Matthieu 2, 1-12 – La recherche intellectuelle : impasse ou voie de salut ?

Dans une époque où reviennent en force toutes sortes de populismes, les intellectuels ont souvent mauvaise presse. Ils font l’objet d’un jugement souvent ambivalent, qui laisse transparaître tour à tour de l’admiration et de la méfiance.

Ceux qui critiquent les intellectuels leur reprochent de se tenir trop à distance des réalités quotidiennes. C’est un reproche facile, que l’on les entend un peu partout autour de nous, et parfois aussi dans les Eglises.

On croit parfois que l’Evangile est réservé aux gens qui ne se posent pas trop de questions et que si l’on réfléchit trop on ne peut pas être touché par son message.

Bien sûr, le monde intellectuel compte dans ses rangs beaucoup d’athées et d’agnostiques. Mais à côté d’eux, on peut trouver aussi des intellectuels croyants qui n’ont pas laissé leur cerveau de côté.

Il y a diverses manières de parvenir à la foi en Jésus-Christ, et le raisonnement intellectuel est un chemin parmi d’autres. C’est justement cela que nous montre l’histoire des mages : elle nous fait comprendre quelle est la place de la réflexion intellectuelle dans l’accueil de l’Evangile.

Là où l’Evangile de Luc dit que Jésus s’est donné à connaître aux bergers, l’Evangile de Matthieu dit qu’il s’est donné à connaître aux mages, c’est-à-dire à l’élite intellectuelle de l’époque. Autant les bergers sont des gens simples, autant les mages brillent par leur sophistication intellectuelle ; autant les bergers sont proches de la terre d’Israël, autant les mages lui sont étrangers.

Ces mages sont des savants qui maîtrisent tout le savoir de leur époque, dans tous les domaines.

Ils viennent peut-être de Babylone, ou peut-être encore du même pays que la reine de Saba, qui avait cherché la sagesse auprès du roi Salomon. En tout cas, c’est la même quête qui les anime : comme la reine de Saba, ils cherchent la sagesse et ils ont compris que c’est en Israël qu’ils la trouveront.

C’est pourquoi ils se sont mis en route. Ils n’ont pas hésité à quitter leur pays et à entreprendre un voyage de plusieurs semaines. Ils sont mus par un désir authentique et sincère, et leur authenticité, leur sincérité, va être récompensée, mais pas aussi simplement que nous pourrions l’imaginer.

Pour réussir leur voyage, ils font appel à leur raison. Elle ne les conduit pas à Bethlehem, là où Jésus est né, mais dans la capitale du pays : à Jérusalem. Quoi de plus logique ? Jérusalem est le centre religieux. Seulement dans ce centre religieux, il n’y a que le Temple.

Une fois à Jérusalem, ils vont au palais d’Hérode. Là encore, quoi de plus logique ? Le palais d’Hérode est le lieu du pouvoir politique. Seulement, dans ce palais, ils ne rencontrent pas le roi Messie, mais ils rencontrent un roi ennemi de Dieu.

Au point où ils en sont de leur long voyage, ils ne sont pas encore parvenus à destination, ils ne sont pas encore en présence de celui qu’ils cherchent.

Cependant ils ne sont pas arrivés au palais d’Hérode par hasard, et leur rencontre avec Hérode n’aura pas été inutile : elle aura été un jalon providentiel dans leur quête.

Nous le voyons, en s’appuyant sur leur raisonnement, les mages tâtonnent. Ils tâtonnent, mais ils avancent. Peu à peu ils se rapprochent de leur but.

Oui, ils ont eu raison d’aller à Jérusalem, parce qu’Hérode les a aider, malgré lui. Il leur a indiqué où se trouve celui qu’ils cherchent.

Quand Hérode s’adresse aux grands prêtres et aux scribes, il est mal intentionné, et pourtant, les mages sont au bénéfice de cette mauvaise intention.

Les grands prêtres et les scribes connaissent bien les Ecritures ; ils ont tout de suite pu citer le passage qui en parle, un passage dans le livre de Michée : Et toi, Bethléem en Judée, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Judée ; car de toi sortira un chef, qui sera le berger d’Israël mon peuple. Grâce à ce passage, les mages ont su où doit naître le Messie ; grâce à ce passage, ils vont pouvoir le trouver à Bethlehem. Mais ces informations ne sont pas encore assez précises.

Les mages disposent de tout le savoir, dans tous les domaines. Entre autres choses, ils maîtrisent l’astronomie et l’astrologie, et leur connaissance du ciel et des astres les amène à être intrigués par la course d’une étoile dans le ciel, une étoile qui ne suit pas la trajectoire attendue.

Cette connaissance du ciel et des astres va aussi les conduire au lieu où est né celui qu’ils cherchent. C’est par leur raisonnement, mais aussi par leur quête sincère et authentique, qu’ils vont pouvoir enfin arriver à destination. Ils auront mis peut-être un peu plus de temps que les bergers, mais peu importe : eux aussi sont arrivés à destination.

Les mages sont arrivés à Jésus en tâtonnant : ils ont dû faire un détour par Jérusalem ; ils ont dû faire un détour par le palais d’Hérode, mais finalement ils sont arrivés auprès de Jésus, ils sont maintenant en sa présence et c’est là l’essentiel.

Ils y sont arrivés parce qu’ils ont mis leurs connaissances intellectuelles au service de leur quête, une quête sincère et authentique qui les a conduits à offrir à celui qu’ils ont cherché trois présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Trois présents extrêmement précieux utilisés dans la vie d’Israël, trois présents qu’ils lui offrent avec révérence.

Ces mages ont une dimension d’universalité. Ils représentent l’humanité pensante, l’humanité avec son savoir et son raisonnement. Nous connaissons tous cette tradition qui parle de trois rois mages et qui leur donne des noms : Gaspard, Melchior et Balthazar. Cette tradition n’est pas biblique, mais elle est néanmoins fort ancienne puisqu’elle remonte au Vie siècle et nous vient de ce pays de grande tradition chrétienne qu’est l’Arménie.

Gaspard, Melchior et Balthazar représentent les trois continents connus de l’époque : l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Cette tradition nous dit que ces mages ont une dimension d’universalité. En cela, elle ne contredit pas les Ecritures.

La raison ne s’oppose pas à la foi. Et notre protestantisme a toujours cherché à avoir une foi éclairée, éclairée non par le sentimentalisme, mais par la raison. Comme les mages, sachons utiliser nos capacités de réflexion en les mettant au service d’une recherche sincère et authentique. Ils nous aideront à nous diriger vers le but ultime et à l’atteindre, en nous mettant en présence de celui que nous cherchons. Et alors, comme eux, nous poursuivrons notre route par un autre chemin.

Amen.

Bernard Mourou

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