Matthieu 11, 25-30 – Faut-il mettre son cerveau de côté ?

Aujourd’hui nous nous réjouissons avec Marine, sa famille et ses amis. A travers les séances de catéchisme, les cultes, la lecture de la Bible, Marine a cheminé, jusqu’au moment où il lui est apparu comme une évidence qu’elle désirait confirmer l’alliance de son baptême.

Le texte de l’Evangile proposé pour ce dimanche, qui est en fait une prière de Jésus, convient particulièrement bien pour ce jour de fête.

Par la douceur qui en émane, il contraste avec ceux des deux derniers dimanches. Pourtant, il fait partie d’un ensemble de textes parcourus d’un même fil conducteur : la question de savoir si le groupe formé par Jésus et ses disciples, qui deviendra plus tard l’Eglise, constitue une société fermée, secrète, ésotérique, une société qui serait réservée à des initiés, comme la secte des esséniens ou celle des gnostiques.

Dans la mesure où la foi chrétienne repose sur une révélation, dans la mesure où certains comprennent le message évangélique et d’autres pas, cette question est légitime.

Qu’est-ce qui fait que nous sommes réunis ici ce matin, dans ce temple, alors que la plupart des gens vaquent à leurs occupations ? Qu’est-ce qui fait que Marine a reconnu dans le message évangélique une vérité pour sa vie, alors beaucoup de ses camarades de classe ne s’en préoccupent même pas ? Comment expliquer cela ? Cela ne relève-t-il pas d’un mystère qui échappe à notre compréhension ?

Le texte d’aujourd’hui esquisse une réponse : Jésus loue son Père d’avoir caché cette vérité aux sages et aux savants et de l’avoir révélée aux tout-petits.

Et là, nous voyons que cette réponse n’est pas aussi évidente qu’elle paraît : Jésus voudrait-il nous dire qu’il faudrait mettre son cerveau de côté pour être un « bon chrétien » ?

Certains en sont malheureusement convaincus, et c’est ce qui a fait dire à François Mauriac dans son Bloc-notes : Que Dieu préfère les imbéciles, c’est un bruit que depuis dix-neuf siècles les imbéciles font courir.

Non, bien entendu, il ne s’agit en aucun cas de mettre son cerveau de côté. D’ailleurs, une grande partie de nos problèmes spirituels vient d’une mauvaise compréhension de la foi. Toutes les Ecritures, au contraire, nous invitent à la sagesse et à la connaissance, et l’histoire de l’Eglise est jalonnée de brillants intellectuels, depuis l’apôtre Paul et Augustin d’Hippone jusqu’à Luther ou Calvin. Il n’est pas exclu que Marine, un jour, entreprenne des études de théologie. Pourquoi pas ?

On aurait donc tort de conclure que Jésus prône un anti-intellectualisme. Mais il veut nous dire quelque chose d’important : il veut nous dire que la révélation évangélique ne passe pas seulement par l’intellect, que la révélation évangélique dépasse le seul intellect.

Non, même si nos séances de catéchisme laissent de la place à la réflexion, ce n’est pas le raisonnement intellectuel qui a conduit Marine à la foi. La foi de Marine est une grâce de Dieu, un don que Dieu lui a fait. La foi n’est pas le résultat d’une décision, même si la décision n’est pas exclue du processus.

Si la foi était seulement le produit d’une décision, elle serait purement humaine. Or il n’en est rien : Dieu nous précède toujours.

Si la foi était seulement le produit d’une décision humaine, elle ne serait pas fiable, pas solide, parce que nos décisions et nos engagements reflètent notre fragilité et ne sont si fiables ni solides.

Si notre foi reposait uniquement sur l’engagement que nous avons pris lors de notre confirmation, plusieurs parmi nous ne seraient pas ici ce matin.

Voir la foi comme le produit d’une décision humaine, c’est l’erreur qui est faite dans certains rassemblements d’évangélisation, où à la fin de la réunion il faut manifester sa décision de devenir disciple du Christ en se signalant d’une manière ou d’une autre. Combien alors, parmi ceux qui lèveront alors la main, ne trouveront pas l’apaisement désiré, parce qu’au premier faux pas ils auront le sentiment que Dieu les a abandonnés.

Mais la foi chrétienne telle qu’elle nous est révélée dans les Evangiles conduit à la tranquillité, parce qu’elle ne se perd pas. Non, la foi, on ne la perd pas : on peut seulement perdre que la conscience qu’on en a.

Il en est ainsi parce qu’au fondement de toute foi véritable, il y a Dieu, le roc solide dont parlent quantités de Psaumes. C’est pourquoi Jésus parle d’un joug facile à porter et d’un fardeau léger 

En fait, Dieu nous précède en toutes choses et nous recevons tout de lui, comme les enfants reçoivent tout de leurs parents, à commencer par la vie. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si dans ce passage Jésus, qui a conscience d’être lié à Dieu dans une relation unique, s’adresse à lui en l’appelant cinq fois « Père ». Par la nouveauté de cette relation filiale, il se présente à nous comme l’unique révélateur de Dieu.

C’est cela que les tout-petits ont compris et que les sages et les savants, c’est-à-dire les pharisiens et les scribes, n’ont pas vu. Ils croient que leur sagesse et leur connaissance ne peuvent venir que d’eux. Ils sont fermés sur eux-mêmes, incapables de comprendre que Dieu ne se confond pas avec Dieu. C’est là leur erreur et elle est fatale.

Si Marine aujourd’hui a la foi, si nous-mêmes aujourd’hui avons la foi, nous n’y sommes pour rien, nous l’avons reçue de Dieu. Aux yeux de Dieu, nous n’avons ni plus ni moins de valeur que ceux qui n’ont pas eu cette révélation. C’est à cette relation filiale que nous sommes invités, et elle se manifestera tout à l’heure, quand nous dirons tous ensemble la prière que Jésus a enseignée à ses disciples : la prière du « Notre Père ».

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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