Matthieu 23, 1-12 – Sola Scriptura, Sola dide, Sola Gratia

Nous fêtons aujourd’hui la fête de la Réformation. Notre tradition protestante commémore aujourd’hui le 31 octobre 1517.

Que s’est-il passé ce jour-là ? Un événement presque insignifiant en apparence : en Allemagne, à Wittenberg, un moine catholique chargé d’enseigner les Ecritures, Martin Luther, aurait affiché sur la porte de l’Eglise une série de thèses. 95 thèses. On faisait souvent cela à l’époque pour amorcer un débat d’idées, pour commencer une controverse : on rédigeait une série de thèses, d’affirmations.

Ici, Luther voulait dénoncer le commerce des indulgences. Ces indulgences étaient des documents imprimés à Rome. Des documents qui promettaient la rémission des péchés contre de l’argent. L’image était parlante : Sitôt que l’argent résonne dans la caisse, l’âme s’envole du purgatoire. Cet argent était destiné à financer la construction de la basilique Saint-Pierre.

Un trafic inacceptable pour Luther : on ne peut être chrétien que de manière désintéressée. Commémorer cet événement, ce n’est pas mettre en avant la rupture avec l’Église de Rome, mais la volonté de rester fidèle à l’Evangile : la grâce seule. Ce principe qui fonde le christianisme était tombé dans oubli. Luther n’a jamais voulu la rupture avec Rome : Cette rupture sera le fait de l’Eglise romaine, qui l’excommuniera le 3 janvier 1521. Ce n’est pas cette date qui a été retenue, mais bien celle du 31 octobre 1517, c’est-à-dire cette volonté de retrouver la pureté de l’Evangile.

Cette fête de la Réformation, on en trouve des traces en Allemagne du vivant même de Luther. Puis en 1617, toujours en Allemagne, le prince électeur du Palatinat, calviniste, décide de célébrer le centenaire de ces 95 thèses. En France, du côté réformé, il faudra attendre 1866 pour que cette fête soit à l’honneur. Aujourd’hui, c’est le dernier dimanche d’octobre, le dimanche le plus proche de cette date du 31 octobre, qui a été choisi pour commémorer cet événement.

Ce principe de la grâce qui est au cœur du christianisme, il serait faux de dire qu’il est l’apanage des protestants. Cette compréhension du salut par grâce est aujourd’hui largement admise dans l’Eglise catholique, pour ne parler que d’elle. L’Eglise catholique semble même parfois l’avoir mieux comprise que certains groupes qui se réclament du protestantisme.

Pour ce dimanche de la Réformation, j’avais d’abord l’intention d’éviter les textes du lectionnaire et de choisir des textes directement en rapport avec les principes de la Réforme : Sola Scriptura, l’Ecriture seule, sola fide, la foi seule, sola gratia, la grâce seule, sola Dei gloria, la seule gloire de Dieu, ecclesia semper reformanda, une Eglise qui se réforme sans cesse.

Et puis je me suis rendu compte que ça ne marchait pas. Ca ne marchait pas parce que choisir des textes bibliques en fonction du dimanche de la Réformation, c’est tout simplement faire l’inverse de ce qui est au fondement même du protestantisme. C’est choisir des textes bibliques pour montrer combien les Réformateurs ont eu raison, c’est essayer de justifier une idée au moyen des Ecritures, c’est se placer au-dessus des Ecritures, au lieu de se laisser éclairer par elles. Mais les principes du protestantisme n’ont pas besoin de nous pour trouver leur justification. Un des reproches des Réformateurs à l’égard de l’Eglise catholique de l’époque, c’était justement qu’elle se plaçait au-dessus des Ecritures.

Et lorsque j’ai étudié d’un peu plus près les textes proposés pour aujourd’hui, j’ai trouvé qu’ils convenaient parfaitement à notre dimanche de la Réformation.

