Matthieu 11, 2-11 – Dépasser nos doutes

Dans notre époque de crise économique et morale, alors que les problèmes de toutes sortes touchent de plus en plus de gens, on sent une aspiration à ce que les choses changent.

Il y a deux mille ans, les juifs étaient eux aussi confrontés à des problèmes de toutes sortes, même s’ils n’avaient pas grand-chose de commun avec ceux que nous avons aujourd’hui. Cela faisait longtemps que les prophètes de l’Ancien Testament avaient annoncé la venue d’un Messie qui ferait disparaître tous les problèmes. Les juifs l’attendaient avec une grande ferveur. Lorsqu’il viendrait, le Messie devait avoir droit à tous les honneurs ; il devait être annoncé solennellement par un précurseur, qui dirait au peuple : « Voici le Messie, inclinez-vous devant lui ».

Ce précurseur, les juifs imaginaient que ce serait le prophète Elie, qui n’était pas mort, mais qui s’était élevé dans le ciel entraîné par un charriot et des chevaux de feu.

Elie n’est pas venu. Et pourtant Jésus en tant que Messie a bien été annoncé : pour les Evangiles c’est Jean-Baptiste qui a joué ce rôle.

Le peuple plaçait dans le Messie toute son espérance. Jean-Baptiste était celui qui avait reconnu et annoncé le Messie ; le Messie, c’était Jésus, cela ne faisait aucun doute. De lui, Jean-Baptiste attendait ce qu’il appelait le baptême de feu.

Il ne faut pas se méprendre : dans l’esprit de Jean-Baptiste, le baptême de feu, c’était quelque chose d’assez terrifiant : le baptême de feu impliquait un grand nettoyage purificateur qui ferait le tri entre les bons et les méchants.

Malgré son message sans concessions – ou peut-être grâce à ce message sans concession – Jean-Baptiste était très populaire ; comme Jésus, il avait de nombreux disciples, au point qu’il aurait pu y avoir une concurrence entre leurs deux mouvements.

Oui, Jean-Baptiste avait suscité une grande espérance dans le peuple. Et puis il y a ce coup d’arrêt brutal : l’arrestation et l’emprisonnement de Jean-Baptiste, une chose impensable et qui fait s’écrouler tous les espoirs.

Maintenant que Jean-Baptiste est en prison, comme espoir il ne reste plus que Jésus. Mais lui, il ne semble pas vouloir faire le tri entre les bons et les méchants ; il ne fait pas non plus sortir Jean-Baptiste de sa prison. L’horizon d’un Royaume de Dieu visible et tangible paraît s’éloigner.

On peut comprendre la perplexité de Jean-Baptiste dans sa prison : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »

La réponse de Jésus est pour le moins curieuse : il énumère les miracles qu’il fait. Son énumération est progressive : les aveugles, les boiteux, les lépreux et les sourds sont guéris ; puis il passe à quelque chose de plus fort encore : les morts ressuscitent ; mais il ne s’arrête pas là, il continue, et après les guérisons et les résurrections vient… la Bonne Nouvelle qui est annoncée aux pauvres.

Les pauvres ici, ce ne sont pas ceux qui manquent des biens matériels, mais ce sont tous ceux qui sont conscients de leurs manques et de leurs incapacités, par opposition à ceux qui sont sûrs d’eux et vivent sans l’aide de Dieu.

Une manière de dire que ce qui relève du visible, des sens, n’est pas le plus important, mais que le plus important, c’est ce qui se passe dans les cœurs et qui est invisible, inaccessible à l’être humain. Antoine de Saint-Exupéry écrivait dans Le petit prince : On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. Oui, il y a les guérisons et les résurrections, mais elles ne prouvent rien, la preuve ultime nous échappe : elle a lieu dans le secret des cœurs.

C’est ainsi qu’il faut comprendre ce que Jésus dit à propos de Jean-Baptiste : qu’il soit un roseau secoué par le vent ou un homme vêtu d’habits élégants, en d’autres termes, qu’il soit un prophète ascétique – ce qu’était vraisemblablement Jean-Baptiste –, ou un homme de cour – ce qu’il n’était vraisemblablement pas –, ce n’est pas cela l’important, parce que ce n’est pas ce qui est visible qui est important.

Mais si les guérisons et les résurrections ne sont pas des preuves pour la foi, cela nous encourage, car cela signifie aussi que ni l’emprisonnement de Jean-Baptiste, ni l’opposition que pourra rencontrer Jésus ne sont des preuves d’échec. Cela signifie que l’essentiel se joue ailleurs et que la réussite ou l’échec ne prouve rien.

On ne sait pas comment Jean-Baptiste a réagi à la réponse de Jésus. Tout laisse penser qu’il s’est contenté de sa réponse. Mais, après tout, il aurait très bien pu dire : « Ah bon, le Royaume de Dieu, ce n’est que cela, la Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres ? »

Et nous, est-ce que nous nous contentons de sa réponse, ou bien est-ce que nous disons : « Ah bon, le Royaume de Dieu, ce n’est que cela ? » Devant toutes les situations qui nous révoltent ou qui nous désolent – ce n’est pas le lieu de parler ici des catastrophes naturelles, des guerres et des tragédies de toutes sortes, les journaux télévisés et la radio s’y emploient suffisamment.

Il n’est pas interdit d’avoir des doutes. Il ne faut pas en avoir peur. Comme Jean-Baptiste, nous avons le droit de nous interroger. Cela peut être même une bonne chose, tout dépend de ce que nous faisons de nos doutes ; tout dépend si nous en restons là et cessons d’avancer, ou si nous dépassons nos doutes et continuons notre route.

Nos doutes ne sont pas néfastes s’ils peuvent permettre à notre foi de se dépasser et de se transformer. Car à la fin de cette énumération, il y a une promesse, une béatitude : « Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi. »

Nous aimerions voir des actions concrètes et des preuves tangibles – et Jésus ne nous dit pas qu’il n’y en a pas. Mais mieux encore que le concret et le tangible, il y a l’épreuve de notre foi. Malgré le fait que dans notre monde et dans nos vies beaucoup de choses peuvent nous faire douter, l’épreuve de notre foi est en elle-même une source de bénédiction, même si nous ne voyons pas encore très bien comment : Jésus dit clairement qu’il y a une bénédiction qui s’attache au dépassement de nos doutes.

Mais pour cela, il faut être conscient de notre pauvreté, c’est-à-dire être convaincu de l’insuffisance de tous nos moyens humains : ils doivent être transcendés par l’action de Dieu.

Que cette période de l’Avent soit l’occasion de prendre conscience de nos incapacités, pour que nous ne placions pas notre foi en nous-mêmes, et que, comme le disait Calvin, tout se fasse pour la gloire de Dieu.

Amen.

Bernard Mourou

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