Matthieu 25, 31-46 – Quand le Fils de l’homme reviendra dans sa gloire

C’est un texte étrange qui nous est donné à lire pour ce dernier dimanche de l’année liturgique, qui marque la fête du Christ roi de l’univers. Il y est question du Jugement dernier, d’un tri qui sera fait entre les bons et les méchants, entre ceux qui iront à la vie éternelle et ceux qui iront au châtiment éternel, le genre de texte qu’on a envie de mettre de côté, parce qu’il est délicat d’aborder la question du Jugement dernier.

Mais je suis convaincu que ce sont les textes difficiles – ou qui nous paraissent tels – qui ont le plus de choses à nous dire. C’est pourquoi j’ai eu envie de prendre ce texte et de voir avec vous ce qu’il veut vraiment nous dire.

Jésus parle d’un tri entre les brebis et les chèvres, ou, selon d’autres traductions, d’un tri entre les moutons et les boucs. Nous avons ici une image, et c’est bien normal, dans la mesure où nos mots sont impuissants à parler de l’au-delà ; un tri entre les moutons et les boucs, autrement dit, ceux qui sont agréés par Dieu et ceux qui ne le sont pas, ou, pour le dire plus simplement, entre les bons et les méchants.

Cette scène de jugement nous fait peut-être aussi penser à des représentations du paradis et de l’enfer telles que la peinture religieuse les a représentés. Ces tableaux ont laissé des traces dans notre imaginaire collectif.

Dans cette perspective, peut-être sommes-nous tentés de lire ce texte en nous plaçant du côté des bons, si nous sommes optimistes, si nous avons une haute opinion de nous ; ou peut-être de nous placer du côté des méchants, si nous sommes pessimistes ; ou peut-être d’être dans l’incertitude et de rester ainsi dans une incertitude inconfortable.

Mais dans tous les cas, nous aurons un message qui n’aura rien à voir avec la bonne nouvelle de l’Evangile, nous aurons un message culpabilisant. Oui, c’est un texte qui peut nous paraître inquiétant, et qui pourrait vite nous culpabiliser. Je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’il ne soit pas lu ainsi par certains.

Mais il n’y a aucune nécessité pour le lire de cette manière, parce que, en tant que disciples du Christ, nous ne nous trouvons ni parmi les bons, ni parmi les méchants. Regardons ce texte de plus près, et plus particulièrement le verset 40.

Que dit ce verset ? Il dit, en s’adressant à ceux qui ont bien agi : Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères – c’est-à-dire chaque fois que vous avez donné à manger, donner à boire, accueillir l’étranger, habiller celui qui est nu, visiter les malades et les prisonniers – c’est à moi que vous l’avez fait.

Je vous invite à vous arrêter sur cette expression ces petits qui sont mes frères. Le lecteur de cet Evangile l’a déjà rencontrée une première fois, au chapitre 10 et au verset  42, que je vous lis : Celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis : non, il ne perdra pas sa récompense. Dans les deux passages, il est question de ces petits. Or, qui sont ces petits ? Ce texte nous le dit clairement : ce sont les disciples du Christ.

Et cette interprétation change tout : si nous, en tant que disciples du Christ, nous faisons partie de ces petits, nous ne sommes plus concernés le reste, parce que ces autres paroles ne s’adressent pas à nous.

Et alors nous n’avons plus affaire à un texte inquiétant ou culpabilisant, mais à un texte qui nous montre le disciple du Christ dans sa spécificité la plus fondamentale, un texte qui nous montre le disciple sous le seul angle qui compte : celui de l’humilité.

Et si nous réfléchissons, c’est bien cela, c’est bien l’humilité qui nous caractérise – ou qui devrait nous caractériser. Le disciple du Christ, ce n’est pas celui qui fait quelque chose ; non, le disciple, c’est celui qui vit dans une relation avec Dieu, et cette relation ne peut s’établir que dans l’humilité, l’humilité qui s’oppose à l’orgueil, dans lequel les Ecritures voient l’attitude qui conduit aux conséquences les plus funestes.

Oui, le disciple du Christ vit dans l’humilité. Rappelons le contexte : cet Evangile a été écrit dans les années 80-85, c’est-à-dire à une époque où, après la destruction du Temple de Jérusalem, le judaïsme tente de se reconstituer autour des seuls pharisiens et de leurs synagogues. Oui, le disciple vit dans l’humilité, parce qu’il connaît concrètement la précarité et le dénuement.

Les disciples du Christ d’origine juive – l’Evangéliste s’adresse à ces juifs qui ont reconnu en Jésus le Messie – ces disciples d’origine juive n’ont en effet pas la vie facile. Ils sont persécutés de différentes manières, et ces persécutions les fragilisent, ces persécutions les soumettent à la faim, à la soif, à la nudité, à la maladie, à l’emprisonnement.

Et dans cette situation de fragilité, il leur arrive parfois de trouver une aide inespérée. Cette aide, ils la trouvent parfois hors de l’Eglise, parce qu’il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour aider les autres et se montrer solidaire.

Oui, certains vont aider ces petits qui sont les frères de Jésus, et dans leur situation d’humilité et d’impuissance, ils vont malgré tout avoir un rôle déterminant, mais de manière complètement passive : c’est eux qui vont faire la différence entre les « bons » et les « méchants », entre ceux qui auront su se laisser toucher par leur condition et leur détresse, et les autres qui passeront leur chemin, indifférents.

Et ceux qui les aident – comme d’ailleurs ceux qui restent indifférents – ils ne sont pas conscients de la portée de leurs actes ; ils ne sont pas conscients qu’en agissant ainsi, ils servent Jésus-Christ, si bien qu’ils ne peuvent en tirer aucune gloire et qu’ils restent, comme ces petits, dans la plus stricte humilité.

Oui, eux aussi, comme les disciples, laissent toute sa place au Christ, et c’est ce qui leur vaut cet accueil. Quant au Christ, comme vous n’avez pas manqué de le remarquer au début de notre passage, il n’apparaît plus comme le Christ souffrant, mais il vient dans sa gloire, et tous les anges avec lui, et il siège sur son trône de gloire ; dans ce seul verset, nous trouvons deux fois le mot gloire.

Alors, nous le voyons, nous n’avons pas affaire ici à un texte culpabilisant qui inciterait à nous demander si nous sommes du bon côté, mais à un texte qui met en valeur l’humilité, par laquelle le Christ est lui-même passé avant de connaître la gloire.

Amen.

Bernard Mourou

 

Contact