J’ai donc choisi de prêcher sur ce texte de l’Evangile. Il va dans le même sens que le passage que nous avons lu dimanche dernier, sur le plus grand commandement. Dimanche dernier, nous avons vu que les pharisiens et les spécialistes de la Loi se plaçaient au-dessus de cette Loi et la rendaient obscure aux yeux du peuple. Cela leur permettait d’être eux-mêmes leur propre Loi. Eh bien, ici, c’est exactement le reproche que fait Jésus.

Regardons d’abord comment les pharisiens et les spécialistes de la Loi se comportent : ils veulent se distinguer de ceux qu’ils sont chargés d’éclairer, ils veulent être remarqués et considérés, ils veulent avoir des privilèges. De tels comportements sont toujours d’actualité. Une seule chose a changé, c’est que ce n’est plus tellement dans le monde religieux qu’ils apparaissent. Mais ne nous faisons pas d’illusions : si ce genre de comportement a plus ou moins disparu des Eglises, quelles que soient leurs dénomination, c’est peut-être tout simplement parce qu’elles ne sont plus dans une situation de pouvoir.

Les spécialistes de la Loi étaient chargés d’éclairer le peuple, de l’enseigner. Contrairement à ce qu’on a pu dire, et pour avoir été enseignant pendant de nombreuses années, je sais qu’enseigner, c’est le contraire de prendre le pouvoir. Quand on enseigne, on n’est jamais dans l’exercice du pouvoir, mais au contraire dans un partage du pouvoir. On sait bien qu’il y a un moyen simple de dominer sur une population : il s’agit juste de ne pas lui donner les possibilités de réfléchir par elle-même. C’est ce que font les pharisiens et les spécialistes de la Loi : ils assoient leur pouvoir sur l’ignorance du peuple.

Ce texte parle ce que nous appelons le sacerdoce universel des croyants, qui a été remis en lumière par Luther. Pour Luther, je le cite, tous les Chrétiens appartiennent vraiment à l’état ecclésiastique, il n’existe entre eux aucune différence, si ce n’est celle de la fonction. Le sacerdoce universel des croyants est fondé sur le fait que tous, qui que nous soyons et quelle que soit notre fonction dans l’Eglise, nous avons le même Père et que tous nous avons à nous édifier et le cas échéant à nous corriger les uns les autres.

L’autorité des pharisiens et des spécialistes de la Loi reposait sur eux-mêmes. De ce fait, elle était contestable, et elle a été contestée. Comme est contestable et sera contestée toute autorité qui ne se fonde pas sur Dieu seul.

Les pharisiens et les spécialistes de la Loi ont été entraînés par le courant de l’histoire. Pendant cinq siècles, le protestantisme a su résister. Résister, c’était le mot que Marie Durand avait gravé sur le sol de sa prison à la tour de Constance. Trente-sept années de résistance. Trente-sept années de résistance grâce à des ressources qui ne venaient pas d’elle, mais d’un Autre. Si elle a résisté et s’il y a toujours des protestants aujourd’hui en France après cinq siècles, malgré les persécutions, c’est parce que le protestantisme, dans son fondement, reconnaît que la véritable autorité ne vient pas des hommes, quels qu’ils soient, mais d’un principe extérieur à eux. C’est la célèbre réponse de Luther : Je suis lié par les textes scripturaires que j’ai cités et ma conscience est captive des paroles de Dieu ; je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr ni honnête d’agir contre sa propre conscience. Je ne puis autrement, me voici, que Dieu me soit en aide.

Non, l’homme n’est pas sa propre norme. Sa propre loi : Sa norme, il la reçoit de l’Ecriture, sola Scriptura. Sa norme, il la reçoit de Dieu, sola gratia. Sa norme, il la reçoit, sans se prévaloir d’un quelconque mérite, sola fide. Et sa norme, il la reçoit toujours à nouveau, ecclesia semper reformanda. Aujourd’hui, la seule manière d’être fidèle à nos principes protestants – ces principes qui sont tout simplement les principes d’un christianisme éclairé – c’est renoncer à être nous-mêmes notre propre norme, pour la recevoir d’un Autre. Sola Dei gloria.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

 

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