Matthieu 16, 13-20 – La confession de Pierre

Notre époque aime les chiffres. Comme si donner des chiffres était le meilleur argument. Ce n’est donc pas surprenant si les sondages ont pris tant d’importance aujourd’hui. Les sondages touchent tous les domaines, et ils touchent aussi des sujets religieux quand l’actualité s’y prête, comme cette semaine avec les JMJ. Alors ils posent parfois cette question : Selon vous, qui est Jésus ?

Et les sondeurs obtiennent des réponses parfois surprenantes, déroutantes. Aujourd’hui, ce n’est pas à Jean-Baptiste, à Elie, ou à Jérémie que Jésus fait penser, mais plutôt à un sage, à un fondateur de religion venu apporter de nobles idéaux 

Cette question, Jésus la pose à ses disciples lorsqu’il est à Césarée de Philippe. Césarée de Philippe était dans les marges de la Galilée, à l’extrémité nord-ouest. Cette ville-frontière tirait son nom d’Hérode Philippe. Mais avant, elle s’appelait Panias, parce qu’on y adorait le dieu Pan. Donc une ville peuplée en majorité de païens. Jésus attend d’être dans cette ville aux confins du pays pour poser à ses disciples cette question capitale : Qui dites-vous que je suis ? Un peu comme si, pour leur poser cette question, il avait voulu mettre ses disciples à l’écart, loin du monde religieux et de ses polémiques.

Jean-Baptiste, Elie ou Jérémie ont un point commun : ce sont des prophètes, des hommes qui parlent de la part de Dieu. Assimiler Jésus à Jean-Baptiste, à Elie ou à Jérémie, il n’y a là aucune marque d’hostilité : assimiler Jésus à Jean-Baptiste, à Elie ou à Jérémie, c’est mettre Jésus sur un pied d’égalité avec les plus grands prophètes d’Israël.

En Israël, les prophètes représentaient l’autorité divine. Ils donnaient leur légitimité aux rois. Pensons à Samuel qui investit David, ou à Nathan qui investit Salomon. Le Messie que le peuple attendait devait lui aussi être précédé et légitimé par un prophète. Donc quand les gens assimilent Jésus à un prophète, ils l’associent à ce qui fonde leur espérance : l’attente d’un successeur pour la dynastie de David.

Il n’y a là aucune hostilité vis-à-vis de Jésus. Mais pour autant, on ne reconnaît pas qui il est. On voit juste en lui celui qui doit précéder et investir le Messie. Un homme de Dieu. Mais pas le Messie lui-même. Est-ce surprenant ? Jésus n’a jamais cherché le pouvoir politique. Jean-Baptiste lui-même a été pris d’un doute à son sujet : Es-tu Celui qui doit venir ou devons nous en attendre un autre ?

Jésus pose à ses disciples deux questions :

  • La première question : Au dire des hommes, qui est le Fils de l’homme ? n’est pas difficile : elle demande un simple constat, un constat qui n’engage pas. D’ailleurs la réponse est immédiate.
  • Mais Jésus n’en reste pas là, il pose une seconde question, plus difficile, celle-là : Qui dites-vous que je suis ? Une question exigeante, une question qui attend une réponse personnelle. Cette question est adressée à tous les disciples, mais c’est Pierre qui répond. Ce n’est pas pour nous surprendre : dimanche dernier, nous avons vu comment il s’était précipité pour se jeter à l’eau.

Toutes les initiatives de Pierre ne sont pas judicieuses, elles sont parfois irréfléchies, mais pas celle-ci.

Le tempérament de Pierre ne le prédispose pas, semble-t-il, à de grandes responsabilités. Comment peut-il être qualifié, lui si versatile, lui si instable, lui qui sera le premier à jurer fidélité à Jésus et à le renier aussitôt après, lui qui voudra détourner Jésus de sa Passion, et à qui Jésus répondra : Retire-toi ! Derrière moi, Satan ! N’y a-t-il pas erreur sur la personne ? Non, il n’y a pas erreur sur la personne. Parmi les Douze, c’est bien à Pierre, en premier, que Jésus donne cette responsabilité.

Alors pourquoi ? Jésus ne voit-il pas ses faiblesses ? Si, bien sûr. Mais Samuel, lorsqu’il a choisi David, a regardé au cœur, non à ce qui saute aux yeux. De même, Jésus porte sur Pierre un autre regard, au point de lui donner une identité en totale contradiction avec ses capacités naturelles : c’est là qu’il lui donne son nouveau nom. Lui qui s’appelait Simon va désormais s’appeler Pierre. Pierre, c’est-à-dire le Roc, le Rocher, la solidité, la stabilité, la protection contre les ennemis, tout ce qui lui fait défaut. Mais Dieu se propose de le transformer.

