Matthieu 14, 22-33 – La tempête apaisée

Dans le calme de l’été, propice aux vacances, au repos, à l’insouciance, l’actualité se rappelle à nous. Les médias nous parlent d’un vent de panique sur l’économie mondiale, d’une tempête sur les marchés. Crise économique, mais aussi crise de la confiance. Quand la confiance disparaît, il ne peut rester que la peur. Aujourd’hui, dans l’économie mondiale, c’est la peur qui domine.

Mais la peur s’infiltre aussi dans bien d’autres domaines, et on tente tant bien que mal de se prémunir contre elle. Pensons à toutes les normes de sécurité qui sont devenues obligatoires, y compris pour nos temples, pensons à toutes les assurances qu’on nous propose, pensons à tous ceux qui doivent prendre des médicaments pour lutter contre l’anxiété – il paraît que la France est le pays qui en consomme le plus.

Oui, nous sommes souvent confrontés à la peur. Et il en a toujours été ainsi, parce que nous sommes marqués par la fragilité, parce que nous ne contrôlons pas tout, parce que nous sommes des hommes et pas Dieu.

Notre texte nous parle de la peur et nous montre comment Jésus s’y prend avec elle.

Mais d’abord, situons notre passage dans son contexte. Juste avant, on vient d’apprendre une nouvelle déroutante : la mort de Jean-Baptiste. Lorsque Jésus apprend ça, il part sur une barque pour se retirer seul dans un lieu désert, pour réfléchir à tout ça et pour prier. Mais il ne peut pas, parce qu’une foule immense, désorientée elle aussi par la mort de Jean-Baptiste, l’attend sur la rive. Et lorsqu’il accoste, Jésus est pris de compassion : il abandonne momentanément son projet de se retirer à l’écart, il guérit les malades qui se trouvent dans cette foule et il donne à manger à tous ces gens.

Au début de notre récit, nous en sommes là, la foule est partie, et Jésus va enfin pouvoir réfléchir et prier. C’est pourquoi il congédie les disciples et les envoie en avant, seuls sur le lac, dans une barque.

Dans les Evangiles, nous voyons souvent Jésus avec les disciples. Ici, il n’est pas avec eux. Ce récit commence par la solitude des disciples, par une relation interrompue.

Les disciples se trouvent donc seuls, dans leur barque. Ils aimeraient être ailleurs : n’importe où mais pas là. Mais Jésus ne leur a pas demandé leur avis : il les a obligés à monter dans la barque. C’est la seule fois dans l’Evangile de Matthieu que l’on trouve ce verbe obliger.

Car pour eux tout devient source de peur et d’angoisse. C’est la nuit. Le texte grec nous dit que c’est la quatrième veille. Elle se situe entre 3 h et 6 h du matin. C’est le moment où il fait le plus sombre.

Ils se trouvent à plusieurs stades de la rive, c’est-à-dire à plusieurs centaines de mètres, donc quelque part au milieu du lac. Il n’y a pas de lumière sur la rive, pas de lumière non plus dans les maisons : les gens dorment. Aucun point de repère, donc, rien qui pourrait leur donner une idée de l’endroit où ils se trouvent.

Mais ce n’est pas tout : maintenant le vent se met à souffler, il y a des vagues, c’est même la tempête. Et en plus le vent, vient du mauvais côté et les empêche d’avancer. Ils risquent de rester longtemps au milieu du lac.

Les disciples sont perdus, désorientés, angoissés. Les vagues risquent de submerger leur petite barque et de la faire couler. Le danger est réel. Si ça arrivait, ce serait le naufrage et la noyade : une mort assurée, parce qu’à ce moment de la nuit personne ne viendrait les secourir. Les disciples sont terrorisés, et ils ont de bonnes raisons d’avoir peur.

Cette situation n’évoque-t-elle pas pour nous des situations de grande inquiétude, que nous avons vécues – ou peut-être que nous sommes en train de vivre aujourd’hui ? Dans ces situations, nous avons l’impression que tout nous échappe, nous perdons nos points de repère, nous ne contrôlons plus rien, nous sommes désemparés, et alors nous sommes secoués comme cette barque par les vagues.

Et c’est là que dans notre texte, il se passe quelque chose : dans leurs difficultés, les disciples voient une forme apparaître. Ca pourrait les rassurer, mais non, au contraire : ils ont encore plus peur, ils croient voir un fantôme.

Comment Jésus va-t-il s’y prendre avec la peur des disciples ?

