Matthieu 24, 37-44 – Un avenir de liberté

En ce premier dimanche de l’Avent, nous commençons une nouvelle année liturgique, parce que pour l’Eglise, l’année ne commence pas le 1er janvier, elle ne commence pas non plus le jour de Noël ni le dimanche de Pâques, mais elle commence aujourd’hui, en ce premier dimanche de l’Avent.

La tradition a choisi de commencer non par une commémoration, mais par un temps d’attente ; oui, ce qui marque le commencement de la nouvelle année liturgique, ce qui marque ce temps de l’Avent dans lequel nous venons d’entrer, c’est bien l’attente.

Pendant les quatre semaines qui précèdent Noël, nous apprenons à attendre, quatre dimanches qui sont là pour nous préparer à la joie de Noël.

Alors, en quoi cette préparation consiste-t-elle ? Et avec cette nouvelle année liturgique, qu’est-ce qui change, concrètement ?

Nous chantons les spontanés du temps de Noël ; nous avons commencé la lecture d’un autre Evangile : nous avons laissé l’Evangile de Luc pour l’Evangile de Matthieu ; sur la table de communion, il y a une couronne de l’Avent et nous avons allumé la première bougie (merci à Jocelyne, qui s’en est occupé) ; et le signet, qui est placé dans la Bible, a changé de couleur : nous sommes passés du vert qui marque la vie de l’Eglise, au violet, la couleur de l’attente.

Oui, la liturgie a un sens. La liturgie dit quelque chose et elle parle, au même titre que la prédication ; elle est elle-même une prédication. Commencer l’année liturgique non par une commémoration, mais par un temps d’attente, cela nous dit quelque chose d’important.

Cela nous dit que nous ne sommes pas seulement tournés vers le passé, mais aussi vers l’avenir.

Cela nous dit que si aujourd’hui nous éprouvons une insatisfaction, c’est normal ; c’est normal parce que le monde dans lequel nous vivons n’est pas définitif ; nous vivons dans un monde où tout n’est pas encore réalisé ; nous vivons dans un monde où il y a encore des catastrophes naturelles, comme le typhon qui a frappé les Philippines il y a quelques semaines ; nous vivons dans un monde où il y a encore des guerres ; nous vivons dans un monde où le malheur frappe aveuglément.

En fait, nous vivons dans un entre-deux : entre ce qui est déjà là et ce qui n’est pas encore là ; oui, au fondement du christianisme, il y a une attente.

Et ce que nous dit la liturgie, les textes d’aujourd’hui nous le disent aussi : ils parlent de l’attente et de la manière de vivre cette attente dans une histoire qui dure, de la manière de vivre à la fois la durée et la soudaineté.

Vous avez remarqué la tension entre la durée et la soudaineté : durée de la réjouissance humaine et soudaineté du déluge, durée du labeur humain et soudaineté de la mort qui frappe aveuglément, durée de la vie domestique et soudaineté du cambriolage.

Ce qui est curieux ici, c’est que l’être humain se trouve du côté de la durée, et le Fils de l’homme du côté de la soudaineté – « C’est à l’heure que vous ignorez que le Fils de l’homme va venir »  –, alors que nous aurions plutôt tendance à voir le divin du côté de l’éternité et l’être humain du côté de la fugacité de l’instant. Ici, les choses sont inversées.

Il n’est pas mauvais de manger et boire, de se marier et de donner ses filles en mariage, ou encore de travailler : c’est le propre de la vie. Mais il n’y a pas que cela dans la vie, et il est illusoire de vouloir fonder toute son existence là-dessus : nous sommes avant tout appelés à une vie relationnelle de qualité.

Car c’est peut-être cela justement qui est problématique : vouloir s’installer dans nos vies comme si elles s’inscrivaient dans la durée, alors qu’elles ne sont qu’éphémères. Vouloir s’installer dans cette vie, c’est intervertir les rôles ; vouloir s’installer dans cette vie c’est prendre la place de Dieu ; vouloir s’installer dans cette vie, c’est manquer de clairvoyance, c’est-à-dire manquer de voir la réalité telle qu’elle est.

Le contraire de cette attitude, c’est vivre dans l’attente ; le contraire de cette attitude, c’est ne pas se satisfaire de la réalité que nous connaissons.

Dans les années soixante, j’avais l’âge de mes enfants, mais je me souviens très bien – comme la plupart d’entre vous ici – que les gens croyaient en un avenir meilleur ; on parlait de l’an 2000 avec enthousiasme.

Et puis dans les années soixante-dix on a commencé à parler de crise, avec la crise du pétrole en 1973, le chômage a fait son apparition, les préoccupations écologiques aussi, avec le club de Rome et ses premières conclusions pour la planète, et en France pour la première fois un écologiste se présentait aux élections présidentielles de 1974, c’était un certain René Dumont.

Et aujourd’hui, comment imaginons-nous les cinquante prochaines années ? Nous craignons peut-être que la crise économique s’étende et fasse toujours plus de pauvres ; nous craignons peut-être aussi que la crise écologique conduise à des catastrophes de toutes sortes ; nous craignons peut-être même que les religions deviennent menaçantes à cause du terrorisme.

L’avenir semble peut-être bouché, pour notre pays, pour notre Eglise : trouverons-nous des prédicateurs ? le culte pourra-t-il continuer à être assuré chaque dimanche ?

Mais craindre cela, ce serait enfermer Dieu dans nos propres raisonnements. Cela porte un nom, quand on fait un dieu à son image : cela s’appelle l’idolâtrie. Le grand péché du peuple hébreu, ce n’était pas de manquer de ferveur – les 450 prophètes de Baal pouvaient aller jusqu’à se faire saigner et se mutiler pour leur dieu – non, le grand péché du peuple hébreu, c’était d’adorer un autre dieu plutôt que celui dont le nom ne leur était pas révélé.

Après avoir pris conscience du côté éphémère de notre monde, comment pourrions-nous encore vouloir nous y installer ? Nous installer dans cette vie reviendrait à rétrécir notre horizon. Est-ce que la vraie vie, c’est vouloir une vie confortable et rien de plus ? Est-ce que toute notre énergie doit être tournée vers l’acquisition de biens matériels : une belle voiture, une belle maison ?

Ne vaut-il pas mieux prendre conscience que dans ce temps rien ne nous appartient en propre ? Ne vaut-il pas mieux accepter une dépossession totale pour se remettre entre les mains d’un Autre ?

Je vous laisserai avec une question : pour nos vies, pour notre Eglise et pour le monde, croyons-nous au Dieu qui ne se laisse pas enfermer dans nos raisonnements et qui peut toujours nous surprendre ?

Amen.

Bernard Mourou

 

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