Matthieu 14, 13-21 – La vie a le dernier mot

Il y a Jésus, il y a la foule, il y a les disciples. Et puis il y a quelqu’un d’autre, quelqu’un qui ne figure pas dans notre texte, mais dont il faut parler pour comprendre ce qui se passe, parce que c’est à cause de lui que Jésus et ses disciples se retrouvent dans cette situation.

Ce personnage, c’est Jean-Baptiste. Par son baptême de repentance, il avait préparé le peuple à recevoir la Bonne nouvelle du salut, et Jésus avait inscrit son propre ministère dans le prolongement de celui qui avait été son précurseur.

Puis il y eut un premier coup de tonnerre, dix chapitres plus tôt, quand Jean-Baptiste avait été arrêté et emprisonné par les autorités. A cette nouvelle, Jésus s’était retiré en Galilée.

Avec l’épisode d’aujourd’hui, nous assistons à un deuxième coup de tonnerre, plus terrible encore que le premier, parce qu’il marque la fin de tout espoir : Jésus apprend maintenant la mort de Jean-Baptiste.

A cette nouvelle accablante, Jésus réagit exactement de la même manière que la première fois : de nouveau il se retire. Il prend une barque et va s’isoler dans un lieu désert.

Faut-il y voir du désarroi, ou une simple remise en question ? Si on a eu raison de son précurseur, n’aura-t-on pas raison aussi de lui-même ? C’est son propre sort qui est en jeu. Peut-être prend-il conscience, à ce moment-là, que les ennemis de Jean-Baptiste auront aussi raison de lui ; peut-être est-ce à ce moment-là qu’il entrevoit l’éventualité de sa propre condamnation.

En tous cas, à l’annonce de cette terrible nouvelle, Jésus se retire. Il veut être seul. Mais il ne va pas y arriver et sa retraite va être de courte durée : c’est une immense foule qui vient à lui, plus de dix mille personnes.

Dans cette foule, il y a certainement beaucoup de disciples de Jean-Baptiste, des gens qui se retrouvent complètement désorientés et en plein désarroi, parce qu’ils ont perdu celui en qui ils avaient placé leur espoir, celui qui était pour eux était une figure charismatique, un chef spirituel.

Alors maintenant, ils cherchent un autre guide spirituel, et ils viennent vers Jésus. Ils ont marché longtemps, depuis différentes villes.

Ces gens auraient dû trouver leur réconfort spirituel auprès des responsables religieux, seulement voilà, ceux-ci n’ont pas rempli convenablement leur rôle.

Lorsqu’il voit cette foule, Jésus est pris de pitié. Il y a parmi eux des infirmes et tous ces gens sont démunis. Leur quête spirituelle leur fait négliger tous leurs besoins fondamentaux. Jean-Baptiste était lui-même une figure ascétique, nous avons tous cette image à l’esprit d’un prophète qui vivait dans le désert et se nourrissait de sauterelles.

Et c’est là que les disciples rejoignent Jésus. Ils prennent tout à coup conscience du problème : une foule immense qui se retrouve loin de tout, sans provisions, sans rien à manger alors que la nuit va tomber.

C’est pour Jésus que ces gens sont venus. Alors ses disciples, qui ont épousé sa cause, se sentent responsables. Mais ils n’ont pas la moindre idée de la façon dont ils peuvent résoudre ce problème.

Mais ils cherchent quand même une solution, et ils n’en voient qu’une : envoyer au plus vite tous ces gens chercher de quoi manger, une solution qui paraît terre à terre et irréaliste à la fois, une solution qui semble dictée davantage par une peur panique devant l’urgence de la situation plutôt que par une analyse rationnelle du problème.

Mais Jésus ne réagit pas comme eux : il n’est pas pris de court ; il a autre chose en vue pour la foule, et aussi pour les disciples, par la même occasion.

Alors, il va se passer quelque chose d’extraordinaire: cette foule désorientée, cette foule malade, cette foule qui n’a pas mangé, elle va passer du manque à la plénitude. Oui, alors qu’elle est confrontée à des besoins de toutes sortes, cette foule va faire, contre toute attente, l’expérience de la plénitude.

Et cette expérience de la plénitude va se faire non pas seulement par l’intermédiaire Jésus, mais aussi par l’intermédiaire des disciples, qui vont simplement faire ce qu’il leur demande : c’est-à-dire combler eux-mêmes les besoins de cette grande foule.

Au début de notre récit, Jésus avait de tout autres préoccupations, des préoccupations existentielles qui le concernait, lui et son ministère, mais cette foule est venue le mettre à distance de ses interrogations et le replacer face à la vie et à ses sollicitations.

Et cette confrontation avec la réalité n’est pas restée sans effets, elle a eu un résultat au-delà de toute attente : une foule rassasiée et douze paniers pleins, symboles d’une vie surabondante.

En cela, cet épisode est annonciateur de ce qui se passera plus tard pour Jésus : il sera condamné, mais sa mort tragique ne sera pas le dernier mot de l’histoire : c’est finalement la vie qui aura le dernier mot.

Tout au long de son existence, Jésus aura su écouter les besoins des personnes qu’il a rencontrées. Il aura su accueillir la vie, ses surprises et parfois aussi ses désagréments. Goethe disait que le but de la vie, c’était la vie elle-même. Il n’est pas étonnant que Jésus, en ayant toujours eu cette attitude d’accueil, ait fait triompher la vie.

Face à la mort de Jean-Baptiste, face à cet échec qui touche Jésus de plein fouet dans son ministère, la vie a repris l’initiative et c’est elle qui a eu le dernier mot. Comment Jésus est-il passé d’une situation désespérante à une vie surabondante ? Il s’est juste comporté comme à son habitude : il a juste attentif à ce qui se passait autour de lui, il a juste été là pour les autres et avec leurs besoins, il les a juste accueillis, en mettant de côté tout motif d’inquiétude.

Il en sera de même pour nous : cet esprit d’accueil nous réconciliera avec la vie, et elle se chargera de nous faire revenir à la réalité. C’est en étant attentif et en accueillant les besoins spirituels et matériels des personnes qui nous entourent que nous passerons d’une vie soucieuse à une vie surabondante.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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