Marc 6, 7-13 – Plus d’obstacle au témoignage

Nous avons le privilège d’habiter une région magnifique. (Les touristes qui sont parmi nous ce matin sont là pour nous le rappeler et j’en profite pour leur souhaiter la bienvenue parmi nous.) Mais nous ne vivons pas dans un monde parfait et, en tant que protestants, nous pouvons avoir le sentiment, dans nos Alpes de Haute-Provence, d’être une toute petite minorité disséminée aux quatre coins du département.

Eh bien, cela nous rassurera peut-être de savoir qu’en France, il y avait au moins une région dont la situation était encore plus critique : le territoire autour de Chaumont et de Toul, dans la région Est. Là, toute présence protestante avait plus ou moins disparu.

Mais il y a trois ou quatre ans, une équipe de quatre pasteurs missionnaires s’est mise en place. Ils ont lancé différentes opérations, dont les cultes « café-croissants ». Ces cultes « café-croissants » ont lieu en général dans une salle annexe. Ce sont moins des cultes que des moments conviviaux donnant lieu à des témoignages et à des conversations : un invité témoigne de sa foi et il s’ensuit des conversations autour d’un petit-déjeuner.

Le but est de susciter l’intérêt de personnes étrangères à la vie de l’Eglise, habituées ni à la liturgie ni à la prédication. Bien sûr, il ne faudrait pas que ces cultes « café-croissants » remplacent les cultes traditionnels, mais cette expérience est là pour nous rappeler l’importance du témoignage.

Nous sommes appelés à être une Eglise de témoins. Le texte d’aujourd’hui nous parle justement de cela. Il figure, avec des variantes, dans trois Evangiles sur quatre. Jésus envoie ses disciples en mission et leur donne autorité sur les esprits impurs. Seulement, je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais en ce qui me concerne, ce texte me pose un problème.

Jésus envoie ses disciples en leur donnant autorité sur les esprits impurs. Or nous savons que le Saint-Esprit n’a pas encore été donné. Nous connaissons la faiblesse tout humaine des disciples à ce moment de leur vie. Tant que Jésus sera avec eux, ils se disputeront pour savoir qui est le plus grand, ils vivront des échecs, ils seront lents à comprendre les propos de Jésus, et ils finiront par abandonner leur maître. L’Evangile n’est pas avare de détails qui mettent en évidence toutes leurs faiblesses.

Et maintenant, ces hommes, sans avoir reçu l’aide du Saint-Esprit, seraient tout à coup en mesure d’avoir autorité sur les esprits impurs ?… Comment comprendre cet envoi en mission et cette autorité qui leur est donnée ?

Bien sûr, on pourrait penser que Jésus envoie ses disciples en mission justement pour leur faire prendre conscience de leurs incapacités. Pour les amener à l’échec. Il lui est arrivé de le faire dans un but pédagogique.

Mais ce n’est pas le cas ici. Ici, les disciples n’échouent pas. Au contraire, le texte est explicite : il dit qu’ils chassaient beaucoup de démons, qu’ils faisaient des onctions d’huile à beaucoup de malades et qu’ils les guérissaient. Aucun doute n’est permis : les disciples ont mené à bien leur mission. Il faut chercher une autre explication.

Alors regardons le texte de plus près. On nous dit que Jésus leur donne autorité sur les esprits impurs. En grec, le texte de Marc est identique à celui de Matthieu. Chez Luc, il est légèrement différent, mais encore plus clair : il s’agit bien d’une autorité qui s’exerce sur les esprits. Et cette autorité leur est donnée. Cette autorité, les disciples la reçoivent de Jésus, autrement dit ils la reçoivent d’un autre que d’eux-mêmes.

Cette autorité que Jésus donne aux disciples sur les esprits n’est pas une puissance qui leur serait propre, qui leur appartiendrait, dont ils pourraient disposer à leur guise. Non, cette autorité est extérieure à eux. C’est ce qui lui donne sa force.

Luther disait : […] voilà pourquoi notre théologie est certaine : elle nous arrache à nous-mêmes et nous établit hors de nous, pour que nous ne prenions pas appui sur nos forces, sur notre conscience, nos sens, notre personne, nos œuvres, mais que nous prenions appui sur ce qui est en dehors de nous : la promesse et la vérité de Dieu, qui ne peuvent tromper.

Cette autorité est extérieure à eux, et elle s’accompagne d’une parole qui rappelle celle de Jean-le-Baptiste : Ils proclamaient qu’il fallait se convertir. Or, nous savons que la Parole de Dieu est agissante par elle-même. C’est ce que nous dit le livre du prophète Esaïe : […] ainsi se comporte ma parole du moment qu’elle sort de ma bouche – c’est Dieu qui parle – : Elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée.

C’est cette Parole qui est puissance de libération. C’est elle qui donne autorité sur les démons qui chez Marc sont souvent des esprits de contestation, des esprits qui s’opposent justement à cette Parole. Ainsi les disciples, ici, sont envoyés avec l’autorité, non pas du Saint-Esprit, mais de la seule Parole. Cette autorité est l’autorité de la Parole de Dieu.

Alors, que dire de ce texte ? Ce texte ne dévalorise pas le Saint-Esprit au détriment de la Parole. Il ne met pas les deux en concurrence. Mais il montre que les deux reposent sur un principe commun, un principe d’altérité, d’extériorité. Comme la Parole, le Saint-Esprit repose sur un principe d’altérité.

Le Saint-Esprit ne fera pas autre chose que ce que fait ici la Parole. Mais du Saint-Esprit, il ne pouvait pas en être question ici, puisqu’il n’avait pas encore été donné au moment de cet envoi en mission.

Ce que ce texte nous montre, c’est l’efficacité de la Parole en elle-même, indépendamment de celui qui la prononce. Je vais encore citer Luther, qui disait : Dieu ne donne à personne son Esprit ou la grâce, sinon par ou avec la parole extérieure préalable.

Si l’efficacité de cette Parole ne dépend pas de celui qui la prononce, alors c’est très libérateur pour notre témoignage. Cela signifie que lorsque nous témoignons de notre foi, nous ne sommes pas appelés à regarder à nous-mêmes, à nos forces et à nos faiblesses, mais à annoncer une Parole qui ne nous appartient pas, avec les mots qui sont les nôtres, sans faire l’impasse sur nos faiblesses et nos incapacités. Car des faiblesses et des incapacités, nous en avons tous.

C’est pourquoi, qui que nous soyons, quel que soit le regard que nous portons sur nous-mêmes et sur notre vie de foi, nous sommes tous appelés à témoigner de cette Parole, que le monde attend. Toujours prêts à justifier notre espérance devant ceux qui nous en demandent compte, comme le dit la Première épître de Pierre. C’est cette Parole extérieure à nous-mêmes du message évangélique que nous sommes tous appelés à dire, sans orgueil ni fausse modestie.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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