Marc 6, 1-6 – Une grande assurance, mais pas de foi

L’Evangile de Marc insiste beaucoup sur la prédication de Jésus. Il fait commencer le ministère de Jésus par une prédication, une prédication en Galilée, dans la synagogue de Capharnaüm. Cet Evangile veut nous montrer que le plus important, c’est le message que Jésus délivre.

Car Jésus dit des choses qui n’ont jamais été dites avant lui. Sa prédication est novatrice, bouleversante, elle va à l’encontre des idées reçues. Les habitants de Nazareth ne s’y trompent pas : ils reconnaissent bien chez lui une grande sagesse ; ils constatent aussi les miracles qu’il fait.

Seulement voilà, maintenant que Jésus est revenu dans sa région natale, à Nazareth, où il a grandi, sa sagesse et ses miracles étonnent et dérangent. A Nazareth, Jésus est un personnage connu : les habitants de son village le connaissent bien, lui et sa famille. Ils l’ont côtoyé pendant trente ans, depuis qu’ils l’ont vu naître. Il fait partie du paysage, il appartient à leur univers, il est l’un des leurs, une figure tellement familière, tellement banale, d’une certaine manière.

Il se produit donc un contraste extraordinaire : contraste entre la nouveauté radicale de sa prédication, et cette familiarité rendue possible par trente années de présence quotidienne.

Les habitants de Nazareth constatent bien que Jésus se distingue par sa sagesse et par ses miracles. Seulement voilà : le contraste est trop grand entre ce qu’il donne à voir et ce qu’ils connaissent de lui. Ils sont étonnés et dérangés. Ils ont besoin de comprendre, de donner une explication logique, rationnelle.

Mais leur étonnement ne les emmène pas plus loin. A eux, on ne la leur fait pas : ils ne sont pas naïfs, ils ont leur grille de lecture, leur propre façon de comprendre les choses. Ils savent que le Messie doit forcément venir d’ailleurs, pas de cette terre méprisée de Galilée. Et donc, après son insuccès auprès des responsables religieux juifs, après son insuccès auprès des foules, Jésus rencontre maintenant l’insuccès auprès des siens.

On le sait, les Galiléens n’étaient pas mal considérés par les autres Juifs. Ils ne se tenaient pas eux-mêmes en très haute estime. Et puis, les habitants de Nazareth se souvenaient peut-être que 25 ans plus tôt, en l’an 6, les Romains avaient détruit la capitale de la Galilée, Sépphoris, sur le simple motif qu’elle s’était soulevée en vue de l’attente messianique. Quand il le fallait, les Romains savaient se montrer dissuasifs. Les habitants de Nazareth imaginaient peut-être déjà leur petite ville rayée de la carte…

Avec la grille de lecture qui est la leur, ils sont devant une énigme. Et devant cette énigme, ils font un choix : le choix de l’incrédulité, un choix qui n’apporte aucune clef de compréhension : leur incrédulité laisse la sagesse et les miracles de Jésus sans plus d’explication qu’avant. Par là, les habitants de Nazareth montrent juste qu’ils sont bien superficiels. Et c’est maintenant au tour de Jésus d’être étonné de leur facilité à passer à autre chose. Jésus ne comprend pas, lui non plus. A leur étonnement répond son étonnement à lui.

Oui, les habitants de Nazareth passent à côté de la foi. Ils ne parviennent pas à croire à la divinité de Jésus. Mais qu’est-ce que croire ? Croire, c’est admettre que le Dieu Tout-Puissant s’est donné à connaître dans un homme aussi banal que les Galiléens de ce village, un homme devenu le familier de ceux qui l’avaient vu grandir, un homme qui avait tout en commun avec eux, y compris un métier. Le métier de Jésus était tout à fait courant, tout à fait banal : être charpentier, cela ne consistait pas seulement à travailler le bois, mais aussi les métaux ; c’est le charpentier qui construisait les maisons. Sur un plan extérieur, Jésus ne se distinguait en rien des autres habitants ; la seule chose qui le distinguait, c’était sa prédication et ses miracles.

