Matthieu 13, 44-46 – Le trésoir caché

Avant d’être à Manosque, j’ai passé près d’un an dans la ville de Sète. Là-bas, j’avais l’habitude de faire du jogging au bord de la mer, le long de la plage. Pendant les mois d’hiver, la plage était déserte, mais de temps en temps, je voyais quelques individus qui inspectaient méthodiquement le sable avec des détecteurs de métaux. Je ne sais pas s’ils trouvaient des objets de valeur, mais en tous cas ils étaient animés par l’espoir d’une découverte et ils étaient là régulièrement.

 

Dans le texte de l’Evangile d’aujourd’hui, il est aussi question de choses précieuses trouvées fortuitement, par hasard : un trésor, une perle de valeur, deux paraboles propres à Matthieu, qu’on ne trouve pas dans les autres Evangiles.

 

Ce sont deux paraboles très courtes sur le Royaume de Dieu : un homme qui trouve un trésor dans un champ et qui vend tout pour acheter ce champ, un marchand qui trouve une perle de valeur et qui vend tout pour acheter cette perle. Ces deux paraboles vont ensemble, elles sont indissociables.

 

Raconter deux paraboles à la suite était un procédé courant dans la littérature rabbinique de l’époque. On sait que Matthieu s’adresse à un public juif, qui a l’habitude de ces procédés littéraires.

 

Dans les Evangiles, les paraboles sont nombreuses. Jésus les utilisait souvent quand il donnait son enseignement. Une parabole ne livre pas son sens d’emblée ; elle échappe à toute tentative de systématisation ; on ne peut pas établir un parallélisme pour chacun de ses éléments. La parabole nous place donc devant un travail de discernement, de différenciation. Il va s’agir de déterminer quels sont les éléments importants, les éléments porteurs de sens, les éléments à retenir pour l’interprétation, et ce qui ne renvoie à rien sera mis de côté.

 

Dans ces conditions, utiliser deux paraboles plutôt qu’une présente un intérêt certain : cela permet de faire apparaître plus nettement les éléments-clés. En français, si on veut être précis, on a recours à des adjectifs ou à des termes spécifiques. En hébreu biblique, on dispose de peu de mots et on va plutôt travailler sur les images. Si on recherche la précision, on va par exemple utiliser deux paraboles plutôt qu’une, comme c’est le cas ici. Ce qui va être retenu, c’est ce qui est commun aux deux paraboles.

 

Nous allons donc voir ce que ces deux paraboles du Royaume ont en commun. Je vois quatre éléments :

 

1) Dans ces deux paraboles il est question de quelque chose de caché, qui peut passer inaperçu, parce que cela ne frappe pas les regards. Le trésor est enfoui dans la terre, la perle exige un regard d’expert pour être repérée. Dans un cas comme dans l’autre, on aurait pu facilement passer à côté de ce trésor ou de cette perle de valeur. Ils n’étaient pas immédiatement visibles à nos sens. Le trésor est certainement resté longtemps là avant d’être déterré, et la perle a sans doute circulé longtemps avant d’être repérée par un véritable connaisseur.

 

2) Il est question de quelque chose que l’on trouve, avec ou sans recherche préalable. L’homme qui trouve le trésor ne l’a pas cherché. Peut-être a-t-il travaillé le champ, mais ce n’est pas sûr et ce n’est pas important. Quant au marchand qui reconnaît la belle perle, il cherchait bien des perles de valeur, mais sa découverte lui vient quand même comme une grâce : Il aurait très bien pu ne pas la repérer. Dans les deux cas, on a quelque chose qui vient comme une bonne surprise.

 

3) Ce qui a été trouvé a chaque fois une très grande valeur. A partir de là, une distinction se fait entre ce qui a de la valeur (le trésor, la perle) et ce qui en comparaison n’en a pas (tout ce que possèdent ces deux hommes).

 

4) Dans les deux cas une décision est prise : tout vendre pour acquérir ce qui a été trouvé, sans hésitation. Le choix s’impose de lui-même, avec une grand évidence, parce que le trésor dépasse largement les biens de cet homme, parce que la perle dépasse largement les biens du marchand. Dans les deux cas, la transaction ne débouche pas sur une perte mais sur un gain. Comment ne pas tout préférer à ce trésor, comment ne pas tout préférer à cette perle ? La joie et la valeur de la découverte suppriment toute hésitation.

 

Ces quatre points, finalement, tournent autour d’une seule chose : Il est question d’une découverte, une découverte d’un grand intérêt, une découverte qui aurait pu ne pas avoir lieu, une découverte qui n’est pas le résultat d’un effort, mais une découverte qui entraîne un choix.

 

Voyons maintenant comment ces deux paraboles nous parlent du Royaume.

 

Les spécialistes distinguent deux sortes de paraboles :

les paraboles qui racontent une histoire, qu’on appelle les récit-paraboles

 

les paraboles qui utilisent une comparaison, qu’on appelle les paraboles-images, parce qu’elles cherchent à nous faire saisir une réalité abstraite au moyen d’une image.

