Matthieu 22, 1-14 – Les invités au festin des noces

Cette parabole a quelque chose de caricatural, un peu comme ces dessins humoristiques tracés à grands traits. Le roi est un despote qui ne connaît aucune limite, les invités sont odieux – les serviteurs du roi en font les frais -, l’homme venu avec ses habits de tous les jours ne doit pas seulement souffrir le ridicule de sa tenue déplacée, mais aussi l’inconfort de se retrouver à cause de ça jeté ligoté hors du palais, dans la nuit. Quelle drôle d’idée ! Non seulement tout est excessif dans ce texte, mais on peut dire encore que tout est complètement absurde. Ce texte relève de l’absurdité la plus totale : Pourquoi tuer des serviteurs dont le seul mal est d’avoir invité leurs futurs assassins à un banquet ? Pourquoi jeter ce pauvre homme ligoté dans la nuit ? Ce côté caricatural et absurde n’apparaît que chez Matthieu, et pas chez Luc, qui rapporte la même parabole, mais la raconte différemment.

Chez Matthieu ce roi a un caractère excessif. C’est un roi autocrate, un roi habitué à une obéissance parfaite, inconditionnelle, un roi habitué à ce que toute volonté plie devant lui. Il n’admet pas la moindre résistance, et quand on lui résiste, quand on ne fait pas ses quatre volontés, alors il se fâche tout rouge, il tue ceux qui l’ont contrarié, il brûle leur ville et tous les autres habitants avec, comme un enfant capricieux. On ne plaisante pas avec un tel personnage.

Face à ce despote, certains s’en sortent bien : ils participent à un festin de noces alors que rien ne pouvait leur laisser espérer cela. D’autres en revanche ont un destin funeste : ils sont condamnés à croupir dans la nuit ou sont voués à la mort.

Je vous invite à voir ce qui différentie les uns des autres, en commençant par ceux qui finissent mal. Quelle faute ont-ils commise ? Une faute somme toute vraiment mineure : ils déclinent une invitation. Ils ne veulent pas participer à la fête, parce qu’ils ont mieux à faire : ils ont leur travail, leur commerce. Quel mal y a-t-il à cela ? Il faut bien qu’ils gagnent leur vie. Et ils veulent tellement continuer leurs activités de tous les jours qu’ils n’hésitent pas à tuer les serviteurs du roi pour ça. Comme si cette invitation leur était intolérable. Ils ont tellement mieux à faire.

Ils n’ont pourtant aucune excuse pour faire faux bond : selon la coutume, les invitations à un festin royal se faisaient longtemps à l’avance, et les futurs convives avaient le temps de se préparer. C’est la convocation finale qui se faisait au dernier moment. C’est de cette convocation-là que parle notre texte. Ici nous sommes au moment de la convocation finale. Ici, tous les invités qui déclinent l’invitation ne peuvent pas prétexter avoir été invités à l’improviste. Non, s’ils ne viennent pas, s’ils préfèrent vaquer à leurs occupations, c’est simplement parce qu’ils n’y attachent aucune importance. Ce sont leurs activités quotidiennes qui ont la priorité. Ils n’arrivent pas à s’arracher à leur routine, qui pourtant, comme toute routine, ne doit pas être très excitante.

Et puis il y en a encore d’autres qui finissent mal, ou plutôt il y en a un, parce que l’Evangéliste concentre toute notre attention sur un seul personnage : un personnage qui a bien voulu venir, qui a laissé ses occupations, mais qui pourtant va finir ligoté dehors, dans la nuit. Et tout cela pourquoi ? Parce qu’il n’a pas revêtu l’habit de noces.

Pour ce festin, tout doit être beau : la vaisselle, le décor, les mets, les invités. Chacun doit se parer pour ce repas de fête. On imagine le décor de cette fête royale comme celui qui nous est décrit dans le livre d’Esther : le livre d’Esther nous raconte un festin royal qui se déroule dans un décor somptueux : un espace orné de tentures de lin attachées à des anneaux d’or et d’argent, des colonnes de marbre, des divans recouverts de métal précieux, un sol de nacre, de riches tissus brodés, des bouquets de roses, une vaisselle d’or et d’argent garnie de pierres précieuses, des mets de roi, le meilleur vin qui coule à flot, des invités dans leurs plus beaux vêtements.

