Matthieu 23, 1-12 – Gratuité

Jésus est maintenant à Jérusalem, le lieu où se concentre tout le monde religieux du judaïsme. Et là, il s’adresse aux foules venues pour la fête de la Pâque. Notre texte n’est en fait que le début d’une diatribe particulièrement virulente à l’encontre des pharisiens.

Pour bien comprendre ce que Jésus reproche aux pharisiens, il convient tout d’abord de préciser quelques détails.

Jésus mentionne la chaire de Moïse. La chaire de Moïse était, dans les synagogues, le siège d’où le scribe interprétait la Loi. Ici, Jésus emploie cette expression au sens figuré, parce que tous les pharisiens ne sont pas des scribes et tous les pharisiens ne peuvent donc pas s’asseoir dans la chaire de Moïse : seuls les pharisiens qui étaient aussi scribes y étaient habilités.

Les phylactères étaient de petites boîtes fixées au bout de lanières en cuir. Ces boîtes contenaient des passages de la Torah, le plus connu étant : Ecoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est un. Les phylactères étaient portés pour la prière, l’une sur le front, l’autre au bras gauche, à cause de ce passage du Deutéronome qui dit : Mes paroles que voici, vous les mettrez en vous, dans votre cœur, vous en ferez un signe attaché à votre main, une marque placée entre vos yeux.

Mais alors que ces boîtes ne mesuraient que deux ou trois centimètres, les pharisiens en portaient de plus grosses, pour être mieux vus avec, et au lieu de ne les porter que pour la prière du matin, ils les gardaient toute la journée, là aussi pour être mieux vus. Le problème, c’est qu’en faisant ainsi, ils attiraient l’attention sur eux-mêmes et non sur Dieu.

Les franges symbolisent les commandements et le salut de Dieu. Elles trouvent leur fondement dans le livre des Nombres, où il est dit : Le Seigneur dit à Moïse : « Parle aux fils d’Israël, dis-leur de se faire une frange sur les bords de leurs vêtements – ceci pour les générations à venir – et de mettre un fil pourpre dans la frange qui borde le vêtement. Il vous servira à former la frange ; en le voyant vous vous souviendrez de tous les commandements du Seigneur, vous les accomplirez et vous ne vous laisserez pas entraîner par vos cœurs et par vos yeux qui vous mèneraient à l’infidélité».

Jésus lui-même portait de telles franges. Mais les pharisiens les avaient agrandies. En faisant ainsi, ils attiraient l’attention sur eux-mêmes et non sur Dieu.

Enfin, une précision qui concerne le contexte : l’Evangéliste montre un Jésus qui s’en prend seulement aux pharisiens et qui ne mentionne pas les autres courants religieux tels que les sadducéens ou les esséniens. Il faut garder en mémoire que cet Evangile a été écrit vers 80-85, c’est-à-dire une bonne dizaine d’années après la destruction du Temple, et que par conséquent ces autres courants du judaïsme ne sont plus représentés comme ils ont pu l’être du temps de Jésus, cinquante ans plus tôt ; en ces années 80-85, il ne reste que les pharisiens parce qu’eux, ils s’étaient organisés autour des synagogues et peuvent donc permettre au judaïsme de perdurer sans le Temple. Mais dans ces années 80, les chrétiens ont affaire à un judaïsme qui s’est durci et qui les exclut des synagogues.

Il n’en demeure pas moins que cette situation qui prévalait dans ces années-là permet de pointer un danger qui guette tous les mouvements religieux et toutes les Eglises, à toutes les époques. Les pharisiens, dans leur course pour être les meilleurs juifs, les plus religieux, les plus fervents, avaient concentré tous leurs efforts sur la Loi et l’avaient rendue encore plus exigeante. Ils ne voulaient pas voir que même eux n’arrivaient pas à satisfaire aux nouvelles exigences et exigeaient que tous adoptent les mêmes critères.

Avec cette compréhension de la Loi, non seulement ils pouvaient être une cause de découragement pour les autres, mais ils avaient tendance à attirer l’attention sur leurs propres efforts qu’à la présence de Dieu.

Oui, les pharisiens tournaient autour d’eux-mêmes, ils avaient remplacé la norme de Dieu par leur propre norme. Pas étonnant dans ces conditions qu’ils aient cherché les honneurs, en se faisant appeler rabbi. Le terme rabbi avait été introduit récemment dans le judaïsme. En se faisant appeler Rabbi, on risque d’attirer l’attention sur soi-même et non sur Dieu. Il en va de même si on se fait appeler Père dans une société où le père a un grand pouvoir sur sa famille : on risque d’attirer l’attention sur soi-même et non sur Dieu, qui est le Père par excellence.

L’accent ne porte pas tant sur la question de l’autorité, qui doit bien aussi s’exercer dans l’Eglise, que sur ce qui relève d’une usurpation : l’usurpation de l’honneur dû à Dieu.

Ne nous voilons pas la face : nous courons tous le risque de ressembler aux pharisiens, et cela d’autant plus que nous exerçons des fonctions dans l’Eglise. Cela concerne donc aussi le pasteur, mais pas seulement.

Quoiqu’il en soit, il n’y a pas de fatalité à cela, parce que nous n’avons rien à prouver. Non, nous n’avons rien à prouver, dans la mesure où nous sommes aimés et acceptés par Dieu et cela suffit. Comme le dit notre liturgie : Nous n’avons plus à conquérir notre identité, elle nous est donnée par Dieu.

Jésus ne rejette pas tout ce que les pharisiens peuvent dire : il invite son auditoire à écouter la lecture que les scribes et les pharisiens font de la Loi : la Loi reste la Loi, qu’elle soit lue par les pharisiens ou par n’importe qui d’autre. En revanche il met en garde contre l’interprétation qu’ils en tirent et au poids dont ils chargent ceux qu’ils ont la responsabilité d’enseigner. Déjà un peu avant dans l’Evangile, Jésus avait prévenu ses disciples en garde contre leur enseignement : Attention ! Méfiez-vous du levain des pharisiens et des sadducéens. C’est bien l’enseignement des pharisiens qui est ici remis en question.

Aujourd’hui, notre société n’est plus guère influencée la religion et ce n’est pas ainsi qu’on sera « bien vu », sauf… dans l’Eglise, qui reste un microcosme où ces valeurs ont toujours cours.

Nous n’avons rien à attendre en contrepartie de notre service pour Dieu. Si nous attendons de la reconnaissance pour notre engagement dans telle ou telle activité d’Eglise, nous serons déçus, d’abord parce qu’il n’est pas du tout sûr que nous l’obtenions, ensuite parce que nous n’avons pas à attendre une contrepartie pour ce que nous faisons dans l’Eglise, nous ne pouvons être que dans la gratuité, parce que nous servons un Dieu qui a établi pour règle la gratuité.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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