Matthieu 3, 1-12 – Dans le feu du désert

Dimanche dernier, nous sommes entrés dans le temps de l’Avent. Notre année liturgique ne commence ni à Noël, ni le 1er janvier, ni à Pâques, mais elle a commencé il y a une semaine avec le premier dimanche de l’Avent.

L’Avent est un temps de commencement et d’attente. Il coïncide avec le moment de l’année où les nuits sont de plus en plus longues ; en décembre, chaque jour la lumière diminue encore un peu plus ; la nuit et l’obscurité continuent à s’étendre ; et malgré cela, il annonce que le commencement de quelque chose de nouveau.

Sur la couronne de l’Avent, il y a une deuxième bougie allumée : un peu plus de lumière, donc. Mais c’est en espérance que nous voyons l’obscurité diminuer, et ce soir le soleil se couchera encore un peu plus tôt qu’hier. Le temps de l’Avent est un commencement, mais ce commencement n’est rien d’autre que le commencement d’une espérance.

Et aujourd’hui, pour animer cette espérance, l’Evangile nous parle de Jean-Baptiste, avec un texte marqué par l’univers du désert : il y est question de chameaux et de vêtements faits de poil de chameau, de sauterelles, de miel sauvage, de vipères, de pierres, et même de brûlure, si l’on suit la traduction de Chouraqui, qui préfère ce mot à celui de colère ; quant aux seuls arbres dont on parle, on va les couper ; il ne reste que le désert, implacable.

Dans le désert on n’est plus rien : à tout moment on risque de mourir de faim ou de soif, on est contraint à errer pour trouver sa nourriture, on perd tous ses points de repères, on ne sait plus où l’on est et on perd jusqu’au sens de l’existence, on ne contrôle plus rien, on dépend entièrement de la providence divine ; et tout autour, un univers minéral, chauffé à blanc, le feu du soleil sur les pierres, et entre les pierres des serpents et des scorpions prêts à mordre ; tout est hostile, inhospitalier ; non, vraiment, le désert n’a rien pour plaire, on ne peut pas y vivre, à moins d’être de la trempe de Jean-Baptiste.

Car lui non plus n’a rien pour plaire, avec ses vêtements grossiers en poil de chameau. Il a été façonné par le désert, qui lui a donné sa marque. Et pourtant, il rappelle un personnage de premier ordre : le prophète Elie. Le livre des Rois nous raconte qu’Elie, lui aussi, portait un vêtement de poils et un pagne de peau autour des reins. Ce n’est pas par hasard si l’Evangéliste souligne ce détail.

Le prophète Elie, les Juifs attendaient son retour, qui devait se produire juste avant la venue du Messie ; Elie devait être le personnage annonciateur du Messie. Et si on nous dit que Jean-Baptiste a les attributs d’Elie, qu’il porte les mêmes vêtements que lui, c’est bien pour nous dire qu’il est celui qui devait venir avant le Messie. Jean-Baptiste est assimilé à ce grand prophète qui a eu une destinée hors du commun. On raconte qu’il a quitté cette terre non par la mort, mais en s’élevant dans le ciel avec un char de feu et des chevaux de feu.

De Jean-Baptiste, on dira qu’il aura été le plus grand de tous les prophètes, et sa grandeur ne tient qu’à une chose : il a su discerner le Christ, il a su reconnaître Jésus comme le Messie attendu, il a su pointer son doigt vers lui, il a su le montrer à ses contemporains, et à nous aujourd’hui. Tout son ministère se réduit à cela : pointer du doigt Jésus. Lorsqu’il aura fait cela, sa mission sera terminée, et Jean-Baptiste, complètement dépréoccupé de sa propre personne, saura se faire oublier, il saura se retirer, en disant à propos de Jésus : Il faut qu’il croisse et que je diminue. 

Mais dans ce désert de Judée où il vit, dans ce lieu brûlé par un soleil de feu, il y a un élément qui introduit une rupture ; cet élément, c’est le Jourdain ; le Jourdain contraste avec le désert environnant.

Dans ce texte il y a l’eau, et il y a le feu ; l’eau qui rafraîchit, et le feu qui brûle et illumine. Or, vous le savez, l’eau et le feu s’excluent mutuellement, ils sont incompatibles : soit l’eau éteint le feu, soit le feu fait s’évaporer l’eau. Dans cette chaleur brûlante du désert qui illumine et qui aveugle, le seul lieu de rafraîchissement sera cette modeste rivière, cette rivière à taille humaine. Le feu du jugement annoncé va tout brûler, sauf ce qui va lui échapper grâce à l’eau du baptême. C’est dans cette contradiction que Jésus nous apparaît.

Mais l’eau et le feu sont-ils vraiment dans cette opposition réciproque ? Bien que l’eau et le feu s’excluent mutuellement, ici ils ont un point commun : ils sont des agents purificateurs, ils purifient tout ce qu’ils touchent ; il y a juste une gradation dans la purification : l’eau et le feu purifient, mais le feu purifie encore plus que l’eau, il est encore plus efficace ; quand il y avait des épidémies, la seule solution pour éviter la contamination était de brûler les cadavres ; le feu signifie donc la même chose que l’eau, mais en plus puissant ; c’est le grand agent purificateur, rien ne lui résiste.

Le baptême de Jean est préparatoire et symbolique. Il ne purifie pas : Il annonce la purification à venir. Et cette purification, c’est le baptême du Saint-Esprit qui la rendra possible : un baptême définitif et complet.

C’est à un changement radical que Jean-Baptiste appelle. Ce changement radical n’est pas un retour de l’homme sur ses fautes, un retour de l’homme sur lui-même, mais un retour vers Quelqu’un. Ce n’est pas à un légalisme religieux que Jean-Baptiste en appelle ; le propre des légalismes religieux c’est l’accumulation d’œuvres morales par crainte du jugement de Dieu ; c’est ce que font les pharisiens et les sadducéens, que Jean-Baptiste traite de vipères ; non, Jean-Baptiste ne demande pas de bonnes œuvres à ceux qu’il baptise, il ne leur demande pas une piété extérieure ; cette piété-là il la dénonce ; il leur demande en fait beaucoup plus que cela, il leur demande une véritable remise en question : une réorientation de toute leur personne.

Nous le voyons, celui qui est appelé à annoncer Jésus-Christ est un homme de rupture : rupture avec les anciennes pratiques, rupture avec le péché et les faux dieux. Jean-Baptiste est comme une faucille qui coupe et fait place nette : il prépare la place à celui qui vient rétablir toutes choses.

Mais Celui qu’il annonce viendra avec une douceur déconcertante. Jésus ne vient pas de cette Judée désertique, mais de la verte Galilée ; il ne jeûnera pas, mais participera à de nombreux repas, et il sera accusé de festoyer avec les pécheurs. Après que Jean-Baptiste aura fait ce travail d’éradication nécessaire, Jésus pourra commencer son ministère, ce Jésus dont il est dit qu’il ne cassera pas le roseau courbé et n’éteindra pas la lampe dont la lumière faiblit.

Alors, comme Jean-Baptiste nous y invite, profitons de ce temps de l’Avent pour faire place nette, pour purifier nos vies de toutes les futilités qui nous éloignent de l’essentiel : les doutes, les tentations, les convoitises de toutes sortes, les envies d’un jour, et sachons accueillir Celui qui vient à nous dans la douceur d’un enfant et qui peut nous donner la vraie vie.

Amen.

Bernard Mourou

 

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