Alors, comment cette transformation va-t-elle se faire ? Eh bien, c’est lorsque Pierre reconnaît Jésus comme le Christ, qu’elle a lieu. Elle ne vient pas de lui-même : c’est une révélation : Ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux, nous dit le texte. L’initiative en revient à Dieu. Notre foi, cette foi selon laquelle nous professons que Jésus est le Christ, est un don de Dieu. Elle ne vient pas de nous, elle ne se fonde pas sur des signes extérieurs : elle se fonde sur une révélation. C’est pourquoi Jésus exhorte ses disciples à ne rien dire, à garder cette vérité pour eux : c’est par la foi seule que nous la recevons. Ni les miracles, ni aucune preuve tangible, ne peuvent nous amener à cette conviction que Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant.

La réponse révèle une foi personnelle, une foi qui engage totalement. La foi, ce n’est pas l’apprentissage d’un catéchisme, de notions religieuses qu’il faudrait connaître. Elles sont utiles et nécessaires, mais elles ne se substituent pas à la foi. La foi a son origine en Dieu, pas dans notre intellect. Grégoire de Nysse, ce Père de l’Eglise du IVe siècle, disait : Les concepts créent des idoles de Dieu. Et c’est vrai, élaborer des théories sur Dieu revient à créer de faux Dieux, parce que notre Dieu est un Dieu vivant, toujours capable de nous surprendre, et il ne se laisse enfermer dans rien.

La confession de Pierre est un grand pas de foi. Il voit bien que Jésus ne va pas prendre le pouvoir politique. Pourtant il croit qu’il est le Messie que le peuple attend. Il ne cherche pas à résoudre ces contradictions apparentes. Il laisse de côté toutes les questions en suspens. Il fait se déplacer son espérance.

La contradiction, c’est que, manifestement, Jésus ne va pas prendre le pouvoir, et que, pourtant, il est bien ce roi qui doit venir. Mais il l’est d’une autre manière, d’une manière surprenante et inattendue. Il apportera bien la paix à Israël, seulement, ce ne sera pas une paix politique, une paix par les armes, non, ce sera d’abord une paix intérieure, pour chacun, une paix de l’âme, une paix qui ne dépend pas des circonstances.

Une fois que Pierre a surmonté ces contradictions, Jésus lui donne deux promesses :

Heureux es-tu : promesse de bonheur.

– Ensuite la promesse d’une autorité : Je te donnerai les clés du Royaume des cieux. Dans le judaïsme, la clé, c’est la possibilité d’accéder à une autorité. L’intendant qui avait les clés de la maison avait une très haute charge, une charge qui lui donnait une autorisation, une autorité sur cette maison. Cette clé que reçoit Pierre symbolise cette autorité. C’est la clé de la maison de David dont parle le passage d’Esaïe : celui qui a cette clé ouvrira et nul ne fermera, il fermera et nul n’ouvrira. Les docteurs de la Loi avaient subtilisé la clé qui aurait donné au peuple la véritable connaissance. Désormais ce ne sont plus eux qui détiendront l’autorité spirituelle. Ils seront chassés de leur poste, délogés de leur position, comme le dit le passage d’Esaïe. Pour avoir confessé que Jésus est le Christ, Pierre obtient cette autorité. Et les autres disciples recevront exactement le même privilège, ils l’auront juste un peu plus tard : lorsqu’ils auront reconnu à leur tour la divinité de Jésus. Et il en va de même pour nous.

Confesser Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, c’est dire beaucoup plus que Tu es Elie ou un prophète. Confesser Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, c’est confesser : Tu es pour moi l’aboutissement de toutes les prophéties, la concrétisation de toutes les promesses divines, la réalisation de toutes mes attentes et de toutes mes espérances. Alors pour nous, qui est Jésus ? Est-ce un sage, un fondateur de religion venu apporter de nobles idéaux, ou bien est-ce Dieu lui-même venu parmi nous, celui qui peut combler notre attente sans que nous ayons à attendre quelqu’un d’autre ? Cette question nous place devant un engagement. Si nous répondons que Jésus est le Christ, le Fils du Dieu vivant, c’est une conviction qui ne vient pas de nous : elle est un don de Dieu. Et comme Pierre, chacun, nous sommes alors qualifiés pour édifier ensemble cette maison de Dieu qui est l’Eglise.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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