Jésus s’approche, mais cela ne suffit pas : les disciples ne perçoivent qu’une image trompeuse. Une image ne suffit pas à nous rassurer. Dans cette image qui s’offre à eux, aucun disciple ne reconnaît Jésus.

En grec, le terme traduit par fantôme suggère un travail de l’imagination à partir d’un objet réel. C’est une image offerte à l’esprit par un objet. C’est une image qui se forme à partir de la réalité, mais qui s’écarte de cette réalité.

Et si notre époque est si marquée par la peur, c’est peut-être parce qu’elle est entrée dans une culture de l’image. Mais l’image seule ne rassure pas, elle doit être associée à la parole, parce que sans la parole l’image n’a pas de sens. Et c’est justement cette absence de sens qui suscite la peur. C’est pourquoi Jésus, pour combattre cette peur, parle aux disciples. Il leur adresse une parole positive et rassurante : « Courage ! C’est moi, n’ayez pas peur ! ».

Et à partir de ce moment, notre attention se porte sur Pierre, parce que c’est lui qui devient le personnage principal, le personnage emblématique de ce récit.

Pierre est un des disciples dont nous connaissons le mieux la personnalité. Tous les épisodes où il joue un rôle de premier plan nous reviennent en mémoire. C’est Pierre qui le premier déclare que Jésus est le Fils de Dieu, c’est lui qui prend la parole lors de la transfiguration, c’est encore lui qui reniera Jésus. Pierre est un impulsif. Il est le premier à y aller, à se mouiller, au propre et au figuré. Mais il est aussi le premier à se retirer.

Ici, Pierre prend encore une fois l’initiative. Est-ce un acte irréfléchi ? Une envie de briller devant les autres ? Une tentative de conjurer la peur ? Une expression de son amour pour Jésus ? Sans doute un peu de tout ça à la fois. Lorsque Pierre dit à Jésus « Si c’est toi », on peut l’entendre au sens de « Puisque c’est toi », avec toutefois une nuance de doute. Il y a là toute l’humanité de Pierre. C’est ça qui nous le rend attachant : Nous le sentons très proche de nous.

Et là un dialogue, une relation s’instaure entre Pierre et Jésus. Mais c’est une relation inégale : d’un côté il y a la fragilité, la versatilité de Pierre – le vent a momentanément raison de son élan vers Jésus -, de l’autre il y a la constance de Jésus. Par sa parole, Jésus souligne la fragilité de Pierre : Homme de peu de foi, une expression un peu énigmatique. Faut-il comprendre que la foi de Pierre est petite ? Ou plutôt qu’au sein même de sa foi, il y a du doute, que la foi et le doute s’entremêlent ? Là encore, nous retrouvons chez Pierre notre propre humanité. Notre propre foi qui est toujours un peu mêlée au doute.

Mais ce cri de Pierre est une forme de foi. Si Pierre n’avait eu aucune foi, il n’aurait même pas crié à Jésus. Tous ceux qui crient à Dieu manifestent leur foi. Face à l’inconstance de l’eau et des vagues, face à l’inconstance des disciples, Jésus représente la stabilité.

Le doute est là aussi, mais il ne doit pas nous surprendre : il naît simplement d’une tension, de la tension qui existe entre la parole de Jésus et la réalité du monde.

A la fin, la spontanéité de Pierre associée à la constance de Jésus fonde la relation, et cette relation ne reste pas sans effet : le vent tombe, et tous les disciples prosternent devant Jésus et le reconnaissent comme Fils de Dieu. La peur a laissé la place à l’assurance, à l’apaisement. Mais cette assurance, cet apaisement, s’est frayé un chemin à travers la peur et le doute.

Ce récit, qui commence par une absence de relation, se termine sur une relation de foi. En fait, la foi n’est pas une performance spirituelle, mais elle est une relation. Elle se réduit parfois à un cri vers Dieu, elle n’exclut pas le doute. Mais elle est plus forte que le doute, parce qu’elle ne repose pas sur nous, mais sur Dieu. Le mot foi, en hébreu, contient cette idée de solidité, de même que le mot amen, qui clôt nos prières : il veut dire : C’est sûr, c’est solide, ça vient de Dieu.

Ainsi notre foi est solide, mais elle n’est pas solide parce que nous serions des champions spirituels, parce que nous aurions une grande foi. Non, notre foi est solide seulement parce que nous connaissons celui en qui nous la mettons : notre foi est solide parce que nous la mettons en celui qui ne déçoit jamais.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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