Matthieu 17, 1-9 – Contemplation ou communion ?

Curieux, ce récit de la Transfiguration… la tradition juive et notre propre tradition protestante nous ont habitués à nous méfier des images, et voilà que Jésus-Christ offre à ses disciples une image de lui-même : un visage brillant comme le soleil, des vêtements blancs comme la lumière. C’est déroutant.

Y a-t-il dans ce texte une volonté rompre avec la tradition d’Israël ?

Il semblerait que non, parce qu’il reprend quantité d’éléments qui renvoient à Moïse: Moïse avait lui aussi reçu la révélation divine sur une montagne, la montagne du Sinaï, il s’était aussi écoulé six jours, il avait aussi emmené aussi trois compagnons : Aaron, Nadav et Avihou, et il était aussi question d’une nuée d’une voix, de la gloire divine et d’une grande crainte.

Certains textes de la littérature intertestamentaire présentent des similitudes troublantes avec notre texte, comme ce passage du quatrième livre d’Esdras, qui dit : lorsqu’il leur sera montré comment leur visage se mettra à briller comme le soleil et comment ils vont ressembler à la lumière des étoiles, étant incorruptibles, ou comme le deuxième livre des Maccabées, qui promet que la gloire du Seigneur apparaîtra de nouveau avec la nuée, comme au temps de Moïse.

En fait, notre épisode se déroule vraisemblablement le dernier jour d’une fête juive appelée la fête des Cabanes. Le dernier jour de cette fête célébrait le don de l’Alliance, le don de la Loi au Sinaï. En cela, cet épisode de la Transfiguration apparaît plutôt comme une tentative d’établir un lien entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance, comme l’accomplissement des promesses portées par Moïse et Elie.

Alors, il est vrai que cet épisode de la Transfiguration commence par nous donner une image, mais il n’en reste pas là. Dans la suite du récit, l’image laisse la place à autre chose : elle laisse la place à la parole.

Ce sont d’abord les mots de Pierre, qui n’ont pas grand sens et qui traduisent juste sa frayeur. D’ailleurs, plutôt que d’avoir : Il est bon que nous soyons ici, il vaudrait mieux traduire : Est-il bon que nous soyons ici ?

Ce sont surtout les paroles qui viennent de la nuée lumineuse : exactement les mêmes paroles que celles qui avaient été prononcées lors du baptême de Jésus, avec cependant quelque chose en plus, un ajout : écoutez-le, une injonction cette promesse de Dieu à Moïse : Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles, et il leur dira tout ce que je lui prescrirai. Si quelqu’un n’écoute pas les paroles que ce prophète prononcera en mon nom, moi-même je lui en demanderai compte.

Oui, dans ce texte nous passons de la vue, la vue de la gloire, à l’écoute, l’écoute d’une parole.

Mais ce n’est pas tout, l’Evangéliste nous donne deux indications qui situent ce récit dans l’espace et dans le temps : sur une haute montagne, et six jours après ; deux indications qui soulignent une distance : la mise à l’écart sur la montagne, qui introduit une distance sur le plan spatial ; la mise à l’écart dans le temps du sabbat, qui introduit une distance sur le plan temporel. Nous sommes à la fois hors de l’espace et hors du temps.

Cet épisode de la Transfiguration vient en fait un peu comme une parenthèse, entre l’incapacité de Pierre de concilier souffrance et gloire, juste avant qu’il monte sur la montagne, quand il dit à Jésus : Dieu t’en garde, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas, et l’incapacité des disciples de guérir l’enfant démoniaque, une fois qu’ils sont redescendus de la montagne.

La Transfiguration, c’est un peu comme les instants privilégiés que nous pouvons passer lors du culte, ou lors de retraites spirituelles. Certains parmi vous aiment passer quelques jours dans un lieu retiré, chez les sœurs de Pomeyrol, chez les Veilleurs. Ces temps de culte, ces temps de retraites spirituelles, sont comme une parenthèse dans nos vies agitées. Et puis, comme pour les disciples, il nous faut reprendre la vie quotidienne, avec ses soucis et ses tracas : la maladie, les difficultés professionnelles, les conflits familiaux…

Mais alors, me direz-vous, à quoi bon ces moments de mise à l’écart, puisqu’aussitôt après nous retrouvons les mêmes difficultés qu’avant ? A quoi bon cet épisode de la Transfiguration, puisqu’aussitôt après, les disciples se trouvent en échec dans leur incapacité à guérir l’enfant démoniaque.

Eh bien, avec cet épisode de la Transfiguration, les disciples ont vécu une expérience. Il ne s’agit pas tant d’une contemplation, dans la mesure où l’écoute prend le pas sur la vision. Il s’agit plutôt d’un moment privilégié de communion avec le Christ, un moment privilégié auquel n’ont eu droit que Pierre, jacques et Jean, le cercle restreint.

De même, lorsque nous participons à un culte ou à une retraite spirituelle, l’expérience que nous vivons est moins une expérience de contemplation qu’une expérience de communion. Cette expérience de communion nous sera rappelée tout à l’heure lorsque nous partagerons la sainte Cène.

Cette réalité, ce sera la nôtre lorsque cette journée sera terminée, lorsque nous reprendrons nos activités de la semaine. Les problèmes seront toujours là, mais nous les vivrons en communion avec le Christ.

Cette prise de conscience, c’est ce que le culte nous offre. Cette prise de conscience, c’est ce qui pourra nous motiver lorsque nous inviterons nos voisins, nos collègues, nos connaissances, à venir participer au parcours spirituel que nous allons mettre en place dans les prochains mois, qui s’appelle « Voyage au pays de la foi ». Ce sera notre projet d’Eglise et j’aurai l’occasion de vous en reparler cette après-midi.

Alors, cette expérience de la Transfiguration ne change rien, et elle change tout, parce que nous savons alors que le Christ de la Transfiguration nous accompagne discrètement dans notre vie quotidienne. C’est d’ailleurs ce que redit Jésus-Christ dans les derniers mots de cet Evangile : Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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