Matthieu 21, 1-11 – Dernière scène

L’ambiance à Jérusalem est électrique. L’exaspération des juifs est à son comble. Une grande attente a envahi les esprits.

Le peuple fidèle ne veut plus vivre sous le dictat romain. Il attend ce personnage que les prophètes ont annoncé, un roi qui succéderait à David pour remettre de l’ordre dans la société, un libérateur qui chasserait l’occupant romain, considéré comme l’ennemi de la nation juive.

Le dénouement approche. Depuis trois ans, Jésus parcourt les chemins avec ses disciples. Il enseigne les foules et il guérit les malades. Durant trois ans, il a suscité de fabuleux espoirs chez ceux qui l’ont entendu, qui l’ont vu, qui l’ont touché.

Alors, ce Jésus qui enseigne avec autorité et qui guérit tous ceux qui s’approchent de lui, ne serait-il pas cet homme providentiel ? C’est la question que se posent tous les pèlerins rassemblés à Jérusalem pour la fête de la Pâque. En ce moment crucial, le suspense est total, et c’est avec cet espoir que le peuple lui réserve cet accueil digne d’un roi.

A ce moment de l’histoire, rien n’est encore joué. Et si Jésus était effectivement ce roi providentiel ?

C’est dans ce contexte, avec tout le poids de toute cette attente qui se porte vers lui, que Jésus pénètre dans Jérusalem.

Et Jésus, arrivé à ce moment de son ministère terrestre, a tout à fait conscience d’être roi. C’est pourquoi il aborde la ville par Bethphagé et le mont des Oliviers.

Bethphagé était une localité qui faisait déjà partie de Jérusalem : on pouvait y célébrer le repas pascal. Quant au mont des Oliviers, c’est là que, selon la prophétie de Zacharie, le Messie devait venir. Elle dit en effet : Ses pieds se poseront, ce jour-là, sur le mont des Oliviers qui est en face de Jérusalem, à l’orient.

Jésus arrive donc au mont des Oliviers, et pas de n’importe quelle manière : il vient sur un âne. C’est lui qui prend l’initiative de cette mise en scène. Il montre par là qu’il est maître de la situation et qu’il marche lucidement vers ce qui l’attend. C’est d’ailleurs la seule fois dans cet Evangile que Jésus est appelé « Seigneur ».

Ici il faut se garder d’une lecture littérale. Si nous lisons les Evangiles comme nous lisons le journal, nous ne comprendrons pas les Evangiles. En écrivant que ce roi vient monté sur une ânesse et un petit âne, l’Evangéliste ne veut pas dire qu’il est assis à la fois sur une ânesse et sur un petit âne, mais il veut inscrire cet événement dans le prolongement de cette une autre prophétie contenue dans le livre du prophète Zacharie : Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse.

Ce qui est important ici, c’est que Jésus est entré dans Jérusalem sur un âne. Il aurait pu venir sur un cheval, comme un roi victorieux, mais le cheval aurait eu une connotation guerrière, ce qui n’est pas le cas avec l’âne : l’âne symbolise la paix ; c’était sur un âne que les rois entraient dans une ville quand ils avaient des intentions pacifiques ; l’âne était aussi la monture des patriarches et devait être, comme le dit cette prophétie de Zacharie, la monture du Messie. L’Evangéliste met cette entrée de Jésus à Jérusalem dans une cohérence parfaite avec l’annonce prophétique.

Les gens sont sensibles à cette mise en scène. Ils réservent à Jésus un accueil digne d’un roi : ils font de leurs vêtements un tapis multicolore. Et puis ils chantent la liturgie propre à la fête des Tentes : le Psaume que l’Evangéliste résume d’un verset en y ajoutant « le fils de David ».

Mais très vite, une certaine discordance se fait jour : l’accueil à Jérusalem est déjà plus réservé, l’agitation gagne les habitants et on se pose des questions sur cet homme qui n’est pas d’ici. Cet accueil plus mitigé dans la capitale religieuse laisse entrevoir la suite.

Oui, Jésus a conscience d’être roi, mais il sait aussi, après ses trois années de ministère, qu’il n’est pas cet homme providentiel souhaité par le peuple. Il sait que son royaume ne relève pas de la politique. Il sait que tous ces gens vont être déçus et qu’ils ne pourront pas assumer leur déception. Il comprend que tous ces gens qui l’acclament aujourd’hui, demain feront volte-face et le condamneront avec dépit 

Non, Jésus n’est pas cet homme providentiel. Il n’est pas ce roi que les gens attendent. Il ne sera pas intronisé dans la ville de David.

Mais il est le seul à le savoir. Même ses disciples les plus proches n’ont pas compris cela et partagent encore l’illusion de la foule.

Il a bien essayé de les prévenir, il a bien essayé de le leur faire comprendre. Mais il n’y a pas eu moyen : ce qu’il va vivre après son entrée à Jérusalem dépasse trop l’entendement humain.

Et pourtant, tout n’est pas faux dans l’attente de ces gens. Parmi eux, certains continueront à le suivre envers et malgré tout ; d’autres feront volte-face.

Non, tout n’est pas faux dans l’attente de ces gens, et l’Evangéliste veut montrer que l’abaissement que Jésus va vivre lors de sa Passion n’est pas incompatible avec la royauté. Mais si Jésus est un roi, aux yeux de ceux qui le crucifieront, il ne sera qu’un roi de comédie, et c’est par moquerie que l’on mettra au-dessus de lui l’inscription « roi des juifs ».

Non, tout n’est pas faux dans l’attente de ces gens, et c’est bien pourquoi aujourd’hui nous fêtons la fête des Rameaux. Certes, la fête des Rameaux révèle un malentendu. Mais elle révèle la royauté de Jésus.

Jésus sait que ces gens n’ont pas tout faux à son sujet, mais il sait aussi que leur attente a besoin d’être purifiée, car cette royauté n’est pas une royauté au sens politique du terme.

Quoiqu’il en soit, ces gens l’acclament comme roi, et c’est là l’essentiel, et c’est bien pourquoi la fête des Rameaux est devenue une grande fête du christianisme.

Toute la question est de savoir ce que signifie pour eux la royauté de Jésus. De quel roi s’agit-il ? Et la même question se pose à nous. C’est cela que nous aurons l’occasion de méditer pendant la semaine qui vient et en particuliers pour la veillée du Vendredi saint.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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