Marc 9, 2-10 – Une page lumineuse

Après la première annonce de la Passion, qui était venu assombrir le récit évangélique, c’est aujourd’hui une page lumineuse qui s’ouvre avec l’épisode de la Transfiguration.

Nous retrouvons Pierre, Jacques et Jean, le cercle restreint des disciples. Jésus les prend toujours avec lui pour les moments significatifs : ils ont été les seuls à assister à la résurrection de la fille de Jaïrus, et par la suite ils seront encore là lorsque Jésus annoncera la fin des temps, puis sur le Golgotha.

Ici, Pierre, Jacques et Jean accompagnent Jésus sur une haute montagne, c’est-à-dire dans un lieu à l’écart, isolé. Et puis l’Evangéliste, contrairement à son habitude, nous donne ici une indication temporelle précise : cela se passe six jours après ce qui précède.

Avec l’épisode de la Transfiguration, l’Evangéliste nous donne donc à voir une réalité à part dans l’espace et dans le temps. Au-delà de cela, c’est toute cette page d’Evangile qui se trouve comme mise à l’écart, mise à distance du reste. Elle nous parle d’une réalité qui ne relève pas de notre monde créé, mais du monde divin, ce monde auquel nous n’avons pas accès, sauf dans de rares cas, comme ici où cette vision vient comme passerelle pour faire communiquer ces deux mondes.

Mais parce qu’il s’agit d’une réalité divine, elle ne peut qu’être entrevue fugitivement. Oui, cette vision lumineuse appartient à une autre réalité et elle ne pourra être que fugitive, même si, devant ce phénomène divin qui lui échappe, Pierre tente de prendre la main ; son intervention est en décalage avec ce qui se passe, elle vient trop tôt : les disciples sont encore sur la terre, et sur la terre une telle réalité ne peut pas s’installer dans le temps.

Les disciples se trouvent sur une haute montagne, mais quelle est cette montagne ? Nous n’en savons rien, l’Evangéliste n’a pas jugé utile de nous le faire savoir. La tradition a évoqué le mont Thabor, mais il culmine seulement à 600 mètres. Il pourrait aussi s’agir du mont Hermon, qui est plus haut.

L’Evangéliste n’a pas jugé utile de la localiser avec précision, parce que son importance n’est pas géographique, mais théologique. L’expression six jours après nous renvoie à une autre montagne, celle du Sinaï, où Dieu s’était manifesté à Moïse, qui avait été enveloppé par la nuée pendant six jours.

D’ailleurs, Moïse est bien présent dans cette scène, de pair avec Elie, le prophète par excellence. L’Evangéliste souligne donc le fait que Jésus ne vient pas comme un OVNI, mais qu’il se rattache au passé d’Israël et à l’histoire des hommes. D’autre part il établit ainsi un parallèle entre Jésus et Moïse pour faire de Jésus le nouveau Moïse.

Dans cette vision, l’attention est mise sur les vêtements de Jésus : ils prennent un éclat céleste. Dans le contexte de l’époque, les vêtements renvoient à la personne qui les porte : parler des vêtements, c’est parler de la personne elle-même. La blancheur sans égale de ses vêtements signifie que, pour la première fois, la gloire de Dieu repose sur un homme.

Nos traductions parlent d’une transfiguration. Le terme est devenu familier pour évoquer cette expérience. En fait, le verbe employé fait référence à une métamorphose, mais il n’est jamais utilisé dans la Septante – la version grecque de l’Ancien Testament. Et dans le Nouveau Testament, il n’apparaît qu’à deux reprises, sous la plume de l’apôtre Paul, à propos des croyants.

En revanche, ce terme est fréquent dans des textes qui relèvent de la magie et de l’ésotérisme. Avec l’épisode de la Transfiguration, l’Evangéliste nous situe donc d’entrée de jeu dans un contexte étrange.

Mais, nous l’avons dit, cette vision étrange est fugitive. Ce qui va y mettre fin, c’est une parole, une parole qui vient rétablir l’ordre : Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! Cette parole nous fait passer de la vision à l’écoute.

La vision est fugitive, elle est inscrite dans le temps. En revanche, la parole n’est pas inscrite dans le temps, elle est intemporelle, c’est pourquoi la parole qu’entendent les disciples est supérieure à la vision de l’événement.

Cette parole rappelle celle qui a été prononcé lors du baptême de Jésus, mais cette fois-ci, elle s’adresse aussi aux disciples.

Elle rappelle aussi la prière que font les juifs chaque jour : celle que l’on appelle le shema Israël, qui veut dire Ecoute Israël. C’était le premier commandement adressé au peuple de Dieu, avant même ce que nous appelons les Dix commandements.

Cette injonction à écouter Jésus souligne sa divinité, car le juif est appelé à écouter Dieu seul. Ecouter Jésus, c’est dire que Jésus est Dieu. D’ailleurs, lorsque cette voix se fait entendre, les disciples ne voient plus que le Christ. Il est le Fils bien aimé, donc sans commune mesure avec Moïse ou Elie.

Désormais, c’est la personne de Jésus qui sera la clé d’interprétation ultime des Ecritures, c’est par lui que pourront être compris les livres de la Loi, symbolisés par Moïse, et les livres des prophètes, symbolisés par Elie.

Ce qui est caractéristique du récit de la Transfiguration, c’est la manifestation que Jésus est à la fois pleinement homme et pleinement Dieu. En ce sens, la Transfiguration est au centre de la foi chrétienne, comme elle est au centre de l’Evangile de Marc.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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