Ici nous avons deux paraboles-images. Elle introduisent une comparaison : Voici à quoi le Royaume des Cieux est semblable. Pour nous, cette notion de Royaume peut paraître abstraite. Nos deux paraboles vont nous aider à voir le Royaume de manière plus concrète.

Et là, il s’agit de bien nous rendre compte d’une chose : le Royaume n’est pas comparé à un trésor ou à une perle, mais le Royaume est comparé à ce qui se passe quand une personne découvre un trésor ou une perle. C’est tout à fait différent. Cela signifie que la notion de Royaume ne renvoie pas à une chose, mais à une relation : le Royaume est de l’ordre de la relation.

Ici, la relation qui s’établit entre un découvreur et l’objet découvert. En fait, le Royaume est là quand une personne a la disponibilité nécessaire pour pouvoir faire une découverte.Alors ces deux paraboles nous interpellent, mais ce qui est en jeu, ce n’est pas tant la décision de renoncer à tout pour l’objet de la découverte ; il y a bien une décision, mais elle est évidente, elle s’impose d’elle-même.

Ce qui est en jeu, c’est de voir qu’il y a un trésor enfoui, de reconnaître la valeur de cette perle, qui est à première vue tellement semblable à n’importe quelle autre perle. Et ça, ce n’est pas quelque chose qui a la force de l’évidence, cela ne s’impose pas à nous.

Il n’y a pas l’idée de sacrifice dans ces deux paraboles. C’est comme lorsque Salomon demande ce qui est vraiment important : lorsqu’il demande à Dieu un cœur attentif, il reçoit ce qu’il demande, mais il reçoit aussi tout ce qu’il n’avait pas demandé.

Ces deux paraboles nous disent que ce qui va être déterminant, c’est notre disponibilité. C’est d’elle que tout va dépendre, c’est elle qui va nous permettre de découvrir un trésor enfoui, ou de passer à côté, c’est elle qui va nous permettre de reconnaître la valeur de cette perle tellement semblable à n’importe quelle autre perle, ou de ne pas la voir.

Savons-nous voir les trésors cachés de Dieu dans notre vie ? Avons-nous le coup d’œil habile de l’expert, le coup d’oeil capable de reconnaître la valeur des choses, de reconnaître ce qui nous parle de Dieu et de son règne.

Mais il se pourrait aussi que le Royaume de Dieu nous reste caché, simplement pour cause d’inattention. Ces deux paraboles nous invitent donc à être attentifs, à essayer de découvrir les traces du Royaume dans votre vie de tous les jours, comme si nous étions à la recherche d’un trésor. Ces deux paraboles nous appellent à une vie attentive.

Ces traces du Royaume dans nos vies sont déterminantes. C’est cette conviction que nous avons un Père qui agit, que nous pouvons avoir la même confiance que Paul, lorsqu’il nous dit que toutes choses contribuent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qu’il a appelés selon son plan. Quand on les reconnaît, quand on les discerne, ces traces du Royaume prennent la priorité sur toute autre considération.

Et si elles entraînent de notre part une décision, c’est simplement parce qu’elles représentent tout ce qui nous fait vivre. Ces mois d’été, ces temps de vacances, sont propices à cette prise en considération de l’amour de Dieu pour nous. Partir en vacances, faire du tourisme, c’est se rendre attentif à un nouveau pays, à une nouvelle région.

Et même si nous restons chez nous, dans notre environnement familier, c’est quand même un exercice que nous pouvons tous faire. Pour ma part, j’ai pris l’habitude de noter sur un carnet ce qui est digne de mon attention et que, pris par le tourbillon de la vie, je risque d’oublier. En vacances, il m’est aussi arriver de faire des croquis de ce que je voyais. Chacun pourra trouver un moyen qui lui convient pour se rendre attentif. Le Royaume de Dieu nous est donné comme quelque chose d’inattendu, d’inespéré.

Bien que caché, il est tout proche de nous. Il nous faut juste bien regarder, et regarder là où nous n’aurions pas l’idée de chercher : dans le champ de notre vie quotidienne. Le Royaume de Dieu, ce sera peut-être, dans le flot de nos activités, dans le flot des informations qui nous parviennent, le Royaume de Dieu, ce sera peut-être une rencontre, un sourire, un regard, une parole, qui viendra illuminer notre journée ; ce sera peut-être la contemplation de la nature, les feuilles d’un arbre bruissant sous le vent, l’eau étincelante d’une rivière, un horizon de montagnes invitant à la rêverie ; ce sera peut-être la méditation des Ecritures, qui nous aura fait comprendre des vérités nouvelles. Toutes ces choses à travers lesquelles Dieu nous parle.

Ces deux paraboles nous ont fait pressentir la joie qui fera irruption dans notre vie lorsque nous nous aurons reconnu les traces du Royaume. Que notre vie soit une vie attentive. Alors, comme ce coffre qu’on ouvre et qui scintille de pièces d’or ou de pierres précieuses, comme cette perle qui s’irisera de reflets subtiles, si nous savons le découvrir, le trésor du Royaume illuminera nos vies.

Amen.

Bernard Mourou

 

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