Marc 7, 1-23 – Tout changer ?

 

Pasteur Bernard Mourou

Manger sans s’être auparavant lavé les mains, quel manque d’hygiène ! C’est la réaction que nous aurions aujourd’hui.

Mais cela nous permet-il de comprendre ce qui se passe ici ? En fait, notre attitude découle d’une prise de conscience rendue possible seulement après la découverte scientifique des microbes.

Au temps de Jésus, la discussion ne portait pas du tout sur ce point-là. L’enjeu n’était pas ces questions d’hygiène, mais la Loi et son observance. Dans le judaïsme, avant de manger il faut se purifier en se lavant les mains. C’est une prescription qui ne laisse pas la place à la discussion.

Et pour ce qui est de la pureté rituelle, certains disciples de Jésus ne sont pas dans les clous : ils sont en train de manger sans s’être lavé les mains avant.

Des scribes et des pharisiens les ont vus. Sans doute cherchaient-ils à les prendre en défaut. En tous cas ils endossent le rôle d’une police religieuse. Chez nous cela provoque un malaise. D’ailleurs Jésus les reprend sévèrement en leur reprochant de s’attacher à la tradition des hommes.

Cela signifie-t-il que Jésus condamne la tradition ? Rien n’est moins sûr.

Reprenons notre texte. Jésus leur reproche bien de laisser de s’attacher à la tradition des hommes, mais il illustre ces propos par cette citation : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi.

Nous le voyons, le point central, ce n’est pas la question de la tradition, mais la question du cœur.

En français, le mot cœur prête à confusion car il renvoie aux sentiments. Mais dans le contexte biblique, ce mot a une tout autre signification, une signification plus large : le cœur ne renvoie pas aux seuls sentiments, mais à l’être tout entier. Il n’exclut donc pas l’intellect comme le texte français pourrait nous le laisser penser.

En fait, Jésus reproche aux scribes et aux pharisiens de ne pas être entiers dans ce qu’ils font et dans ce qu’ils exigent des autres. Il leur reproche de ne pas comprendre le sens profond des choses. Il leur reproche leur superficialité.

Jésus se fait ici pédagogue. Il rappelle à ces scibes et ces pharisiens : Vous exigez qu’on se lave les mains avant de manger, mais êtes-vous en mesure d’expliquer en quoi c’est si important ?

A cette question, on imagine qu’ils auraient pu répondre : C’est important parce qu’on a toujours fait comme ça.

C’est bien sûr une mauvaise réponse, et si tel était le cas, ces commandements reviendraient effectivement à n’être que des préceptes humains qui ne s’imposeraient pas avec une absolue nécessité.

Nous le voyons, Jésus ne critique pas la tradition en tant que telle – il s’est lui-même toujours inscrit dans cette tradition juive – mais il met en lumière le fait que ces scribes et ces pharisiens ne sont pas de bons théologiens : ils connaissent parfaitement les Ecritures, mais de manière fondamentaliste, sans parvenir à en pénétrer le sens et restant prisonniers du texte.

Cela les conduit à toujours mettre l’accent sur les œuvres, c’est-à-dire à insister sur ce que l’être humain doit faire pour mériter la faveur de Dieu. C’est une infidélité à l’Esprit qui sous-tend toutes les Ecritures. Cette tradition interprétative doit être rejetée.

Mais les traditions interprétatives qui expriment le message de la grâce offerte, elles, elles ne sont pas à rejeter, bien au contraire.

Nous le voyons, le problème revient toujours à s’interroger sur les raisons de nos pratiques. Pourquoi accomplissons-nous tel ou tel rite ?

Il ne s’agit pas de faire du nouveau pour faire du nouveau : une telle démarche se révélerait finalement aussi stupide que celle de ces scribes et de ces pharisiens car elle relèverait de la même logique : faire sans comprendre.

Dans un monde qui change de plus en plus vite, les chrétiens devraient être des précurseurs, comme ils l’ont souvent été dans les périodes de haute spiritualité. Pour prendre un exemple qui parle à tous, des Réformateurs comme Luther ou Calvin étaient en avance sur leur temps et ont donné leur marque aux temps qui ont suivi en critiquant les mentalités de leur époque.

Aujourd’hui encore, il s’agit d’être critiques par rapport à des interprétations répandues parce qui sont dans l’air du temps mais qui néanmoins doivent être interrogées. Car leur acceptation sans aucun discernement participe de la crise que traversent nos Eglises.

Parmi ces idées, il y a celle consiste à vouloir rejeter systématiquement et à faire du nouveau pour faire du nouveau. On se coupe alors du passé et de ses richesses pour faire table rase et repartir de zéro.

Changer pour changer, c’est la solution de la facilité. Changer pour changer, c’est refuser de faire le travail intellectuel nécessaire pour maintenir nos Eglises à la pointe de la modernité.

Au contraire, réfléchir et aller au fond d’une réflexion, c’est une démarche exigeante.

Il ne s’agit évidemment pas de se crisper sur les choses du passé. Le changement est un principe de vie. Mais il se fait dans une évolution naturelle.

Il ne s’agit donc pas de changer les choses de manière radicale, mais de chercher d’abord à mieux comprendre ce qui se passe dans notre société, pour éventuellement voir ce qui ne fait plus sens pour nous et pourquoi cela ne fait plus sens.

Si nous comprenons le sens de nos traditions religieuses, c’est la preuve qu’elles sont bonnes et qu’elles aideront notre vie spirituelle. Et si nous ne les comprenons pas, commençons par nous pencher dessus avant de les rejeter. En général, le temps fait le tri de lui-même sans qu’il soit nécessaire d’entreprendre un travail de démolition. Les traditions vide de sens disparaissent toutes seules, sans qu’une action volontariste soit nécessaire.

Sachons donc veiller sur nos traditions pour éviter que des choses valables disparaissent et pour cela, tâchons de les comprendre. Nous serons ainsi  toujours en accord avec l’Esprit qui nous anime.

Amen

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