Matthieu 16, 21-27 – Pierre et sa confession de foi

Avant tous les autres apôtres, Pierre avait fait cette confession de foi irréprochable : Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. Et pourtant, juste après cette confession de foi, Jésus le traite de satan, c’est-à-dire d’adversaire absolu, celui qui vise à faire échouer sa mission.

Par là, Jésus montre aux apôtres, et aussi à nous-mêmes, qu’une confession de foi correcte ne suffit pas.

Ce serait trop simple : on pourrait faire un tri. Il y aurait ceux qui seraient capables de donner une bonne définition de la foi, et puis tous les autres, tous ceux qui en seraient incapables. La réalité est plus nuancée : nous ne pourrons jamais savoir dans quelle mesure cette personne adhère à ce qu’elle dit, ni si elle comprend ce qu’elle dit.

Certes, la confession de foi est utile et importante, et il bon que nous la redisions chaque dimanche ce que nous croyons, tous ensemble chaque dimanche. Mais un raisonnement n’a jamais fait de quelqu’un un chrétien, car la foi chrétienne ne se réduit pas à une adhésion intellectuelle.

La confession de Pierre est correcte, comme sont correctes les confessions de foi que nous disons chaque dimanche, mais là n’est pas la question : la confession de foi n’est pas le tout de la foi. Elle n’implique pas automatiquement que l’on comprend en profondeur ce que l’on dit.

Nous savons qu’un enfant ou un individu avec un handicap intellectuel, incapables de donner un énoncé cohérent de leur foi, ont pourtant toute leur place dans l’Eglise. La foi chrétienne ne se réduit pas à un catéchisme dont on connaîtrait toutes les bonnes réponses.

Oui, comme l’affirme Pierre, Jésus est bien le Messie et il est bien le Fils du Dieu vivant, c’est-à-dire Dieu lui-même. Les paroles qu’il dit sont justes, et pourtant, le plus intuitif des apôtres est encore loin de la vraie foi.

Mais alors que faut-il d’autre, si la confession de foi n’est pas suffisante ? Eh bien notre texte nous le dit clairement.

Il montre que Pierre ne comprend pas vraiment ce qu’il dit. Il ne comprend pas ce que signifie d’être le Messie, le Fils du Dieu vivant. Comme tous les juifs de l’époque, Pierre avait une certaine conception du Messie. Cette conception s’appuyait sur les Ecritures. Le Messie devait être un Messie victorieux. Et il était inconcevable que ce sauveur du peuple puisse mourir.

Or c’est bien ce que Jésus annonce ici aux apôtres : il commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des chefs des prêtres et des scribes, être tué.

Ce qui manque encore aux apôtres, à ce moment de l’histoire, c’est de faire le lien entre ces deux réalités contradictoires, de concevoir l’inconcevable : que le Messie victorieux sera en fait un Sauveur qui ne connaîtra sur cette terre, malgré quelques signes miraculeux, que l’échec, qui culminera avec la crucifixion, la mort la plus infâme à l’époque.

Vous connaissez tous ces dessins qui sont faits de telle manière qu’à première vue on croit tout de suite voir ce qu’il représente, et après un certain temps l’œil discerne un autre motif, de sorte que le dessin change de signification. En fait, ce sont des dessins qui contiennent deux motifs, aussi pertinents l’un que l’autre, et qui ressortent selon que l’œil prend plus en compte tels ou tels traits.

Eh bien ici, c’est la même chose : cette affirmation Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant veut à la fois dire que le Messie est du côté de la vie, mais cela n’exclut pas qu’il traversera la mort.

A ce stade, ce qui manque encore à Pierre, c’est de comprendre tous les sens de cette affirmation. Le Christ est bien le Messie, mais c’est un Messie qui est aussi un être humain à part entière, à la fois pleinement Dieu et homme. La spécificité du christianisme, c’est justement d’affirmer que Dieu a rejoint la condition humaine sans que cela porte atteinte à sa divinité.

Mais pour Pierre et pour ses coreligionnaires, cette idée que le Messie puisse ne pas être victorieux et connaître la mort est tout simplement insupportable. C’est cela qu’exprime sa réaction spontanée, quand il dit : Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. Pierre refuse cette idée.

Nous voyons qu’une confession de foi correcte ne garantit pas de l’erreur. Ici, Pierre est sincère, comme toujours, mais il a quand même tout faux et, sans s’en rendre compte, il se glisse dans le rôle du tentateur.

Car lorsque Jésus fut tenté par le diable dans le désert, avant de commencer son ministère, il avait refusé une victoire incontestable qui ne tiendrait aucun compte de la liberté humaine. Et il l’avait refusé avec la même violence et de de la même manière qu’ici.

Si la réponse de Jésus à Pierre est aussi virulente, c’est parce que l’enjeu est énorme : l’œuvre du salut pourrait une nouvelle fois remise en question, et cette fois-ci c’est Pierre, l’apôtre le plus prometteur, qui se prête à ce jeu dangereux.

Quant à la résurrection, qui est elle aussi annoncée ici, au même titre que la mort, il y a fort à parier qu’elle ne voulait pas dire grand-chose pour les apôtres. La résurrection n’avait pas l’importance qu’elle a prise ensuite, et tous les juifs ne croyaient pas à la résurrection. C’est comme si son annonce passait inaperçue : Pierre ne la relève même pas, il n’a entendu que la mort du Messie.

Ce qui est troublant dans cet épisode, c’est que ce rôle peu glorieux, Pierre l’a eu juste après sa magnifique confession de foi.

Mais cet épisode a le mérite de nous inviter à en finir avec une conception purement rationnelle de la foi. Car si nous allons jusqu’au bout de notre raisonnement, nous verrons que la foi dépasse la conception intellectuelle que nous pouvons en avoir.

Amen.

Bernard Mourou

Contact