Matthieu 13, 1-21 – un simple semeur

Le début d’un récit est toujours important : il plante le décor et permet de mieux comprendre la suite. Ici, nous voyons Jésus qui prend soin de mettre une distance entre lui et la foule en s’installant sur une embarcation.

Lorsqu’on parle à l’extérieur, la voix se perd, et puis il y a des bruits parasites. C’est pour cela que Jésus a choisi de parler sur une embarcation : entre lui et cette foule immense, il y a désormais une étendue d’eau qui va réverbérer le son et optimiser l’acoustique. Nous voyons qu’il a pris toutes les dispositions pour être bien entendu.

Et pourtant, il n’est pas entendu : les gens ne comprennent pas ce qu’il dit, parce qu’il utilise des paraboles, c’est-à-dire avec des histoires qu’il faut savoir interpréter. Il y a un paradoxe : Jésus met tout en place pour que sa parole ne se perde pas, et il choisit de rester incompréhensible. Parce que ces paraboles, il les utilise à dessein.

Ici l’Evangéliste nous en rapporte une. Alors dans cette parabole, que dit Jésus à la foule ?

Eh bien il lui donne une image, une image qu’il tire du monde agricole, familier aux gens de l’époque. C’est l’image d’un semeur. Avec cette parabole, Jésus tourne notre attention sur les graines qui tombent en terre et qui connaissent un destin différent selon l’endroit où elles tombent.

La foule ne comprend pas cette parabole. Mais les disciples non plus ne la comprennent pas, et ils lui disent : Mais pourquoi parles-tu en paraboles, sous-entendu : ce serait quand même plus simple de dire les choses de manière explicite, pour que tout le monde puisse comprendre.

Mais justement, c’est ce que Jésus se refuse à faire. Il ne veut pas imposer sa manière de voir, il veut que les gens parviennent par eux-mêmes à leurs propres conclusions : il sait bien qu’une opinion que l’on a pas fait sienne n’a pas grande valeur.

Et personne ne comprend. Ce qu’il veut dire est tellement éloigné de ce que les gens attendent. Cela n’entre pas dans leur grille de lecture. La conception qu’ils ont de la religion et du Messie qu’ils attendent est diamétralement opposée. Même les disciples sont dans ce cas.

Jésus vient bouleverser leurs attentes : il leur donne comme modèle un semeur, et il insiste sur le fait que le semeur en question ne maîtrise absolument pas le résultat de son travail.

Ce n’est pas du tout comme cela que les gens imaginent le Messie. Tous ont la conviction que le Messie viendra prendre en mains les destinées d’Israël, qu’il viendra mettre de l’ordre et établira le royaume de Dieu sur la terre. Et face à cet espoir, Jésus leur donne cette image d’un semeur impuissant et insécurisant. Le décalage est profond entre les attentes et la réalité.

Oui, c’est cette image que Jésus donne du Messie, l’image d’un semeur respectueux de tous. En effet, le Christ n’est pas venu pour condamner, il n’est pas venu pour faire le tri entre le bon grain et l’ivraie.

Calvin était bien conscient de cette difficulté quand il a élaboré sa notion de l’Eglise. Pour parler de l’Eglise, il a distingué l’Eglise visible et l’Eglise invisible, c’est-à-dire qu’il a mis l’accent sur le fait que la frontière entre le bon grain et l’ivraie ne passe par la frontière de notre Eglise, ni même par la frontière de nos Eglises : la frontière entre le bon grain et l’ivraie ne passe par la frontière d’aucune Eglise, car d’une part l’ivraie est présente aussi dans les Eglises, quelles qu’elles soient, et d’autre part il y a du bon grain aussi en dehors des Eglises. Et en plus, personne dans l’Eglise n’est à même de discerner l’ivraie du bon grain, pas même les pasteurs.

Avec cette parabole, Jésus veut faire comprendre que le Messie ne sera pas ce roi tout-puissant que le peuple attend, mais un simple semeur, et ses disciples sont appelés à devenir à leur tour, comme lui, des semeurs. Les disciples attendaient un Messie qui imposerait sa parole à tous, qui chasserait les oiseaux, qui ôterait les pierres, qui arracherait les ronces, mais le semeur de la parabole ne fait rien de tout cela. C’est peut-être insécurisant, mais c’est la contrepartie d’un Messie qui renonce à condamner qui que ce soit.

Alors, certes, le semeur de la parabole n’a aucune maîtrise des résultats, mais il a cette confiance que bientôt des épis de blé onduleront dans le vent, riches de nouveaux grains. Il sait qu’il a pour allié le temps, alors il le laisse accomplir son œuvre. Il sait aussi distinguer ce qui relève de lui et ce qui relève de Dieu, et cela lui enlève toute anxiété. Il sait qu’il lui revient de semer, mais pas d’intervenir dans le processus de la germination. Il sait que ce processus suit ses propres lois. Cela se fait tout seul.

Quand nous regardons l’Eglise protestante, et plus particulièrement notre petite paroisse de Haute-Provence, il nous arrive d’être pris d’anxiété.

Mais alors, ne sommes-nous pas plus préoccupés de la germination que des semailles ? Notre anxiété ne vient-elle pas du fait que nous ne distinguons pas ce qui relève de nous et ce qui relève de Dieu. Ne sommes-nous pas tentés de voir si la germination pousse bien ou mal, de chercher les conditions d’une meilleure récolte, d’aider cette germination par tous les moyens, au risque de tirer sur la plante pour la faire grandir plus vite – on sait que tirer sur une plante, c’est faire qu’il n’y ait plus de plante du tout.

La germination ne nous regarde pas : seules les semailles sont de notre responsabilité. C’est pour cela que trop nous concentrer sur la germination ne peut nous mettre que dans l’angoisse. Faisons simplement ce qu’il faut au niveau des semailles. Et nous le faisons : nous avons mis en place des repas de couples, nous préparons le « Voyage au pays de la foi, nous continuons à réfléchir à d’autres initiatives. Mais pour ce qui est de la germination, faisons simplement confiance à Dieu, parce que ce n’est pas notre affaire. Parmi toutes nos actions, nous ne savons pas ce qui donnera 100 grains, 60 grains, 30 grains ou aucun grain du tout. Déjà l’Ecclésiaste disait : Jette ton pain sur l’eau, car avec le temps tu le retrouveras.

Alors, comme le semeur qui connaît les lois de la nature, laissons le temps accomplir son œuvre et ayons cette confiance que bientôt des épis de blé onduleront dans le vent, riches de nouveaux grains. Mais il faut laisser le temps accomplir son œuvre.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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