Marc 9, 30-37 – Qui est le plus grand ?

Jésus et ses disciples parcourent la Galilée. Ils vont à Capernaüm. La maison dont il s’agit est peut-être celle de Pierre et d’André. Cela nous renvoie au début de l’Evangile, là où tout a commencé[1], comme si Marc voulait ramener son auditoire sur les lieux du ministère de Jésus. Capernaüm, c’est le lieu des commencements, et cette maison, le lieu de l’intimité. La volonté d’un dernier ressourcement avant la montée à Jérusalem.

Mais l’ambiance est lourde : Jésus leur annonce qu’il devra souffrir et mourir. Et puis en chemin, les disciples se sont disputés. Ce qui a déclenché cette dispute, c’est cette question : « Qui est le plus grand ? »

La volonté d’être le plus grand, le meilleur… une préoccupation qui ne date pas d’aujourd’hui, mais qui est toujours présente : goût de la performance, de la compétitivité, infligée à soi ou aux autres, et assortie de sanctions : manque de considération, mise à l’écart, chômage. Et cette recherche de la performance commence dès l’école ; tout récemment, les évaluations ont fait leur apparition dans les classes de maternelle.

Qui est le plus grand ? Qui est le meilleur ? C’est la question que se posent les disciples au moment où Jésus entrevoit sa Passion prochaine, au moment où il tâche de faire comprendre à ses disciples ce qui l’attend. Le décalage entre Jésus et ses disciples n’a jamais été aussi grand. Maintenant, un véritable fossé les sépare. Les disciples ne comprennent pas, ou ne veulent pas comprendre, ce que Jésus essaie de leur dire. Par conséquent, ils ne comprennent plus non plus le sens de leur mission, si tant est qu’il l’aient jamais compris.

Qui est le plus grand ? En posant cette question, les disciples se referment sur leur petit cercle. Ils ne se préoccupent nullement de ceux qui ne font pas partie de leur groupe. Et, plus surprenant encore : ils ne se préoccupent absolument pas de Jésus. Jésus est exclu de leur questionnement. Leur préoccupation de savoir qui est le plus grand ne concerne qu’eux-mêmes. Elle ne concerne que les Douze.

Est-ce une volonté de puissance qui les anime ? Est-ce le désir d’être approuvé par Jésus ? D’être son préféré ? Est-ce le malaise diffus que suscite le pressentiment des sombres événements qui s’annoncent à Jérusalem ?

En tous cas, cette question, Jésus veut la mettre en lumière : c’est lui qui prend l’initiative de leur demander quel était leur sujet de discussion. Pour Jésus, il ne faut pas rester sur des non-dits, il faut que la parole circule, il faut que les choses soient dites. Il faut que toute la lumière soit faite.

Mais pour toute réponse, Jésus n’obtient qu’un silence gêné : les disciples sentent bien que leur préoccupation n’a pas des motifs très purs ; en présence de Jésus, ils n’osent plus parler.

Alors, voyons comment Jésus essaie de les emmener plus loin.

Jésus leur répond en tant en tant qu’enseignant et en tant que prophète.

Et il leur répond en tant qu’enseignant, parce qu’il s’assied avec eux. S’asseoir, c’était la position des enseignants, des maîtres qui avaient autorité pour enseigner : ils s’asseyaient avec leurs disciples, et puis ils commençaient à les enseigner. En s’asseyant avec ses disciples, Jésus leur fait comprendre que ce qu’il va leur dire est capital.

Et puis Jésus leur répond aussi en tant que prophète. Le prophète dans la Bible, ce n’est pas tant quelqu’un qui prévoit l’avenir, mais c’est quelqu’un qui joint le geste à la parole. En ce sens, le fait de faire venir un enfant est un geste prophétique, un geste fort, parce qu’à l’époque l’enfant n’a pas le même statut qu’aujourd’hui ; aujourd’hui, on a tendance à faire des enfants de petits adultes avant l’heure, on sollicite leur avis ; à l’époque, l’enfant était un être insignifiant ; on n’y attachait que peu d’importance.

Notre prochaine session de proposants aura lieu à La Force. Beaucoup parmi vous connaissent ce lieu protestant : on y accueille des personnes handicapées mentales. Ces personnes ont non seulement toute leur place dans l’Eglise, mais elles ont un rôle particulier à jouer : par leur simple présence, elles nous rappellent cette vérité fondamentale, que ce qui compte, ce n’est pas de faire, mais d’être, et que nos capacités et nos compétences, si elles sont certes utiles à l’Eglise, ne déterminent pourtant pas la valeur que nous avons aux yeux de Dieu. C’est cela que nous rappellent les personnes handicapées.

S’asseoir, faire venir un enfant : deux gestes forts.

Mais alors, qu’est-ce que Jésus a de si important à leur dire pour utiliser deux gestes aussi forts ?

Qu’est- ce qui fait la particularité d’un enfant ? Il y a une caractéristique commune aux enfants de tous les lieux et de toutes les époques, c’est qu’un enfant reçoivent tout des autres, et principalement de ses parents. De sorte qu’un enfant est toujours dépréoccupé de lui-même. Si Jésus met un enfant en avant, s’il fait d’un enfant un modèle, c’est pour faire comprendre aux disciples que l’important, ce ne sont pas leurs capacités, leurs compétences, tout ce qu’ils sont capables de faire.

Mais attention : Jésus ne dit pas aux disciples : « Ce n’est pas bien de chercher à savoir qui est le plus grand, qui est le meilleur. » Ils ne leur dit pas : «  Ce n’est pas bien de vous posez cette question, restez dans votre coin comme les enfants. »

Jésus ne déresponsabilise pas les disciples : il leur montre un chemin pour être vraiment efficaces. Ce chemin, c’est prendre conscience que nous recevons tout d’un Autre, que nous recevons tout de Dieu. C’est en recevant tout de Dieu que nous pourrons être le plus efficace pour notre Eglise. C’est en recevant tout de Dieu que notre service prendra toute sa valeur.

Cette attitude nous libérera de nous-mêmes, elle nous empêchera d’avoir l’impression que tout repose sur nos épaules, elle nous évitera tout souci inutile, nous serons dépréoccupés de nous-mêmes. Se faire du souci, même pour une cause juste, ce n’est pas un signe d’humilité, mais d’orgueil : qui sommes-nous pour penser que tout dépend de nous ? 

Oui, il y a une autre manière d’accomplir son service pour Dieu et pour l’Eglise, c’est de faire de la place à Dieu dans notre vie, d’être dans une attitude d’accueil. Il assez facile d’être reconnaissant pour ce que les autres nous donnent. Il est plus difficile d’avoir conscience que nos propres capacités sont aussi des dons, et que ces dons ne sont pas seulement un bienfait pour les autres, mais aussi qu’ils sont un bienfait pour nous-mêmes.

En ce culte de rentrée, je formule le souhait que cette année qui est devant nous soit l’occasion pour chacun de faire profiter de ses dons notre paroisse de Haute-Provence, non dans un esprit de sacrifice, mais parce que, comme nous le dit le livre des Actes, il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

 

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