Mais pour les habitants de Nazareth, on n’existe que par sa famille et sa profession. Ils sont incapables de discerner l’identité de quelqu’un autrement que par l’apparence. C’est pourquoi ils sont incapables de voir qui est vraiment Jésus.

On le sait, ce comportement est très répandu de nos jours. Ils sont nombreux, ceux qui aujourd’hui ne prennent en compte que des critères extérieurs et s’empressent de mettre une étiquette sur quelqu’un. Pour eux, on se définit par sa profession, par son origine sociale, familiale, confessionnelle. C’est terriblement réducteur parce que cela ne nous dit rien de la personne. Cela ne nous dit pas si on aura envie de créer des liens d’amitié avec cette personne, si on éprouvera de la sympathie pour elle.

Oui, les habitants de Nazareth enferment Jésus dans leur mode de pensée. Ce n’est pas ce que fait Jésus : il agit tout différemment. Il n’enferme personne. Il est le Dieu de la liberté. Et c’est bien pourquoi il s’étonne de leur comportement. Et précisément, cet étonnement fait met son caractère divin au grand jour. Mais eux sont empêchés de le voir. La rencontre ne se fait pas.

Et les habitants de Nazareth restent dans l’incrédulité. Ce mot incrédulité, apistia en grec, ne se trouve qu’une fois dans tout l’Evangile de Marc, dans ce passage.

Qu’est-ce que l’incrédulité ? Ce texte nous montre que l’incrédulité, c’est le contraire du doute : ces gens ne doutent pas, ils sont sûrs d’eux, sûrs de tout savoir de Jésus, de connaître mieux que tout le monde son identité, ils font aveuglément confiance à leur propre capacité de compréhension, rien ne peut ébranler leurs certitudes. Seulement, il y a un problème, un problème de taille : leurs présupposés sont faux. Et donc tout leur raisonnement est faux, lui aussi. A cause de cela Jésus ne peut pas les rejoindre, il ne peut pas les rencontrer.

Dans leur cas, ne pas être dans l’incrédulité, ce serait être capable de mettre en doute les choses telles qu’elles leur apparaissent. Le doute, dans leur cas, ne serait pas dommageable, mais il serait salutaire. La foi pour eux, ce serait qu’ils puissent faire place à une parole différente, à une autre parole que la leur.

Et si, pour nous aussi, le remède à l’incrédulité, c’était non pas de nous accrocher coûte que coûte à la foi que nous croyons avoir, mais au contraire de ne pas craindre de nous mettre en situation de doute, de nous mettre en situation de doute, non pas vis-à-vis de Dieu, mais vis-à-vis de toutes les représentations que nous avons l’habitude de nous faire et qui influencent notre compréhension du monde. Ah, si les habitants de Nazareth avaient pu douter de leur propre incrédulité !… Mais ils en étaient incapables. Ils croyaient trop en eux-mêmes et à leur propre faculté de jugement.

Jésus était si proche d’eux sur le plan humain qu’ils ont été incapables d’entendre le plus important : ils ont été incapables d’entendre sa prédication, parce que sa prédication ne peut s’entendre que comme quelque chose d’extérieur. Or ces gens étaient incapables d’entendre ce qui ne venait pas d’eux-mêmes, ils étaient emmurés dans leur propre conception des choses, ils étaient prisonniers de leur propre subjectivité 

Et nous aujourd’hui, en tant que chrétiens, nous arrive-t-il d’être étonnés et dérangés dans notre foi, comme ces habitants de Nazareth ? Et dans ce cas, comment réagissons-nous ? Est-ce que nous nous contentons d’une réponse rapide, qui nous rassure ? Ou bien sommes-nous prêts à laisser Jésus changer notre regard ? Sommes-nous prêts à nous laisser emmener plus loin, dans une foi vraiment vivante, avec pour seule sécurité Celui qui a la sagesse et les miracles ?

Amen.

Bernard Mourou

 

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