Et dans ce magnifique décor, quelqu’un vient avec ses habits de tous les jours ! Quelle faute de goût ! Une note discordante dans tout ce luxe ! Cet homme ne sait pas reconnaître la solennité de cette fête royale, son caractère sacré. Il ne fait pas de distinction entre le quotidien et l’exceptionnel. Son attitude gâche la fête. Il est venu là comme si ce festin royal était une activité ordinaire. Il se comporte comme si c’était un événement banal.

Finalement, son attitude rejoint celle des autres, ceux qui ont décliné l’invitation. Ceux qui ne sont pas venus et celui qui a gardé ses habits de tous les jours ont un point commun : ils ne rompent pas avec leur quotidien. Venir avec ses habits de tous les jours, c’est ne pas rompre avec ses activités quotidiennes, c’est ne pas voir le caractère solennel et sacré de ce festin royal.

Et maintenant penchons-nous sur les autres invités, sur ceux qui sont venus. C’est une foule hétéroclite. Pour les choisir, aucun critère n’a été retenu. En fait on ne les a pas choisis : les serviteurs du roi ont invité le tout-venant. Quelle drôle d’idée ! Ce roi prend des risques. Il n’a pas peur que ses invités soient indignes de sa fête. C’est d’ailleurs ce qui se passe pour celui qui est venu avec ses habits de tous les jours.

Parmi ces invités, le texte nous le dit, il s’y trouve des mauvais et des bons. Il n’y a pas que des mauvais, il n’y a pas non plus que des bons, mais il y a des mauvais et des bons, mélangés dans une grande diversité. Comme si le fait qu’ils soient bons ou mauvais n’avait aucune importance. L’Evangéliste ne se place pas sur un plan mora

La seule erreur irréparable, c’est de mépriser le festin, et par la même occasion le roi qui l’a donné. C’est un mépris à l’égard du roi. Si le roi leur en veut, ce n’est pas parce qu’ils auraient commis des actions condamnables. Ceux qui finissent mal n’ont pas tous commis des actes répréhensibles. Certains ont tué les serviteurs du roi, mais certains n’ont rien fait. Leur faute est surtout d’avoir méprisé ce repas de fête, et par là d’avoir méprisé le roi qui a donné ce repas. Ceux qui ne viennent pas au festin, et celui qui ne porte pas les vêtements de noces, ont ce même point commun : ils montrent qu’ils sont indifférents à cette fête. Alors qu’ils connaissent le caractère despotique de leur roi, ils adoptent une attitude désinvolte, méprisante à son égard. Et bien sûr, ça ne passe pas. C’est la pire erreur qu’ils puissent commettre face à quelqu’un qui n’envisage pas qu’on lui résiste.

Finalement, que doivent faire les invités pour ne pas avoir d’ennuis avec ce roi ? Eh bien c’est tout simple : ils ont juste à se laisser faire. A répondre à l’invitation. Ce n’est pas difficile. C’est même tout à fait agréable de participer à un festin royal. Et quelle est l’erreur commise par tous ceux qui finissent mal ? C’est non pas d’avoir commis de mauvaises actions, mais c’est tout simplement de n’avoir pas su reconnaître le caractère solennel de cette fête, de n’avoir pas su se détacher de leur quotidien banal et prosaïque, de n’avoir pas su participer à la fête quand l’occasion leur en était donnée.

Dans notre époque où le sérieux prédomine, où l’économie prend le pas sur tout, le dimanche a tendance à devenir un jour comme les autres. Pourtant, la sainte Cène que nous allons partager ce matin est une préfiguration du festin royal évoqué dans ce texte. Alors, que personne ne s’en prive comme l’ont fait ceux qui dans notre parabole ont préféré leur quotidien prosaïque. Comme le dit notre liturgie : Nous sommes tous invités. Que personne non plus ne passe à côté de son caractère solennel, comme cet homme dans ses habits de tous les jours, qui n’avait pas discerné le caractère exceptionnel de la table royale. Notre liturgie dit aussi : Que celles et ceux qui reconnaissent en Jésus-Christ le Seigneur forment un cercle autour de cette table. Que cette sainte Cène soit un jalon dans nos vies, pour nous aider à reconnaître nous aide à reconnaître ce qui vient de Dieu.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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