Matthieu 3, 13-17 – Une solidarité à toute épreuve

On se demande souvent pourquoi Jésus, qui était sans péché et n’avait donc absolument pas besoin de se repentir, a quand même tenu à recevoir ce baptême de repentance.

Reconnaissons-le : la décision de Jésus de se faire baptiser par Jean a de quoi nous étonner. Elle a aussi étonné Jean, elle l’a même stupéfait, au point que sa première réaction a été de vouloir s’opposer à la demande de Jésus.

Oui, le premier acte que pose Jésus nous interroge. Il n’est pas anodin que, dès le début, Jésus provoque l’étonnement.

Mais ici notre étonnement n’est pas suscité par des actes qui seraient extraordinaires. Non, au contraire : notre étonnement vient du fait que Jésus se conforme en tous points à ce que fait une majorité de gens à ce moment-là : Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain, c’est le texte qui nous le dit quelques versets plus haut. Ca, personne ne pouvait s’y attendre.

Non, si Jésus provoque notre étonnement, ce n’est pas en faisant un acte extraordinaire, mais en faisant un acte on-ne-peut-plus conformiste, dépourvu de toute originalité.

Ce qui est paradoxal, c’est que c’est justement par ce conformisme que Jésus montre son originalité. Au milieu de cette foule venue de toutes les régions environnantes, au milieu de tous ces gens qui viennent reconnaître leur péché en se faisant baptiser par Jean dans le Jourdain, Jésus devient un parmi d’autres, comme s’il mettait un point d’honneur à ne se distinguer en rien.

Mais plusieurs d’entre vous se disent peut-être : si Jésus ne s’était pas fait baptiser par Jean, cela n’aurait rien changé, il n’était pas tenu de le faire.

Effectivement, il n’était pas tenu de le faire, rien ne l’y obligeait, et s’il ne l’avait pas fait, cela n’aurait rien changé. Cela n’aurait rien changé, et pourtant…

Et pourtant, lorsque Jésus choisit de recevoir lui aussi le baptême de Jean, il fait quelque chose de sidérant, il rejoint tous ces gens, et il les rejoint là où on ne l’attendrait pas : il les rejoint dans leur démarche de repentance.

Dimanche dernier, nous avons fêté l’Epiphanie, c’est-à-dire la manifestation de Jésus au monde. Le baptême de Jésus s’inscrit dans cette dynamique : Jésus est venu parmi les hommes au point de s’identifier à eux par le baptême.

L’Evangile de Mattieu insiste du début à la fin sur le fait que Jésus, c’est Dieu avec nous. Dans cet Evangile, il commence par être appelé Emmanuel, un nom qui vient du livre d’Esaïe, et il finit par dire cette phrase merveilleuse : Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.

Cette décision étonnante de se faire baptiser par Jean, Jésus nous en donne l’explication dans ce texte. Ecoutons ce qu’il nous dit : C’est de cette façon que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste. Jésus veut associer Jean à sa démarche – il dit nous : c’est de cette façon que nous devons – et il explique son attitude en faisant intervenir la notion de justice. Jésus ne rejoint pas seulement tous ceux qui viennent au Jourdain : il rejoint aussi Jean-Baptiste en reconnaissant et en confirmant son ministère.

Ce mot de justice, il faut entendre ce qu’il signifiait pour les juifs : pour les juifs, la justice, c’était la réponse parfaite de l’être humain à l’amour de Dieu ; la justice permettait de vivre en harmonie avec Dieu et autrui.

Et lorsque cette harmonie venait à être rompue sous l’effet du péché, il fallait la rétablir et réparer ce qui avait été faussé. C’était à cela que servaient les prêtres : en observant le rituel institué par Dieu, ils remettaient de l’ordre dans le chaos.

Oui, ce geste de Jésus a une signification, et une signification forte : en se faisant baptiser par Jean, Jésus se déclare ouvertement solidaire du peuple en tous points, même en ce qui concerne le péché.

La solidarité, ce sera le leitmotiv de tout son ministère : Jésus se montrera solidaire des malades, qu’il touchera et guérira, il se montrera solidaire des gens de mauvaise vie, qu’il fréquentera, jusqu’à partager leurs repas.

Par son geste, Jésus vient confirmer le baptême de Jean, il vient lui donner du poids, il vient en faire un passage obligé en montrant à tous ce que chacun est appelé à faire : un acte de repentance.

Mais notre étonnement continue, parce que c’est au moment où Jésus vient confirmer le ministère de Jean qu’il est lui-même confirmé par son Père : l’Esprit de Dieu descend comme une colombe et vient sur lui. Cette colombe évoque bien sûr celle que Noé envoie en reconnaissance depuis l’arche, et qui finit par revenir avec un rameau d’olivier dans son bec, symbole de la fin du chaos entraîné par le déluge et d’une paix retrouvée. Et puis il y a cette voix qui dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon consentement. »

Nous voyons que c’est au moment où Jésus s’identifie en tous points à son peuple qu’il reçoit de son Père cette confirmation, comme si le cœur de son ministère se trouvait là. Et c’est effectivement le cas : ce qui caractérise son ministère, c’est cette identification avec tout être humain, qu’il vient rejoindre.

Alors, qu’est-ce que le baptême de Jésus nous dit à nous aujourd’hui ? Eh bien il nous rappelle que Jésus ne nous rejoint pas seulement là où nous nous sentons bien, pas seulement dans ce dont nous sommes fiers, pas seulement dans tout ce que nous faisons pour plaire à Dieu, mais aussi dans nos défaillances, dans tout ce dont nous voudrions rejeter et dont nous avons honte.

Lorsque tout va bien, nous n’avons pas besoin de savoir que Dieu est là : sa présence est une évidence. En revanche, il est bon de nous entendre dire que Dieu est aussi là quand nous avons le sentiment que le péché nous sépare de lui.

On peut le dire : le baptême de Jésus n’était pas nécessaire, en même temps, il a une grande portée symbolique : il nous aide à vivre mieux, parce qu’il nous fait comprendre que pour nous, Jésus, appelé aussi Emmanuel, est avec nous tous les jours, dans les bons et dans les mauvais jours, jusqu’à la fin du monde.

Amen.

Bernard Mourou

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