Marc 4, 26-34 – Le progrès du Royaume

Lorsque nous regardons nos Eglises en ce début de XXIe siècle, dans notre vieille Europe, nous pouvons ressentir un certain malaise, un certain découragement, trouver que le christianisme est en perte de vitesse, en déclin : moins de gens au culte, moins d’impact dans la société, des Eglises souvent vieillissantes, une indifférence générale. Et alors on entend parfois : « C’était mieux avant ! » Ce constat touche le protestantisme, mais pas seulement : les catholiques ont le même sentiment. Et ce n’est pas pour nous consoler, bien entendu.

Le texte d’aujourd’hui nous parle du Royaume, et il ne nous en parle pas en termes de déclin, mais en termes de croissance. Pour cela il emploie deux images, deux images prises dans la nature, comme souvent dans les Evangiles. Ce sont deux courtes paraboles très proches l’une de l’autre.

L’une nous donne l’image du blé, de ce blé qui pousse indépendamment de ce que fait le cultivateur. Qu’il dorme ou qu’il soit debout, la nuit et le jour, la semence germe et grandit, il ne sait comment. Le cultivateur ne sait pas comment le Royaume se développe, cela échappe à sa conscience, mais le Royaume se développe.

L’autre parabole nous donne l’image de la moutarde, dont la graine est toute petite mais produit une grande plante. La graine de moutarde était, à l’époque, la plus petite graine connue : 750 de ces graines ne pèsent pas plus d’un gramme, mais l’arbre qui naît de l’une d’elles peut atteindre jusqu’à 4 m de haut – à moins qu’il ne s’agisse de l’arbre à moutarde, qui, lui, atteint facilement une dizaine de mètres. Quoi qu’il en soit, cette graine de moutarde monte et devient plus grande que toutes les plantes potagères, et elle pousse de grandes branches, si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leurs nids à son ombre.

C’est peut-être parce que ces deux petites paraboles disent des choses analogues que les autres Evangiles synoptiques n’en ont gardé qu’une sur deux : la première ne se trouve que chez Marc.

Ces deux paraboles parlent de la croissance dans la nature. Les plantes, les arbres, les fleurs, tous les végétaux grandissent et se développent. Leur croissance trouve son origine dans une simple graine. Si le ciel leur donne l’eau et le soleil nécessaire, les plantes, les arbres, les fleurs, poussent, quelles que soient les circonstances.

Pourtant, à l’œil nu, nous ne voyons rien, cette croissance, nous ne la voyons pas. Nous ne la voyons pas, non parce qu’elle serait imaginaire, mais tout simplement parce qu’elle est lente. Notre œil n’est pas capable de percevoir les mouvements très lents. Il est impossible de voir une plante grandir. Il a fallu attendre le cinéma pour découvrir le développement d’une plante ou d’une fleur en accéléré.

Si nous ne voyons pas la croissance d’une plante, c’est parce que nous sommes dans la temporalité qui est la nôtre, cette temporalité dans laquelle nous sommes enfermés nous fait tantôt penser que tout est instable et que tout change constamment, tantôt que rien de bouge, comme c’est le cas avec la croissance des végétaux. Mais c’est une illusion.

Avant la fleur sur laquelle se poseront les papillons, avant la plante qui donnera des fruits, avant l’arbre qui donnera son ombre, il y a une graine, une simple graine. Inexorablement, la graine donnera la plante qui est inscrite en elle. Et la plante ne cessera de croître, jusqu’à sa maturité.

Mais qu’est-ce qui fait que cette plante ne cessera de croître ? Rien d’autre que la force de la vie, dont personne n’a su encore pénétrer le mystère. C’est cette force de vie qui la fait croître jusqu’à sa maturité, cette force de vie qui est contenue à l’intérieur de la graine. Le philosophe Emmanuel Kant a donné cette définition de la vie. Il disait : La vie, c’est le pouvoir qu’a une substance de se déterminer à agir en vertu d’un principe interne[1]. C’est cela que renferme toute graine.

Toute graine dispose de cet énorme potentiel qui est inscrit en elle, dans son principe interne. Toute graine dispose de cette force de vie. Toute graine est programmée pour donner telle fleur, telle plante, tel arbre. Si cette force de vie est au cœur des végétaux, elle est aussi au cœur du Royaume 

Comme une plante, un arbre ou une fleur, se développent grâce à la force de vie qui est contenue dans leur graine, le royaume de Dieu est appelé à croître grâce à la force de vie qui est en lui. Il est appelé à croître quelles que soient les circonstances, non grâce à nos propres forces, mais grâce à cette force de vie qui est en lui, qui agit aussi dans la nature.

D’où le Royaume tire-t-il ce principe de vie ?

Comme la plante, l’arbre ou la fleur, le royaume de Dieu a eu de tout petits commencements : il y a eu Abraham, un individu qui est entré tout seul dans une démarche de foi, un individu qui a donné naissance à tout un peuple, et ce peuple lui-même qui a donné naissance à Jésus, venu à nous dans la fragilité d’un enfant. C’est en lui que le Royaume de Dieu a son principe de vie.

Le livre de Zacharie avait annoncé cette phrase prophétique : Voici un homme dont le nom est Germe, sous ses pas tout germera[2]. Les chrétiens y ont vu l’annonce de Jésus-Christ, Jésus-Christ qui dira de lui-même : Je suis la résurrection et la vie.

Alors, que nous disent ces deux paraboles sur le Royaume dans notre vieille Europe en ce début de XXIe siècle ? Ces deux paraboles nous disent que le développement du Royaume ne dépend pas de ce que nous faisons, pas plus que la croissance du blé ne dépend de ce que fait ou pense le cultivateur. Le développement du Royaume est entièrement dans les mains de Dieu. Donc nous pouvons avoir confiance, et nous pouvons regarder notre époque avec toute la sérénité voulue. Cela nous donnera une grande paix même quand il nous semble que nos Eglises sont en péril.

Ensuite, ces deux paraboles nous rappellent que le développement du Royaume n’est pas visible de manière immédiate, parce que nous avons besoin de la longue durée pour le voir se développer, parce que nous ne regardons pas toujours là où il faudrait. Parfois, nous nous arrêtons à des détails et nous manquons de voir l’ensemble. Ainsi, nous savons aujourd’hui que ce que nous constatons en Europe est très loin de la situation des pays émergents, qui parfois viennent nous ré-évangéliser.

Alors, non, le Royaume de Dieu n’est pas en régression, mais nous en avons une vue partielle. Notre vision est limitée par le temps et l’espace. L’Eglise n’est pas seulement notre Eglise locale, ni même à l’Eglise protestante en France. L’Eglise déborde les frontières de l’espace et du temps. Elle a ce caractère d’universalité, qui nous relie aux chrétiens de tous les lieux et de toutes les époques, par delà l’espace et le temps. C’est ce que rappelle notre liturgie chaque dimanche.

Alors, par la foi, nous pouvons considérer que, malgré les apparences et les perceptions limitées que nous en avons, le Royaume de Dieu ne cesse de croître. Et chacun de nous, nous participons de cette croissance.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

Contact