Marc 16, 1-8 – Peur et silence

Jésus vient d’être crucifié. Lui qui incarnait l’espoir de beaucoup, lui qui venait d’entrer triomphalement à Jérusalem, lui dont on pensait qu’il allait inaugurer le règne de Dieu, il a été mis a mort comme un vulgaire bandit. Du jour au lendemain, on passe de la joie au désespoir. Ceux qui avaient cru en lui sont déçus, désorientés, désemparés.

C’est dans ce contexte de désespoir que l’Evangéliste nous parle de trois femmes, trois femmes qui ne sont pas des anonymes. Elles sont connues dans l’entourage de Jésus, puisqu’elles ont chacune un nom. Ce sont Marie de Magdala, Marie la mère de Jacques, et Salomé.

Ces trois femmes ont accompagné Jésus jusqu’au bout. Elles étaient là au pied de la croix. Et maintenant, dans ce matin de Pâques, elles sont encore là pour lui donner une sépulture décente. Elles apportent des aromates pour embaumer le corps. Elles sont fidèles et dévouées, jusqu’au bout.

Jusqu’au bout elles agissent. Mais ce n’est pas l’espoir qui les anime. Non, c’est plutôt la conviction qu’il faut faire ces choses, sans se poser de questions. En elles et autour d’elles, tout est sombre et désespérant. Dans ce matin de Pâques, l’angoisse les domine. L’angoisse leur fait voir des obstacles partout : la pierre qui bouche l’entrée du sépulcre et qu’elles n’auront pas la force de rouler, la dure réalité qui les submerge.

On les comprend. Elles sont dans le deuil. Elles ont vécu un traumatisme terrible et elles sont encore sous le choc. Elles ont perdu celui qu’elles aimaient. Elles ont perdu celui qui représentait l’espoir de tous les juifs pieux : le Messie annoncé par les prophètes, le Messie qui devait venir établir la paix sur terre.

Quelle déception ! Quel ébranlement ! Quelle remise en question ! Un bouleversement tel qu’il n’engendre que peur et silence : elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. Leur deuil les empêche d’être réceptives à la vie qui s’annonce pourtant à elles.

Parce que la résurrection de Jésus leur est clairement annoncée : Ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié : Il est ressuscité, il n’est pas ici. Voyez l’endroit où on l’avait déposé. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée. C’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit. Mais elles sont submergées par la déception. Leur désespoir envahit tout. Et ce que leur dit le jeune homme vêtu de blanc reste sans effet. C’est comme si elles ne l’entendaient pas. Elles restent prisonnières de leur peur.

Et c’est sur ce deuil, sur cette peur, que se termine la version originelle de l’Evangile de Marc. Car la suite, que nous avons dans nos Bibles, ne figure pas dans les manuscrits les plus fiables[1]. La fin de l’Evangile de Marc tel que nous le connaissons aujourd’hui a circulé seulement au milieu du IIe siècle, pas avant. D’ailleurs, le style et le vocabulaire de cette dernière partie sont différents. Alors il y a deux explications possibles : soit la fin de cet Evangile a été perdue et on a voulu la reconstituer, soit, plus vraisemblablement, l’Evangéliste a arrêté là son récit. Intentionnellement.

Si cette hypothèse est la bonne, la fin de cet Evangile est sombre. La seule note d’espoir ne vient pas de ces trois femmes, mais de ces quelques indices : la pierre roulée et ce jeune homme vêtu de blanc qui leur dit que Jésus est ressuscité.

Mais pour ces trois femmes, peu importe que la pierre ait été roulée, peu importe qu’un jeune homme vêtu de blanc leur ait dit que Jésus était ressuscité : elles ne voient rien, elles n’entendent rien, elles ont peur, et leur peur fait obstacle à leur foi, leur peur les empêche de voir et d’entendre, leur peur les conduit au silence.

D’ailleurs, comment pourraient-elles imaginer ce qui leur est annoncé ? C’est trop nouveau pour elles. Cela n’entre pas dans leurs catégories de pensée. Bien sûr, des résurrections ont eu lieu, mais elles étaient le fait de Jésus. Et maintenant, qui pourrait le ressusciter, lui ?

En fait, l’annonce faite par ce jeune homme vêtu de blanc contient tout. Lorsqu’il leur dit que Jésus est ressuscité, en grec c’est la forme passive qu’il emploie : Il a été ressuscité. Sur cette terre, Jésus a toujours été en relation avec son Père, et nous voyons que cette relation transcende la mort. Sur la croix, le Fils meurt, mais son Père reste le Dieu de la vie, et la relation entre les deux est plus forte. Elle l’empêche d’être retenu par la mort. Ce n’est pas Jésus qui se ressuscite lui-même : c’est son Père qui le ressuscite. La mort de Jésus sur la croix ne signifie en aucun cas la mort de Dieu, comme on l’a affirmé parfois.

Il n’en demeure pas moins que l’Evangile de Marc est éminemment réaliste. Il ne cherche pas à embellir pas la réalité, à brosser un tableau flatteur des premiers disciples. Il ne donne pas dans le merveilleux comme le feront certains Evangiles apocryphes.

L’Evangéliste n’élude pas ce qui pourrait gêner les croyants. Et même, il insiste plutôt là-dessus. Il ne fait pas de ces trois femmes des héroïnes. Il n’en fait pas des championnes de la foi. Il ne passe pas sous silence leur désespoir, leur manque d’efficacité. Au contraire, il insiste sur le fait qu’elles ne disent rien. Drôle de commencement pour un Evangile appelé à se propager !

Ces trois femmes ne comprennent rien, tout comme les disciples qui, eux aussi, n’ont jusque là rien compris non plus. Parce que l’œuvre de Dieu échappe à l’entendement humain. Il faut une remise en question complète pour saisir le dessein divin. Et cette remise en question n’est pas instantanée, elle demande du temps, un temps de maturation, d’intériorisation, le temps qu’il faut pour que ces femmes se laissent toucher par ce qui les dépasse, grâce au Saint-Esprit qui leur sera donné.

Les disciples n’étaient pas des héros, et ces trois femmes, malgré leur fidélité, ne sont pas différentes. Elles aussi, elles sont lentes à comprendre. L’Evangéliste ne gomme pas leur humanité, au contraire : il la met en relief.

Même si ces trois femmes gardent le silence, elles nous disent quelque chose d’essentiel : elles nous disent que les débuts du christianisme ont été modestes. Et finalement, le fait de mettre l’accent là-dessus et non sur une annonce triomphante ne peut que nous encourager. Nous voyons que tout ne repose pas sur nos propres forces et nos propres capacité

La suite des événements n’a pas été entravée par leur peur et leur manque de foi : la bonne nouvelle de la résurrection sera tout de même propagée, une fois que le Saint-Esprit aura été donné. Et c’est justement parce que, comme ces trois femmes, nous ne nous appuyons pas sur nos propres forces, que deux mille ans plus tard, par le Saint-Esprit, nous pouvons dire : « Christ est vraiment ressuscité ! ».

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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