment de l’année où c’est le plus visible. On sait que certains magasins gagnent pendant le seul mois de décembre autant que pendant tous les autres mois de l’année. Est-ce cela que nous voulons ?

Rappelons-nous nos Noëls d’enfants. Chacun ici a des souvenirs qui lui reviennent. De quoi nous souvenons-nous ? Bien sûr, nous nous rappelons peut-être tel ou tel jouet que nous avons reçu – et, bien sûr, quand nous étions enfants, les cadeaux avaient toute leur valeur. Mais notre mémoire ne garde que l’essentiel. Et je suis à peu près sûr que la vôtre aura gardé tout autre chose : elle aura gardé des impressions, une ambiance : la chaleur du foyer dans les rigueurs de l’hiver, les lumières de Noël au sein de l’obscurité, la douceur de l’amour familial.

Ainsi, pendant cette période de l’Avent, ne perdons pas de vue l’essentiel. Aux objets superflus qui nous sont proposés, préférons la vraie vie. Comme Jean-Baptiste nous y invite, profitons de ce temps pour faire place nette, pour retrouver le sens de notre baptême. Prenons le temps de méditer le mystère de Noël. Rappelons-nous que la venue de Jésus est précédée par une coupure radicale. C’est à ce prix que la douceur de l’Evangile pourra pénétrer dans nos vies. C’est à ce prix que nous pourrons accueillir Celui qui est venu à nous dans la douceur d’un enfant.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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