Marc 9, 38-48 – Une communauté mystérieuse

 

Pasteur Bernard Mourou

A ce moment du récit évangélique, les disciples sont loin de tout comprendre. Alors ils s’interrogent, et leurs questions révèlent leur état d’esprit.

Juste avant notre passage, alors même que Jésus envisageait sa dernière montée vers Jérusalem, ils se demandaient qui parmi eux était le plus grand.

Aujourd’hui, cette question nous paraît mal venue et il est facile de taxer les disciples d’égocentrisme. Mais si nous nous replaçons dans le contexte religieux de l’époque, une telle préoccupation n’est pas si surprenante, après tout : de nombreux passages du Premier Testament promettent bien le bonheur et la prospérité à ceux qui révèrent Dieu. On appelle cette conception la théologie de la rétribution : si l’on agit bien, on sera récompensé.

Dans notre passage, c’est un apôtre de premier rang qui manifeste ce souci égocentrique : Jean est préoccupé par le fait qu’un homme chasse les esprits mauvais alors qu’il n’appartient pas au cercle des disciples.

Jean a sa propre grille de lecture : pour lui, il y a ceux qui agissent de manière conforme parce qu’ils vivent dans la proximité de Jésus, et puis il y a les autres, qui ne peuvent que se fourvoyer.

Mais alors, comment peuvent-ils agir comme ils le font ?

Le raisonnement de Jean est logique, pourtant sa grille de lecture se révèle simpliste et incapable de rendre compte d’une réalité toujours complexe. Ici, la théorie est contredite par l’expérience.

Jean a pu prendre conscience de ce problème parce qu’il a su confronter sa théorie à la réalité. En ce sens, il fait preuve d’une vraie honnêteté intellectuelle. C’est pourquoi Jésus va pouvoir l’aider.

Dans toute association humaine, il faut demander à devenir membre pour être reconnu en faire partie. Mais l’Eglise est à la fois une organisation humaine et une organisation divine. Les catégories habituelles ne fonctionnent pas quand il s’agit de décrire l’Eglise. L’Eglise n’est pas une secte qui érigerait un mur infranchissable entre ceux du dedans et ceux du dehors.

Pourtant, par la suite, cette conception problématique n’a pas complètement disparu de la pensée chrétienne. C’est ainsi qu’au IIIe siècle, saint Cyprien de Carthage a eu cette formule restée célèbre : Hors de l’Eglise, point de salut. On le sait, l’interprétation qui en a été faite a eu des conséquences funestes. Elle a donné lieu à bien des dérives, comme l’Inquisition et des persécutions de toutes sortes.

Dans notre texte, nous voyons germer cette idée, mais l’évangéliste lui règle son compte.

Finalement, quelle chance que l’on ait conservé une telle anecdote ! Cet homme quelque peu énigmatique qui chasse les esprits mauvais sans faire partie du groupe nous rend un grand service : par le fait même qu’il dérange, il permet de clarifier les choses. Sa seule présence garantit notre liberté de penser.

Nous le voyons, Jésus nous propose un modèle de communauté pour le moins original : une communauté qui ne se définit pas par le nombre de ses membres, comme un parti politique ou une association de pêcheurs à la ligne. Personne ne peut déterminer les contours de l’Eglise.

Dans cette perspective, Calvin a développé deux concepts fort utiles. Il distinguait l’Eglise visible et l’Eglise invisible. Pour nous, l’Eglise visible comprend toutes les personnes qui ont demandé à figurer sur la liste des membres et qui ont le droit de voter chaque année lors de l’assemblée générale ; l’Eglise invisible, c’est l’Eglise telle que seul Dieu la connaît et qui ne suit pas les frontières confessionnelles.

Ce qui fait l’Eglise, ce n’est pas quelque chose de quantifiable, mais c’est l’écoute de la Parole de Dieu. Calvin, toujours lui, disait que partout où nous voyons la Parole de Dieu être purement prêchée et écoutée, les sacrements être administrés selon l’institution de Christ, là il ne faut nullement douter qu’il y ait Eglise. C’est une définition non-restrictive.

Cet homme qui chasse les esprits mauvais agit au nom de Jésus. Est-il resté seul ou a-t-il rejoint d’autres croyants, nous ne le savons pas. Tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il a entendu parler de son enseignement. Le reste relève de Dieu, qui seul connaît le mystère des cœurs.

La Parole de Dieu est prêchée dans ce temple, mais ailleurs aussi. Aucune dénomination ne peut avoir la présomption de représenter à elle seule la totalité du christianisme. Ce serait une pensée totalitaire absolument contraire à l’esprit de l’évangile. C’est pourquoi toute Eglise digne de ce nom a une vocation œcuménique.

Les protestants ont bien compris cela : ils ont été des précurseurs dans le mouvement œcuménique, dès 1910 avec la conférence d’Edimbourg, un demi-siècle avant le concile de Vatican II. Ensuite en 1948 a été fondé le Conseil Œcuménique des Eglises, qui a rapproché les protestants et les chrétiens d’Orient.

Ainsi, le modèle de la communauté chrétienne diffère radicalement de toute association humaine. Il ne s’agit pas de faire telle ou telle chose pour en devenir membre, car ce n’est pas l’homme qui la crée, mais c’est Dieu, par sa Parole.

Notre appartenance à l’Eglise ne repose pas sur nos seuls choix personnels, mais sur la parole de Dieu. Le livre d’Esaïe compare cette parole à la pluie et à la neige, qui viennent du ciel et y retournent une fois qu’ils ont permis la fertilité de la terre.

Ce texte nous met en garde contre la tentation de tracer une frontière rassurante entre ceux du dedans et ceux du dehors. Il nous rappelle que l’Eglise n’est pas un cercle fermé, mais une communauté ouverte.

Amen

 

 

Contact