Marc 13, 24-32 – En ces jours-là

Le ministère de Jésus s’achève. Avec ses disciples, il est arrivé à Jérusalem. Ceux qui ont placé leur espoir en lui s’attendent à ce qu’il monte sur le trône de David. Et là, il annonce à ses disciples un événement impensable, inimaginable, incompréhensible : rien moins que la destruction prochaine du Temple. Pour les Juifs, la première destruction du Temple s’était soldée par l’exil à Babylone, la perte de la souveraineté nationale, une souveraineté qui n’a jamais été retrouvée. Et maintenant, Jésus, celui sur qui se porte toute l’espérance du peuple pour le rétablissement de la royauté et de cette souveraineté perdue, celui dont on attendait qu’il chasserait l’occupant romain, lui, il annonce la destruction du Temple !…

Les disciples ne comprennent pas. Et lorsque qu’ils lui demandent quand les derniers événements se produiront, il leur répond en distinguant trois moments :

– Le premier moment, c’est ce qu’il nomme le commencement des douleurs de l’enfantement : des guerres, des tremblements de terre, de faux messies et des persécutions. Mais ce temps n’est pas seulement un temps de douleurs et de catastrophes : c’est aussi un temps où l’Evangile est diffusé dans le monde entier. L’enfantement dont il est question, c’est l’enfantement de l’Eglise.

– Le deuxième moment concerne les jours de détresse comme il n’y en a pas eu de pareille depuis le commencement du monde. Nous comprenons que ce deuxième moment est en lien avec le Temple. En ce sens, sa destruction en 70 par les troupes romaines est un événement décisif, même si ce passage renvoie sans doute à autre chose encore.

– Le troisième moment, c’est la venue du Fils de l’homme entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire. C’est notre texte d’aujourd’hui.

Et ce texte commence par un tableau inquiétant, apocalyptique : le soleil et la lune n’éclairent plus rien, il n’y a même plus d’étoiles pour guider l’homme dans la nuit ; notre monde sera privé de lumière, dans une obscurité totale.

Mais ce terme apocalyptique n’évoque pas que des catastrophes à venir. A l’origine, il renvoie non à une catastrophe, mais à une révélation, la révélation de ce qui va advenir. Les textes apocalyptiques constituaient un genre à part entière, un genre qui s’est beaucoup développé dans le judaïsme tardif ; il est lié à une attente : l’attente messianique.

Le fait que le soleil s’obscurcira, et que la lune ne brillera plus, ne suggère pas qu’une perspective négative. Car si le soleil et la lune n’éclairent plus, eux qui dès le livre de la Genèse, dans le récit de la Création, sont présentés comme des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour de la nuit, pour marquer les jours et les années, cela signifie aussi que notre temporalité, la temporalité dans laquelle nous vivons, que cette temporalité disparaît.

Et c’est au moment où cette temporalité disparaît que le Fils de l’homme, entouré de nuées, revient dans la puissance et dans la gloire et que les élus sont rassemblés par les anges des quatre vents, de l’extrémité de la terre à l’extrémité du ciel. Oui, celui qui est toujours avec nous est aussi celui qui vient. C’est à la fois le temps et l’espace qui sont abolis. Ici, Jésus se réfère à un passage prophétique, dans le livre de Daniel, un passage qui précède celui que nous avons lu, et qui dit : Voici qu’avec les nuées du ciel venait comme un Fils d’Homme. Et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté. Le texte est légèrement différent, mais c’est la même image.

Pour la première fois, Jésus parle pour lui-même de puissance et de gloire. Alors que, jusque là, il a toujours refusé les titres et les honneurs, maintenant, devant ses disciples, il s’affirme comme puissant et glorieux, il s’affirme comme le Christ Roi, ce Christ Roi dont il sera question dimanche prochain, le dernier dimanche de notre année liturgique. Un chapitre plus loin, nous verrons Jésus persister dans cette attitude : devant le grand-prêtre et tout le sanhédrin, il citera une nouvelle fois le même passage du livre de Daniel.

Lorsque l’espace et le temps disparaissent, c’est alors que Jésus-Christ apparaît sur terre dans la gloire et la puissance, c’est alors que Dieu fait irruption dans notre monde fini. Nous sommes là vraiment dans une tout autre réalité que celle que nous connaissons aujourd’hui.

Dans ce texte apocalyptique, il n’est pas tant question de la perdition d’un monde marqué par le péché, que de la naissance d’un monde nouveau. Bien sûr, comme pour toute naissance, cela ne se passe pas sans douleurs. Seulement, ces signes de détresse et de peur ne sont que transitoires ; ils ne font qu’annoncer l’événement capital : le retour du Fils de l’homme. Lorsque le printemps fleurit, ce qui compte, ce n’est pas le travail douloureux qui est à l’œuvre dans la nature ; ce qui compte, c’est l’arbre en fleurs qui contient la promesse des fruits et de l’été.

Nos contemporains aiment évoquer la fin du monde pour se faire peur. Cela fait marcher l’industrie, notamment l’industrie du cinéma : tout le monde a gardé à l’esprit le lancement du film 2012, il y a trois ans, et qui, en se référant au calendrier maya, annonçait la fin du monde pour le mois de décembre de cette année.

Si nous sommes encore là en 2013, nous sommes sûrs que d’autres prédictions viendront, qui donneront à leur tour une autre date pour la fin du monde. Mais notre texte coupe court à toute tentative de ce genre, puisqu’il déclare que ce jour ou cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père.

Oui, toute tentative de donner une date précise pour la fin de monde relève de la supercherie, car il appartient à Dieu seul de fixer les temps ; et même Jésus, lorsqu’il était sur terre, n’en a pas eu la révélation. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que tel événement est annonciateur de la fin du monde. Mais personne ne peut se servir de cet événement ou d’aucun autre pour calculer la date exacte, personne ne peut décréter que cet événement est l’événement ultime.

Ce texte apocalyptique, comme tous les textes apocalyptiques des Ecritures, n’est pas destiné à nous faire deviner l’avenir, mais à nous encourager à la vigilance dans ce temps d’attente qui est le nôtre. Et nous n’attendons pas la fin de l’humanité ou la fin d’une civilisation, mais nous attendons la plénitude des temps. La fin du monde sera en fait la fin d’un monde, et nous attendons cet événement comme l’accomplissement de la Création, nous attendons cet événement comme le printemps après l’hiver contient la promesse de l’été. Et cet événement, nous y assisterons, nous serons partie prenante : l’Eglise sera rassemblée par les anges qui viendront des quatre vents.

Finalement, le but de ce texte – et de tous les textes apocalyptiques de la Bible – n’est pas de nous faire peur ; il n’est pas non plus de nous permettre de connaître par toutes sortes de supputations quelle sera la date de la fin du monde : le but de ce texte, c’est de nous rendre vigilants, de nous rendre prêt à accueillir l’inattendu qui vient de Dieu ; le but de ce texte, c’est aussi de nous laisser entrevoir que cet inattendu sera d’une radicale nouveauté : comme la fleur printanière surgit tout à coup dans une nature qui paraît morte au creux de l’hiver, un jour la fin de l’espace et du temps marquera l’avènement d’un monde entièrement renouvelé.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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